Qui dit shôjo dit clichés ! C’est inévitable, à l’instar de ce qui peut également entacher l’autre gros morceau du paysage manga : les shônen. Souvent considérés comme des « sous-manga » avec des histoires niaises et naïves, les shôjo sont bien moins visibles que les autres catégories. Tour d’horizon de trois clichés qui nous agacent et nous mettent les nerfs en boule. Non mais oh !
En octobre 2021 est inauguré l’un des plus grands lancements connus en France pour un manga. Estampillée sur la façade de la bibliothèque nationale de France (aka la BNF pour les intimes), la première couverte de Kaiju n°8 fait fureur dans la ville de Paris. Le nouveau shônen choc en provenance du pays du Soleil-Levant débarque ! Ce coup de communication est aussi la preuve que la France est bien redevenue le 2e consommateur mondial de mangas !
Qu’il est bon de voir nos personnages préférés dans les métros, sur les affiches de cinéma ! Et pourtant, où sont les shôjo ? Pourquoi le shônen est-il perçu comme « plus noble », « plus fun » que le shôjo ? En 2017 déjà, Miknass se posait la question dans son article : « Pourquoi le shôjo manga est-il moins bien considéré que le shônen ? », parce qu’au fond c’est quoi un shôjo ?
Parce qu’il faut toujours se justifier sur ce qu’on lit, sur ce que l’on aime : aujourd’hui, Kitsu, Soko, Naoko et moi (Nico) tordons le cou à des clichés qui ont la peau dure et qui font du mal à la littérature.
Pour tout dire, l’idée de cet article est venue en regardant la vidéo de Chloé sur les préjugés qui existent à propos des shôjo.
Cliché 1. Shôjo = histoires pour les filles !
Chaud devant, gros cliché du shôjo en vue ! Comment ça les shôjo ne sont que pour les filles ? Eh oui Messieurs et Messieurs, voici un spoiler alert de l’espace : il n’est pas écrit dans la convention de Genève que les shôjo sont seulement destinés à la gente féminine, loin de là ! Nous abordions déjà ce cliché dans mon article réflexif « Et si le shôjo était unisexe ? » et depuis l’eau a coulé sous les ponts ! Pourtant, le sujet reste vif et d’actualité.
Étiquette apposée sur une certaine catégorie d’œuvres, le terme « shôjo » désigne à l’origine les mangas destinés aux jeunes filles mais aussi aux adolescentes. Très vite, certains titres ont été iconiques, marquant dans le fer le genre dans l’esprit des lecteurs. Qui dit shôjo dit Sailor Moon, dit paillettes et mini-jupes, dit histoires à l’eau de rose. Du moins dans l’esprit collectif. Et ce sont ces clichés qui font le plus de mal aux shôjo.
Mais qu’est-ce que le shôjo en réalité ?
Les catégories éditoriales ont tendance à éclater depuis quelques années, et les thématiques chères à celles-ci se mélangent dans une belle fusion pour donner des titres éclatants. On pourrait notamment penser à Blue Flag de l’auteur Kaito que l’on avait catégorisé comme un shôjo du premier coup d’œil.
Comment en aurait-il pu être autrement ? Les premières de couverture rappelaient celles d’Orange de Ichigo Takano. Les héros de Blue Flag sont des lycéens qui se cherchent et qui découvrent au fil des pages le pouvoir des relations humaines. Et nous voilà devant une réalité tangible : la tranche de vie qui, jusque là, avait une consonance shôjo s’appréciait désormais dans un manga revendiqué comme shônen.
Suis-je la seule à voir une certaine ressemblance dans les tomes 6 de Blue Flag et Orange ?
