Encore du Fruits Basket ! Je n’ai que ça en tête ! Ça et des questionnements féministes. Le printemps passé, je poussais déjà un coup de gueule sur les reproches qu’on faisait peser sur Tohru. Alors cet automne, si nous revenions pour nous pencher sur l’autre figure majeure de la série, Akito?

Une petite remise en contexte s’impose. Attention, ce qui suit n’est pas spoiler-free! À l’époque de mon premier article sur Fruits Basket (mi-saison 2), j’ignorais tout de la direction artistique de l’intrigue et le trope de gender-bender ne m’avait pas même effleuré l’esprit. Je suis bon public, quand je regarde, je ne réfléchis pas trop à la suite. Mes camarades du Club m’avait avertie que les surprises ne manqueraient pas de venir mais celle-là a été foudroyante!
Le démon de cette maison qui nous a terrifié pendant autant d’épisodes est… une femme.

Et ce démon n’est pas seulement une femme, c’est une déesse. Le Soleil de l’univers des Sohma, autour de qui tous gravitent. Et dans ce système spatial, Tohru à peine plus grande qu’une comète, apparaît pourtant comme une menace. 

Récemment, j’ai terminé Tout le monde peut être féministe de bell hooks. Cette lecture – que je conseille car à la portée de tout le monde – m’a aidée à élaborer et développer une idée née de réflexions idiotes au sujet d’Akito, « cette sale pick me ! »
J’en suis venu à me demander si, plus sérieusement, serait-il possible d’établir un lien entre ces personnages ? Là où Tohru est une figure féminine classique et soumise, ne retrouvons-nous pas Akito, se dressant devant nous, forte et puissante comme un homme ? 

Le dieu de ce monde 

Ce n’est pas étonnant de voir intervenir ce genre de paradoxe dans les histoires. Dans le monde fantastique des shôjo, les moins populaires, les moins jolies, les moins brillantes, peuvent espérer vibrer comme une héroïne. Mais si – indirectement – Akito et Tohru allaient plus loin ? Si encore une fois, on pouvait s’imaginer percevoir quelque chose de plus profond dans cette lecture de Fruits Basket ?

Si je m’aventurais à vous présenter une analyse comparative entre la femme qu’est Akito, masculine, riche et puissante à celle qu’est Tohru, fragile, docile et pauvre ? Si je m’aventurais à penser qu’indirectement, c’est l’un des reproches majeurs qui traverse le féminisme que l’on pouvait lire dans l’œuvre de Natsuki Takaya ? 

Je m’essaye à un exercice dangereux, mais si Tohru était une victime du sexisme, Akito elle, qui challenge toute notion de féminité connue, n’en serait-elle pas une responsable

Avertissement : je ne prétends pas donner à N. Takaya un quelconque message politique. Cette grille de lecture que j’en fais reste le produit de mon analyse et de ma sensibilité. Aussi, cet article couvrira l’intégralité de la série animée.

Alors, Akito, Pick me Icon ? 

La « pick me » c’est qui ? 

Définition : Pick-me (littéralement « prends-moi ») est une expression qu’on peut retrouver sur les réseaux pour désigner ces filles qui adoptent un comportement qui consiste à rabaisser les autres filles, ou leurs centres d’intérêt pour se mettre en avant devant les garçons. Cela part d’une démarche qui consiste à chercher l’approbation masculine, tout en se dissociant d’une féminité superficielle, niaise, ou dévergondée. 

On l’associe à l’idée de la misogynie intégrée, et si je la déteste dans la bouche de certains hommes, il faut comprendre que cette idée raconte quelque chose d’important. Les filles aussi participent au sexisme

La figure même de la femme qui s’est fait dieu rentre dans cette idée de « femme d’exception ». Elle est puissante, respectée, autoritaire. Ainsi, on peut facilement prêter à ses qualités des intentions féministes qui ne sont en vérité pas si révolutionnaires

« Organisons un nouveau banquet,
encore une fois, autant que nécessaire, 
sans que jamais rien ne change
bien que ta solitude t’attriste, 
tout le monde t’attend au lieu promis. »

Tout au long du manga, Akito est une ombre terrifiante et mystérieuse, trônant dans sa chambre solitaire presque comme un dieu châtieur, garant de l’ordre établi et du pouvoir en place, immuable, conservateur. En compétition constante avec toutes les figures féminines qui challengent son autorité du simple fait de leur existence.

Il n’y a qu’un seul modèle de femme qui peut exister au sein des Sohma, et ce modèle n’est nul autre que le sien. Quand Akito veut punir Rin, elle lui coupe ses cheveux, elle la dépossède de ce qui à longtemps été vu comme « l’objet de la féminité », une féminité différente de la sienne. Après tout, ne s’était-elle pas également attaquée aux cheveux de Tohru aha.

Ce qu’elle pense être légitime.

Akito elle-même avait vu son existence être pointée du doigt comme étant la raison pour laquelle son père s’était détourné de sa mère. Ainsi, elle reproduit le même schéma en tourmentant Rin, giflant Kisa, en griffant Tohru, mais aussi en poignardant Kureno ou en isolant Yuki. 

