La Semaine du shôjo continue ! Aujourd’hui, on se reconnecte avec soi et on cultive la bienveillance.

Quand on dit « shôjo manga », on imagine souvent cette belle et pure héroïne, tout droit sortie d’un Blue spring ride. Les mangaka se sont-elles entendues pour brosser le portait de la jeune fille idéale ?

En fouillant du côté des maisons d’édition, on découvre l’envers du décor. Encore aujourd’hui, les autrices sont incitées à dessiner ces types d’héroïnes. Car les shôjo manga doivent faire rêver les jeunes filles. Et, selon les éditeurs, les jeunes filles rêvent de se voir sublimées sur le papier. En clair : être belles, donc minces, avoir la peau douce et les traits fins. Car le corps aurait forcément un seul type de beauté. Il est temps d’envoyer voler au loin les idées reçues.

« Tout ce qui est petit est mignon »

Ça commence fort, dès l’enfance. Les magazines de prépublication de shôjo manga regorgent de conseils pour être la petite fille la plus mignonne et tendance de l’école. Les mangas eux-mêmes mettent en scène ces jeunes filles pétillantes. Ciao, revue shôjo de la Shôgakukan, brosse, entre mangas colorés et goodies beauté, sa vision de la petite fille mignonne et branchée.

Le mag a même investi dans une chaîne YouTube. Les très jeunes lectrices peuvent s’identifier aux kawaii youtubeuses Yuki et Ayaka, qui présentent les précieux produits dérivés offerts avec la revue de ce mois : une brosse rendant les cheveux aussi soyeux que ceux des adultes, et un joli miroir, parfait pour se faire belle (la démo commence à 1’34 »).

Le magazine Ciao et ses fameux goodies

Les petites filles de 10 ans rêvent-elles toutes de brosses à cheveux et de miroirs ? Certainement pas. L’industrie du marchandising les cible pourtant à coup de pétillantes fillettes à couettes. La jolie petite fille idéale porte une frange (toujours très tendance au Japon) et a les cheveux assez longs pour se faire des couettes ou des tresses. Sa voix est aiguë et claire. Elle est enjouée mais pas trop, timide, juste ce qu’il faut, souriante, vive, pure, naïve. Cette vision de la petite fille varie à peine lorsque celle-ci devient adolescente. Quoique.

Recherche jeune fille « fraiche »

Souviens-toi de Kare First Love : Karin Karino, décrite comme une vilaine fille à lunettes, se fait harceler par ses camarades de classe. Jette un coup d’œil à Mairunovich ou à Ageha de Papillon : encore des filles à lunettes, soi-disant vilaines. La beauté éclate quand les héroïnes ôtent leur horrible monture. À croire que les lunettes rendent moches : super message à celles qui, avec ou sans lunettes, gardent leur faciès ordinaire.

Les autrices peinent à dessiner des filles réellement moches. Le pire survient avec Kiss Him, not me, où grosseur rime forcément avec laideur. La série navigue entre gags douteux et injonctions : le corps de la jeune fille en pleine croissance sera mince ou ne sera pas. De la glamour Nana Komatsu (Nana), à la douce lycéenne Yuna (Love, be loved…), la jeune fille brille par sa fraicheur, sa délicatesse : qualités incarnées dans sa minceur. Io Sakisaka est d’ailleurs connue pour célébrer cette jeunesse japonaise. Ai Yazawa, elle, sublime les corps longilignes. Quoi de plus naturel, me diras-tu ? Leurs héroïnes sont à l’image des adolescentes japonaises d’hier et d’aujourd’hui, minces, voire extrêmement minces. Les jeunes filles grosses et/ou moches sont l’exception, invisibilisées dans une société où la grossophobie et les humiliations ne se cachent pas.

Mito, héroïne combattive d’Ugly Princess

Dans nombre de shôjo manga romantiques, l’objectif est de plaire, non à soi, mais aux garçons. Évident, quand on cherche l’amour, je te l’accorde. Mais cette vision soumet la jeune fille à la validation de l’autre. Habitué-e-s à ces standards de beauté – qui sévissent au Japon et dans bien d’autres pays – on a parfois du mal à percevoir à quel point le corps féminin est comme dépossédé. Sa seule fonction serait de divertir l’œil masculin. Revues shôjo et magazines pour adolescentes regorgent de conseils pour être la plus populaire : ainsi, le très branché Popteen vise, comme son nom l’indique, les lycéennes. Le branché-sage S CAWAII !! innove avec sa rubrique tuto beauté pour elle et lui. Les jeunes hommes sont aussi touchés – au Japon, la vague ikemen n’en finit plus de définir le (beau) corps masculin. Le héros de Plaire à tout prix en est une parfaite illustration.