Pour la petite anecdote qui donne matière à réfléchir : Blue Flag avait été communiqué comme étant… un shôjo. Et puis finalement, c’est bien sous l’étiquette « shônen » qu’il a édité en France, à l’instar du Japon. Serait-ce un lapsus de langage ? Un changement de volonté de la part des éditions Kurokawa ? Ou serait-ce seulement symptomatique de ce qu’il se passe réellement depuis quelques temps dans le paysage du manga ? Blue Flag a bon nombre de caractéristiques shôjo dans sa narration, mais il n’en est pas moins un shônen. Sa mention « shônen » a-t-elle davantage suscité l’intérêt du lectorat masculin ?
Les « histoires pour les filles » sont perçues comme édulcorées, des romances à vau-l’eau et creuse, peu intéressantes. Les « histoires pour les filles » sont les histoires qui ne marquent pas les esprits, qui ne sont pas mémorables et pleines d’aventures. Pourquoi lire Blue Spring Ride lorsque l’on peut se délecter de la quête du One Piece ? Que peut apporter une œuvre comme Orange quand Naruto reste une valeur sûre ?
Loin de nous l’idée d’opérer une scission définitive entre « shôjo » et « shônen » et encore plus loin de nous l’idée de les comparer. Mais ce que nous savons, c’est que là où des grands shônen nous permettent de rêver (qui ne rêve pas d’être pourvu d’un Alter dans l’univers de My Hero Academia ou d’être Raikage), les shôjo permettent de nous identifier à des personnages qui vivent ou ont vécu la même chose que nous.
Et pourtant nous t’entendons devant cette simple phrase qui cause beaucoup de tort : « Comment ça, on ne peut pas s’identifier à des personnages sortis de shônen ? » ; « Comment ça, je ne peux pasrêver lorsque je lis un shôjo ? ».
Et tu as raison de t’insurger. Parce que, finalement, c’est quoi une histoire pour les filles ?
Kitsu nous raconte son expérience :
Une fois, alors que j’étais en train de fureter dans une librairie à la recherche de mangas sur lesquels je jetais mon dévolu, j’entendis une conversation qui me fit sourire. Trois garçons, adolescents à vue de nez, qui étaient devant le rayon des shôjo et puis l’un d’eux qui dit à ses potes : « Ah, Sawako c’est trop bien ! » J’ai souri, c’était chouette d’entendre ce genre de commentaire de la part du sexe opposé sur ces « histoires de filles ».
Oui, les garçons lisent des shôjo, apprécient les thématiques développées, aiment également les valeurs véhiculées.
Pas besoin d’être un mec plein d’hormones pour ressentir de l’excitation et le goût de l’aventure. Pas besoin d’être une fille pour être émue par des histoires pleine d’humanité et de réalisme. Il faut juste être soi.
De la même façon, il n’est pas obligé de s’identifier à un personnage du même sexe que le nôtre lorsqu’on lit des histoires qui nous touchent. Alors que cette réalité est plus prégnante dans la sphère du shônen (Shôto Todoroki pour la vie), qu’en est-il du shôjo ? Les garçons ont-ils même la place et la possibilité de se sentir proches de protagonistes ? En faisant le tour des shôjo que l’on peut lire, un constat se pose : une bonne partie des personnages principaux sont des filles, et les garçons peuvent, souvent, faire pâle figure à côté de ces héroïnes complexes et attachantes. Au premier abord seulement.
S’accepter, loin des clichés intériorisés
Pas facile facile d’apprendre à s’aimer et à s’accepter dans une société aussi conditionnée que la nôtre. Il faut que les filles soient belles, se taisent, mangent peu et soient surtout douces. Pas trop grandes gueules, il ne manquerait plus que ça, ne pas trop réfléchir parce que cela fait peur, et surtout qu’elles ne soient pas plus indépendantes que leur frère, cousin ou copain. T’es en train de t’étouffer de rage là hein ?