Ce qui m’a interpellée avec Akito, c’est de découvrir cette fragilité. Cette déesse de deux saisons, en plus de mépriser profondément les femmes, cherche à s’accaparer l’attention de tous les hommes sans exception (sauf Ritsu, son inverse) sans pour autant perdre le pouvoir qu’elle exerce sur eux. Ce que représente Akito d’une certaine façon, c’est un féminisme pour elle et elle seule. On connaît tous, peut-être l’a-t-on été, cette fille qui ne veut pas être féministe.

Contrairement à Tohru qui nous apparaît premièrement comme un pur produit du sexisme mais qui est, à mon sens, profondément anti-patriarcale, Akito est tout l’inverse. 

Dans la forme : un antagoniste qui est une femme avec une autre fonction que celle de se placer dans une intrigue amoureuse, c’est merveilleux ! On en veut, on les adore, et faire d’Akito une femme plutôt qu’un homme rend cette histoire mille fois plus vibrante ! Mais pour autant, rien de ce qui émane d’Akito en tant que personnage dans une histoire ne m’évoque un féminisme enviable. 

Se châtier d’être un dieu impuissant 

Akito est une pick me parce qu’elle décide de s’extraire des codes classiques de la féminité pour bénéficier des avantages de son statut de cheffe de famille. C’est une femme qui a transcendé sa condition, mais pour autant, ce qui rend Akito si unique, et aussi plus effrayante qu’une banale « pick me » se caractérise par sa volonté d’asservir les hommes de son entourage pareillement. Bien que le terme ne soit pas clinique (pick me n’est pas très sociologique non plus aha) on pourrait carrément parler de complexe de Dieu. Et ce à juste titre. Elle est la déesse de la légende. 

Mais du coup, être une femme comme un homme ? Parce que c’est ce qu’est Akito : forte, puissante, intelligente, divine. Elle est le patriarche, la figure du pouvoir en place, le dieu de son monde. 

Akito vit comme un homme, s’habille comme un homme, parle d’elle-même comme un homme, et donc, voit le monde comme un homme

Akito prend ainsi la forme de cette violence masculine, patriarcale, qui sévit dans le foyer Sohma.

Comme le présente bien bell hooks dans son livre, le foyer est un endroit où les hommes viennent chercher le confort après le travail, mais où les femmes sont en danger (nous avons dépassé les 80 féminicides en France cette année). Elles n’en sont pas protégées pour autant. Il en va de même pour les enfants. En plus de pouvoir être des victimes de la violence physique ou verbale des pères, ils peuvent aussi expérimenter celle de leur mère. Les exemples ne manquent pas dans le manga. Du rejet total à la protection abusive.

Ces femmes appliquent cette violence dans leur maison envers ces derniers mais aussi leur femme de ménage, leurs subalternes en général. Pas besoin de revenir sur le fait que Fruits Basket traite de la famille et que le lien surpuissant et divin qui unit les signes du zodiaque est une métaphore des liens du sang.

Cette famille est également un endroit où l’on continue de faire exister le sexisme en sacralisant une forme d’éducation basée sur le respect de l’ordre établi. Tu te souviens peut-être de ton agacement quand ta mère t’a désignée pour faire la vaisselle alors que ton frère était assis dans le canapé ? Ou comment elle t’a expliqué qu’il fallait être belle pour souffrir et que c’était le rôle qui t’incombait, à toi comme à toutes les autres ? Ces idées, elle les a sûrement elle-même entendues, de sa mère, de ses sœurs, ou bien même de sa gouvernante comme le fait celle d’Akito.

C’est une vision patriarcale de l’amour. Celle qui justifie les « crimes passionnels » et associe le fait de posséder une personne complètement à l’affection la plus totale. Un amour qui conçoit les liens par des rapports dominant/dominée. Une conception à laquelle s’oppose l’amour féministe.

Nous reconnaissons les discours féministes qui accusent la violence masculine, mais pas suffisamment celle de ces femmes qui l’exercent également. Dans un article intéressant publié sur Anime Feminist, S. Connor décrit les liens entre l’amour, le sexe et le pouvoir dans Fruits basket, et présente comment la sexualité est utilisée par Akito et les autres personnages de l’intrigue comme un outil de communication. Elle note comment la manipulation qu’exerce Akito sur Kureno qui s’est défait de la malédiction, passe par la chambre. Rien de surprenant dans notre monde qui connait les violences sexuelles et le viol comme arme de guerre…

Akito veut recevoir l’amour, mais ne le donne jamais. Elle est égoïste et pense que c’est l’ordre naturel des choses, que c’est aux autres de faire des efforts.