Se réapproprier son corps

Le rapport au corps ne serait-il qu’une affaire de beauté et de laideur ? Et qui a décrété ce qui était beau, et ce qui ne l’était pas ? Zenko et Mito fracassent les codes et nous montrent une autre voie : la nôtre.

Réduite à son physique, Zenko, l’héroïne de Rouge éclipse, ne supporte plus de vivre. Elle est grosse, et ses camarades lui prêtent tous les défauts du monde. Forcément laide et incapable, elle serait inadaptée à la vie sociale. Le rapport au corps englobe bien plus que le simple aspect physique. Surtout le visage, qu’on ne peut voir qu’à travers un miroir. C’est ce visage qu’on montre aux autres, sans pour autant le voir nous-mêmes. C’est ce visage que les autres jugent acceptable ou non. Pour Zenko, la sentence tombe. Elle-même valide toutes les insultes qu’elle reçoit. Sa triste vie n’illustre-t-elle pas tout ce que l’on dit d’elle ? À l’opposé, Ayumi mène un quotidien tranquille : mince, donc jolie, dans la moyenne des jeunes japonaises. Le visage qu’elle montre lui attire la sympathie de ses camarades. Zenko aussi est sympa, mais tout le monde s’en moque. Il lui faudra se détacher du regard de l’autre pour réapprendre à se voir vraiment, et enfin, embrasser une vie apaisée… avec les autres.

Couverture française de Rouge Éclipse
Le premier volume du shôjo Rouge éclipse

Mito aussi avance. L’héroïne d’Ugly Princess sait qu’elle n’est pas un canon de beauté. Elle sait aussi qu’il existe toutes sortes de beautés, et qu’apprendre à aimer son corps est un pas vers la bienveillance envers soi. La « princesse moche » se découvre à travers son propre regard, un regard juste, débarrassé des moqueries des autres. Encore une fois, le chemin est périlleux, tant les préjugés ont la vie dure. Les camarades de classe de Mugi (Telle que tu es) nient sa beauté parce qu’elle est grosse. Il n’y a pourtant aucun rapport entre grosseur, beauté, et laideur. Kaname Hirama, l’autrice, entend démonter ces préjugés. Hélas, elle entretient elle-même des clichés qui brident son message : « la grosse moelleuse » « la grosse, agréable à malaxer »…

Je ne suis pas qu’un corps

« Jeune fille fraiche » « Passé trente ans, la femme est périmée » … Ces phrases sévissent encore, et les mangaka montent au front pour les dénoncer. Akiko Higashimura nous parle à travers ses héroïnes de Tokyo Tarareba Girls, qui angoissent à l’idée d’être célibataires alors qu’elles ont dépassé la trentaine. Au Japon, les magazines féminins se classent par tranche d’âge : vingtenaires, trentenaires, quarantenaires… Le populaire Oggi (magazine de la Shôgakukan) se veut être la référence des femmes actives qui cultivent un style simple et chic. Travail, lifestyle… le magazine propose souvent des articles sur le célibat passé la trentaine, avec des interrogations récurrentes comme « resterai-je toute ma vie célibataire ? » Derrière cette question se cache une vraie angoisse. Kaoruko (Heartbroken chocolatier) est toujours ramenée à son âge, et par conséquent, à son physique, forcément en plein effritement. En compétition avec les jeunes femmes plus jeunes, elle complexe et s’imagine finir seule. Et quand elle se confronte à Saeko, femme de sa génération, mais séduisante et populaire, elle sombre dans la rumination. Encore une fois, c’est dans le regard de l’autre qu’elle se juge… et se dévalue.

De gauche à droite : Kaori, Rinko et Koyuki. Pas facile tous les jours, d’avoir 33 ans !

« Mais nous ne sommes pas qu’un corps » clament Nika et Arata, les héros de Switch girl !! Le corps, les pensées, les sentiments, tout en nous crie ce désir de vivre tranquillement. Car pour les autres, il y aura toujours quelque chose qui ne va pas : Risa (Lovely complex) est jugée trop grande, Haruhi (Host club) trop plate, et pas assez féminine, Mikako (Gokinjo, une vie de quartier) trop femme-enfant, Ryô (Otomen) est vue comme belle, mais trop masculine… Pour s’éviter le mal de crâne, mieux vaut hausser les épaules et continuer sa route, à l’instar de Haruhi. Bien dans sa tête et dans son corps, l’héroïne avance.

Et si le rapport au corps était avant tout le rapport à soi ? Le corps parfait n’existe que sur Photoshop (et encore…) Ce sont, au contraire, les expériences de la vie qui nous marquent, et font de nous des êtres uniques. Et vous ? Quel regard portez-vous sur vous ? On attend vos réponses dans les commentaires !

Miknass

Chroniqueuse manga, anime, Japon, à la sauce okonomikki. Vive les senbei è_é !!

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