Les garçons doivent être costauds, n’avoir peur de rien et surtout ne pas pleurer non, ça fait bien trop mauvais genre. Adios la sensibilité, tu seras viril mon fils. Ne jamais montrer sa faiblesse, sa peine et sa douleur. Un homme, un vrai ne se douche pas, ne fait rien qui pourrait l’associer à une image féminine, et ne s’entache pas des petites choses de la vie. Eh oui, cet énorme cliché sur la gente masculine est aussi criminel à entendre que celui sur les filles ! Les mentalités changent petit à petit mais il est toujours primordial d’être vigilant sur ces injonctions intériorisées de la société qui brisent des générations d’enfants et leur acceptation d’eux-mêmes.
Heureusement, dans le shôjo, certains personnages brisent ces codes et réussissent à émettre un message transcendant à travers leur couche de papier : sois-toi même car personne ne le sera à ta place ! Les garçons de shôjo véhiculent aussi ce message à travers de nombreuses œuvres, et j’ai bien envie de leur rendre la reconnaissance qu’ils méritent dans un article futur… Que dirais-tu d’une réflexion intitulée « Boy’s power » ? En tout cas, elle est déjà en préparation de notre côté !
Afin de te donner un avant-goût, quoi de mieux que mettre en avant certains garçons qui transcendent les valeurs de la vie ? Comment ne pas parler de Yuki Sôma, jeune homme à la santé fragile qui se cherche pendant une bonne partie de Fruits Basket ? Surnommé « Le Prince » par les filles de son lycée, il n’en est pas moins distant avec les autres et peu démonstratif. Au fil et à mesure de sa relation avec Tohru, Yuki apprend à accepter les autres mais par dessus tout à s’accepter lui-même dans son entièreté. Oui, il est pétri de blessures et meurtri par son passé avec Akito et la famille Sôma mais il réussit, finalement et au bout du compte, à en sortir grandi.
Yuki Sôma, où se situe le curseur de la douceur sur spectre de la dureté ?
Laisser entrevoir ses failles, se confier à un tiers, toutes ces choses sont souvent considérées comme des qualités féminines. Les garçons n’ont pas cette possibilité de s’exprimer librement et de montrer leur souffrance. Il faut être fort, fiable et fier. Être un roc sur lequel on s’appuie. Même si les fondations sont prêtes à s’écrouler à tout moment.
Ainsi, comment ne pas penser à Kakeru Naruse du manga Orange ? Ce jeune homme qui perd sa mère le jour de sa rentrée dans un nouveau lycée de campagne. En perte de repères et d’amour, Kakeru ne se livre pas à ses nouveaux amis et lorsqu’il le fait avec ses anciens amis justement, ces derniers ne prennent pas la mesure de sa peine. Kakeru, dont les pensées suicidaires se bousculent dans sa tête, doit tenir bon parce qu’il est un mec, probablement. Si cela avait été une fille, la psychologie du personnage de Kakeru (qui n’aurait pas été Kakeru de fait) aurait-elle été différente ? L’aurait-on autorisé à exprimer sa peine et ses angoisses ? Cela n’enlève en rien la force de Kakeru au quotidien qui tient bon comme il peut, et avec les moyens du bord.
Kakeru Naruse : invisibilisation de la souffrance masculine ?
Nous parlons beaucoup des filles de shôjo qui sont des modèles pour nous, nous mettons en avant leurs qualités et leur capacité à être de véritables héroïnes du quotidien. Il est aussi de notre devoir de ne pas oublier de parler des garçons, de ces petits bouts d’hommes qui connaissent les mêmes turpitudes de la vie, les mêmes affres douloureuses. À l’instar de Kakeru qui essaye de ne pas s’y noyer.
Apprécier un manga n’est pas une affaire de genre ou de sexe, et les classifications shônen ou shôjo tendent à devenir de plus en plus désuètes. Elles font même du mal à certaines catégories comme le shôjo ou le boy’s love qui se retrouvent décriés et critiqués par la grande majorité alors qu’ils sont le plus souvent méconnus du public. Ce sont les injonctions de la société, le sexisme ou encore la masculinité toxique intériorisés qui font du mal à des œuvres qui mériteraient bien plus de reconnaissance et de lecteurs.