Si Mars est le dieu de la guerre, il n’est pas surprenant d’entendre si souvent parler de violence comme seule façon de gérer un conflit. Ainsi, quand Akito décide d’agir comme un garçon, elle le fait en utilisant les rapport de force, l’obéissance. Il s’agit d’idées patriarcales qui nous inculquent que le plus fort est le plus légitime, et que donc sa violence l’est aussi. Mais un féminisme qui se voudrait vraiment ennemi de ce patriarcat et de tout ce qui en découle ne concerne pas que soi-même ou même les femmes : il est pour toute la société

Et si un petit bout de femme plein d’amour peut en venir à bout avec de bons petits plats, et quelques discussions à cœur ouvert, c’est que ce système n’a pour lui que ses appuis poussiéreux. C’est bien ce qui plonge Akito dans une confiance sans faille au début de l’histoire, avant de la terroriser dans la seconde partie. Un modèle dont elle ne peut profiter exclusivement semble si menaçant. Pourtant lorsqu’elle l’embrasse, tout devient possible. 

Désapprendre la violence, c’est l’une des alternatives qu’offre un féministe pour tous, inclusif, bienveillant, qui honore la féminité, dans ses subtilités et ses variantes, sans haïr les hommes, sans se haïr soi-même

Dans le harem, la sororité 

Takaya joue volontairement ou involontairement avec les codes du harem comme espace gravitant autour de la figure de Tohru. Ce n’est pas parce que les choses ont toujours été comme ça qu’elle ne peuvent pas changer. Il n’y a rien d’éternel, et c’est une grande libération. Aucun besoin de dominer les autres, ni les femmes ni même les hommes. 

Le féminisme présent dans la figure d’Akito est exclusif, élitiste, en fait assez conservateur car il encourage l’immobilité du système. Jusqu’au jour ou Tohru entre, par toutes les portes, pour diffuser sa vision du monde sans l’imposer. Ce jour-là, le bonheur n’est plus seulement une boite vide que possède Akito, c’est une maison remplie du respect de l’autre. Je n’oublierai jamais comment Akito a attendu que quelqu’un s’asseye à ses côté, comme son égal

Les liens entre les femmes sont des trahisons envers le système sexiste qui nous met toutes en compétition les unes avec les autres. Tohru en est complètement défaite car elle ne voit que des gens en face d’elle. Elle aime et respecte tout le monde, sans s’inquiéter du sexe, du genre, de l’âge, ou des particularités des individus. Elle nous le prouvait déjà avec sa métaphore des boules de riz, il n’y a que des formes et des fonds.

Comme Tohru, nous sommes victimes du sexisme, mais comme Akito nous en sommes responsables. Le problème ce n’est pas tant que ça la moitié de l’humanité, c’est nous tous. La fin de la malédiction, c’est le déclic soudain qui éclaire nos personnages lorsqu’ils comprennent que leur identité n’est pas une prison, et qu’au contraire, elle peut les libérer.

Et ce n’est pas une mauvaise nouvelle, ni même une insulte de le dire. Cela montre bien que si les oppressions sont par nature inégales, les systèmes permettant la diffusion de ces idées gangrènent autant les oppresseurs que les opprimés. Tous des victimes, tous des bourreaux : cela signifie qu’on peut se battre en partant de la même ligne, au moins pour ça. Même si on constate que souvent dans l’histoire, nombreuses sont les femmes qui ont porté des mouvements. Il ne faut pas négliger le rôle de l’éducation qui se fait au sein du foyer. Tohru, qui est devenue la mère de Yuki et l’amante de Kyo, la sœur de Kisa, l’amie d’une déesse, a gagné sa place et a pu permettre aux autres habitants de la maisonnée de diffuser cet amour à leur tour dans leur microcosme. 

Le calme revient chez les Sohma lorsque toutes les figures féminines de la famille sont pacifiées : celle de la mère de Tohru, celle de la mère de Kyo, Momiji, … Lorsque les hommes sont montrés pour ce qu’ils peuvent être aussi : lâches et fragiles. Les masques tombent, dès lors qu’il n’y a plus rien à prouver, et qu’à bout de force, tout est sincère. 

Enfant béni, enfant maudit.

Personnellement, j’aime ce féminisme qui utilise le couteau pour rassembler une famille autour d’un repas, je le trouve bien plus productif que celui qui s’abat vengeur et frustré, pour marquer son mécontentement. 

Quel sens à cet article ? Peut-être celui d’appuyer une idée déjà présente dans mon article sur Tohru. Le sexisme comme toutes les autres oppressions structurelles est plus insidieux qu’on le pense. Nous en sommes imbibés. Et certaines de nos définitions du féminisme n’en sont pas épargnées. Les valeurs que nous glorifions, celles que l’on méprise, d’où viennent-elles ? Comment se sont-elles construites ? Sont-elles si innocentes ou révolutionnaires ? Ou sont-elles juste ce banquet qui recommence toujours, sans que rien ne change ?

Un personnage comme Akito, qui se rapproche de cette idée de la « femme forte » n’est pas plus dénuée de sexisme que les autres. Nous sommes des victimes-bourreaux à chaque fois que nous appliquons les méthodes de ce système pour opprimer quelqu’un d’autre. Ce lieu promis, y a-t-il un autre moyen de l’atteindre ? J’en suis convaincu. Et que toutes ces subtilités puissent exister simultanément dans des individus montre bien que dans le genre… il y a bien plus de richesse que ce que l’on ne le croit. 

soko saturne

Adepte de niaiseries en tout genre et de la littérature qui s'y réfère;

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