Ne serait-il pas temps de mettre à la poubelle toutes ces histoires dites de filles ou de garçons ? Bâtissons un avenir radieux où les catégories, les genres et les sexes ne voudront plus rien dire lorsque nous nous tournerons vers des choses qui nous plaisent et nous donnent envie.
Cliché 2. Shôjo = Une héroïne fragile, frêle et faible
Il semble que notre genre ne peut se dissocier de ces stigmates qui lui collent à la peau, comme une seconde nature à laquelle on ne peut échapper.
Alors, le shôjo ? C’est juste un truc de filles ?
Bien que souvent les héroïnes soient des filles, ce n’est pas systématiquement le cas. Des histoires peuvent nous proposer des récits ou les personnages principaux sont des garçons ! Comme Takeo de Mon Histoire qui à tout du shojo boys au cœur tendre, ou la clique Natsuki de Nijiro days et leurs déboires amoureux, en passant par le tumultueux Banana Fish.
C’est pas qu’une affaire de meufs, donc. Et, puis… même si ça l’était ?
Rinko, Takeo et leur histoire !
Fragiles ?
De la pleurniche, des pétales de fleurs, des bulles de savon, des lettres d’amour qui sentent trop fort et une omniprésence de rose… De quoi faire monter très vite la glycémie on s’entend bien mais accroche-toi bien, nous avons encore en tête le corps éviscéré de Komori de X, la beauté délirante de Tomie qu’on ne présente plus, ou l’incroyable costume de catcheuse de Matsuri ! (Matsuri Special)
Si prétendre qu’elles sont toutes des chochottes ayant besoin d’être sauvées ou en attente du prince charmant est déjà un raccourci moyen, ce serait mentir que de dire que nos héroïnes n’ont jamais fait preuve de fragilité. Alors, qu’est-ce que la fragilité ? Pourquoi elle dérange ?
Nombreuses sont celles qui ont su se montrer vulnérables, mais tu ne trouves pas ça courageux toi, d’être en phase et honnête avec ce qu’on ressent ? Ce qu’on ne sait pas faire ? Ses craintes et ses colères ? À la manière des magical girls qui sauvent le monde en portant des collants à paillettes, les héroïnes de shôjo sont riches de diversité et d’expériences de vie. On dit souvent des garçons qu’ils manquent d’intelligence émotionnelle, peut-être que lire quelque shôjo, en plus d’élever leurs horizons, leur permettrait d’apprendre un ou deux trucs sur la nature humaine.
Frêles ?
Jolies petites choses fragiles…
Dépendantes, niaises, bêtes, superficielles et ridicules.
Nos héroïnes sont pourtant souvent familières avec des thèmes durs comme le deuil, le harcèlement scolaire, ou la solitude. Immensément résilientes dans leur parcours et leur souffrance, mais aussi dans leur rapport à leur identité et à la conformité. Des personnages comme Mito Meguro dans Ugly princess questionne la féminité, la beauté et la façon dont ces conditions de femmes influencent leur place dans le monde (thème qu’on retrouve souvent chez Natsumi Aida). Puis parfois ces femmes reprennent les traits de ces hommes comme Lady Oscar ou Tsukasa Kozuki, et construisent leur identité pour ne devenir personne d’autre qu’elles-mêmes. Alors, elles ne sont pas que victimes ! Elles sont aussi les tortionnaires, tantôt des vivants – on se rappelle de la folie cruelle d’Akito – ou des ombres comme avec la grand-mère de Natsume, Reiko, petite terreur auprès des yôkai de sa ville.
Qu’il s’agisse d’avoir le cran de déclarer sa flamme dans la cour de l’école ou de sauver sa peau dans un univers apocalyptique à la 7 seeds, les héroïnes de shôjo ont toujours su trouver les ressources en elle pour se dépasser et affronter l’adversité en rayonner dans leur cercle. Alors, frêles ?
Faibles ?
En comparant nos héroïnes avec les héros de shônen et leurs combats spectaculaires, on peut facilement penser qu’elles sont « faibles ». ( Une accusation qui pèse déjà sur les personnages féminins d’œuvres destinés à un public masculin, remarque). Mais ne faudrait-il pas questionner nos jugements de valeur ?
Si on constate qu’effectivement nombreuses sont les histoires populaires sur ces romances scolaires ou nos héroïnes nous partagent leur quotidien et leur sentiments, c’est peut-être parce que nombreuses sont celles qui ont aussi trouvé ce contenu divertissant !
Car s’évertuer à prouver que « Non ! Y’a des modèles forts ! Y’a des Yona, des Kanoë, des Chihaya ! » ne reviendrait au final qu’à prétendre qu’il n’existerait qu’un type de femme et d’histoire qui mérite d’être considérée. Quelle paresse intellectuelle. C’est facile de trouver une meuf avec un couteau badass, mais on est persuadées qu’il est tout aussi amusant de chercher comment « la force » se décline de toutes les façons possibles !
- Yuri de Blue spring ride qui assume d’être ce qu’elle est alors que toutes les filles se moquent d’elle, c’est balèze.
- Nana Komatsu (Nana), qui cherche l’amour partout où il peut être, quitte à en développer des travers, c’est complexe et torturé plus que ce n’est pathétique.
- Tsukushi (Hana yori dango) qui se dresse seule contre un groupe de garçons influents parce qu’elle ne peut juste plus se taire, c’est libérateur.
Alors ouais, carrément, ça aide d’avoir un fusil ou une lance, de se couper les cheveux à l’épée comme pour se débarrasser d’une féminité superficielle, et de s’en foutre des mecs. Mais est-ce que c’est juste ça la force ?
Toutes les filles normales, qui vont en cours, au taff, qui ne sauvent pas le monde et qui ont parfois des petits soucis relationnels… Est-ce que tout ça c’est juste bon à jeter ?
Personnellement, nous aimons à penser que la force est dans l’œil de celui qui la cherche.
Oser rêver la fin d’un monde
On admire toutes ces femmes artistes qui écrivent des histoires simples ou complexes où on peut expérimenter la force et la faiblesse des femmes tout aussi multiples et complètes !
Car il ne manque rien aux héroïnes de shôjo. Sauf peut-être qu’on leur donne la chance de les regarder sans mépris, elles et leur public à qui ces histoires plaisent.
F comme fougueuse, F comme féroce, F comme fière. Car les shôjo girls sont beaucoup de choses, mais certainement pas fades. Peut-être que ce qui doit changer, c’est le jugement de valeurs que nous portons sur les histoires simples, sur le quotidien, le tranche de vie, la romance, le relationnel. N’est-ce pas nous, lecteur(ice)s, qui restons coincé(e)s dans nos idées-fixes, et nous privons de pleins d’histoires riches sur des héroïnes, qui à leurs échelles, savent se montrer fascinantes ?
Et peut-être s’intéresser, encourager et mettre en avant, ces œuvres qu’on pense « minoritaires » (on ne veut juste pas les voir) qui sont des histoires d’aventures, de quêtes, de combats ou de guerres. Car le shôjo et ses héroïnes, comme tous les genres, ont mille et une facettes.
Cliché 3. Shôjo = histoires légères + romance
Les shôjo ce ne sont que des sujets légers et de la romance ? Foutaises ! On retrouve souvent cette rengaine agaçante qui veut que les shôjo ne savent parler que de sujets légers ou alors se contentent de survoler leurs propos. Forcément, un shôjo ça s’adresse – théoriquement – à un jeune auditoire féminin, leurs préoccupations ne peuvent qu’être superficielles tout comme leurs goûts. En voilà un présupposé sexiste !
Allons bon, comment les jeunes filles pourraient comprendre et apprécier toute la profondeur d’un manga comme Banana fish ? Les guerres de gang, la drogue, c’est trop sombre pour elles. Qu’elles retournent à leur « niaiseries » rose bonbon ! Franchement, c’est fatigant de lire à longueur de journée que sous prétexte que ce titre d’Akimi Yoshida traite de ce genre de sujets, ça ne peut pas être un shôjo…
En voilà des couvertures bien sombres !
Elle n’est d’ailleurs pas la seule et bon nombre de shôjo qui ne correspondent pas à cette étiquette frivole se retrouvent catalogués ailleurs, bien souvent dans les collections seinen des maisons d’édition. On se souvient du Requiem du roi des roses d’Aya Kanno. Les couvertures sont sombres, le rose n’est pas présent et en plus ça parle de lutte de pouvoir, de guerre, etc. Et pourtant, Ki-Oon a choisi de le placer avec les seinen aux côtés d’Ad Astra ou bien Golden Kamuy.
On peut comprendre la logique mercantile qu’il y a derrière en voulant ratisser au plus large. Le problème c’est que c’est contreproductif de deux manières :
- Cela participe à faire croire que les shôjo ne peuvent pas aborder des thématiques plus profondes et graves.
- Qui dit que le public lisant majoritairement du seinen sera intéressé ?
Pourtant la force du shôjo c’est aussi de proposer des drames aboutis qui poussent parfois les protagonistes dans leurs derniers retranchements, les obligeant à se confronter (ou non) à leurs propres démons. C’est tout cet aspect psychologique qui lui donne une saveur particulière. On entre ainsi dans la psyché des personnages, tout en suivant le cheminement parfois éprouvant de leur transformation.
Fuyumi Soryo excelle dans ce jeu à travers Mars, un titre poignant qui ne laisse pas indemne à la lecture. Du haut de leur jeune âge, les deux personnages principaux ont vécu des situations traumatisantes. Quand cela touche à la mort violente d’un proche ou qu’il est question d’agression sexuelle, comment peut-on avoir le culot de dire que les shôjo sont forcément mièvres ? Il ne faut pas savoir de quoi on parle pour oser déclamer ce genre de bêtises.
Les personnages principaux de Sayonara miniskirt, avec l’héroïne au premier plan
Dans le même esprit, on peut citer Don’t fake your smile ou encore Sayonara miniskirt. Les deux héroïnes de ces mangas doivent réapprendre à vivre après leur agression. Comment se reconstruire après un tel événement ? Comment continuer à aller de l’avant ? Ce sont autant de questions que ces dernières se posent, à travers les choix qu’elles font ou non. Leurs doutes, inquiétudes mais aussi leur détresse nous apparaissent encore plus déchirantes.
Comment évoquer les phénomènes de société sans parler d’ijime (harcèlement en milieu scolaire) ? S’il est présent dans Hana yori dango, l’autrice de Life, Keiko Suenobu lui consacre tout un récit. Cela donne une histoire douloureuse à lire, mais nécessaire.
Qui plus est certains shôjo se déroulent dans des univers qui ne donnent franchement pas envie d’y vivre. Comment pourrait-on vouloir être à la place de la jeune Sarasa (Basara), obligée de prendre la place de son frère en tant que chef de son village, alors que l’histoire de Yumi Tamura nous dépeint un monde post-apocalyptique ?
Euh… Bon appétit ?
Pareil pour L’académie alice ! Pourtant de prime abord, on croirait que c’est tout mignon tout innocent. Eh bien c’est faux… Certes, les personnages sont poupons, mais les difficultés qu’ils doivent affronter sont terribles pour leur jeune âge.
Called game, dans un registre plus historique suit ce même schéma de décor cauchemardesque. Franchement, qui aimerait se retrouver dans cette battle royale ? L’héroïne est tout de même envoyée dans un pays étranger, ressemblant fortement à l’Angleterre à une époque lointaine, pour se marier à leur roi. Or, là-bas, elle se rend compte qu’elle n’est pas la seule prétendante… D’autres filles se livrent une bataille redoutable pour accéder au trône ; le cœur du roi étant ici accessoire.
Après les cauchemars, on prendrait bien un peu d’horreur non ? Car oui l’horreur est traditionnellement associée au shôjo. De nombreux magazines de prépublication japonais, à destination des jeunes filles, s’en sont fait la spécialité dès les années 60/70. Ainsi, Kazuo Umezu a publié de nombreux shôjo abordant cette thématique. Baptism est donc loin de la promenade de santé. Non seulement les passages plus ou moins gores sont présents, mais la détresse qui anime les personnages est très palpable. Le tout nous fait réfléchir sur un certain nombre de sujets…
Un peu flippant ce visage, non ?
Au final, on invisibilise encore plus le shôjo en le réduisant à l’un de ses genres : la comédie romantique.
Ce cliché a la vie dure, notamment parce qu’une forte partie de la production shôjo qui sort chez nous correspond à des romances feel good. Ça plaît, ça marche ! Attention, il ne s’agit pas de critiquer ou dénigrer ces récits. Simplement, le filtre des éditeurs, qui vont chercher un retour sur investissement facile, donne l’impression que le shôjo est un bloc uniforme fait d’histoires toutes semblables. C’en est à tel point qu’on le prend pour un genre à part entière au même titre que l’aventure ou le fantastique…
C’est un peu comme si on disait que tous les shônen sont des nekketsu. Eh bien, en transposant, ça donne : tous les shôjo sont des romances. Quel raccourci non ?
Il ne faut pas supposer que tous les shôjo mettent en avant de la romance. Elle n’est pas forcément inexistante, mais ce n’est pas toujours le cœur du récit. Et même quand ça l’est pourquoi ça devrait poser problème ? Parce que sous cette critique se cache une synthèse problématique : la romance, c’est nul.
Le regard blasé de Hana en dit long…
À croire qu’en apportant un peu d’enjeu amoureux, une histoire cesse d’être intéressante. On peut ne pas être réceptif à ce genre en particulier et c’est OK. Il y a aussi une façon de l’amener et la développer. Mais, ça c’est valable pour tout genre.
Pourquoi il n’y aurait que la romance qu’on relèguerait au rang des genres de seconde zone ? Parce que c’est associé au féminin ? Peut-être… Sûrement. Ce mal touche de manière plus générale la littérature dans son ensemble. Et le shôjo pâtit de ces préconceptions.
Inversement, l’un des clichés les plus tenaces consiste à penser que toutes les romances sont forcément des shôjo. On en vient même à des absurdités comme Glénat qui fait une collection pour célébrer la diversité des shôjo en incluant un seinen (Une touche de bleu) et une œuvre espagnole (Alter ego) – donc pas du tout publiée dans un magazine shojo. Les œuvres en question ayant toutes la particularité d’être des romances. Elle est où la variété ?
On est loin d’Akata qui édite un shôjo qui n’en contient quasiment pas ; le sujet principal de Nos temps contraires étant la dictature.
Quelle image cela véhicule-t-il ? En plus de brouiller les cartes pour les lecteur(ice)s, cela dessert profondément l’objectif voulu… Combien de fois a-t-on pu voir que Horimiya, prépublié dans le même magazine que Black Butler, un shônen donc, était la meilleure romance shôjo de ces derniers temps (au moment de la diffusion de son anime) ?
À travers cet article, nous avons souhaité montrer à quel point ces clichés persistants nous agacent. En tant qu’amatrices de shôjo, nous avons à cœur de montrer à quel point celui-ci est multiple, que soit à travers nos publications sur le blog ou lors d’événements comme celui de la Semaine du Shôjo. En espérant – modestement – que cela puisse faire bouger les lignes…
Et toi, est-ce que ces clichés sur les shôjo t’agacent aussi ? Y en a-t-il d’autres qui t’exaspèrent ? Dis-nous tout en commentaire !