Ambiance sportive, pour ce 5e jour de la Semaine du Shôjo : en attendant de pouvoir reprendre le sport en salle, on s’entraîne avec les héroïnes de mangas !
Quand on pense « manga de sport », on pense souvent aux shônen. Mais les shôjo aussi célèbrent la fille sportive : Attacker you – Jeanne et Serge, Hikari no densetsu – Cynthia ou le rythme de la vie, Ace o nerae! – Jeu, set et match !, Chihayafuru, Jumping, Running girl – ma course vers les paralympiques… Les filles mouillent le maillot, gagnent assurance et en puissance. Une puissance souvent non perceptible, du moins physiquement : la musculature est quasi gommée, la transpiration se confond parfois avec des paillettes (surtout vrai pour les anciens mangas)… Comment allier sport, shôjo et féminité sans tomber dans les clichés ?
Sport, shôjo et féminité
Les clichés de la sportive : virile ou féminine ?
Dans la vie comme dans les shôjo, les préjugés sur les sportives ont parfois la vie dure. Selon les cas, la virilité et tout ce qui lui est associé est exacerbée : attitude qualifiée de “garçon manqué”, coupe de cheveux courte, vulgarité et j’en passe. Ces représentations touchent directement les protagonistes, mais il ne faut pas oublier leur entourage – moralisateur – qui accentue ces clichés.
L’héroïne de Crimson hero, Nobara correspond tout à fait à ça. Passionnée de volleyball, elle est à la fois impétueuse, rustre et arbore une coupe assez courte – du moins au tout début du manga. Sous ses dehors rudes se cache beaucoup de sensibilité mais aussi une jeune fille qui cherche à s’affirmer.
De gauche à droite : Nobara, Yushin, Tomoyo et Keisuke de Crimson hero
Elle souhaite en effet trouver sa propre voie, en dehors de celle qu’on lui a tracée, en tant qu’héritière d’un restaurant réputé. Pour elle, le volleyball, c’est sa raison de vivre ! Mais ce n’est pas ainsi que sa mère voit les choses. Pire ! Selon elle, une fille bien éduquée ne devrait pas faire de sport ! De même, le comportement trop fougueux de Nobara se situe aux antipodes de l’idéal féminin japonais – la Yamato nadeshiko – à savoir une fille équilibrée, humble, gentille, gracieuse, etc.
La pratique d’un sport serait donc associée ici à l’antithèse de la féminité, voire serait même inutile pour une jeune fille qui se doit, avant tout, de demeurer passive de sa vie. Car le sport c’est le mouvement et l’action – territoires souvent associés à la masculinité et la virilité.
Ou alors, l’héroïne sera renforcée dans son apparence féminine, à travers sa tenue de sportive notamment. Là où les garçons disposeront de vêtements relativement amples, les filles seront davantage vêtues de manière courte et moulante. Dans les mangas comme dans la réalité, le sport au féminin se conjugue bien trop souvent avec petit short, jupette, ou body échancré. Il y a quelques jours, lors des championnats d’Europe, Sarah Voss et ses coéquipières ont suscité l’étonnement général en concourant en combinaison intégrale. Le règlement l’autorise, alors pourquoi forcer les filles à porter des tenues courtes et échancrées ? Pour elles, c’est une manière de protester contre la sexualisation du sport chez la femme.
Le mythe du muscle viril
Serait-ce cette même sexualisation qui peine à voir le corps féminin doté de muscles apparents ? Car qui dit sport, dit, en général, développement musculaire. Les femmes, tout comme les hommes, gagnent en musculature ; leur corps se gaine et se renforce. Pourtant, côté shôjo manga, difficile de voir la différence entre l’héroïne sportive et celle qui ne l’est pas.
Des pionniers Ēsu o Nerae! – Jeu, set et match, ou Attacker you – Jeanne et Serge, aux plus récents Prince eleven – La double vie de Midori, et Men’s life, les héroïnes, qu’elles soient élancées ou petites, sont sveltes, et sans musculature apparente. Tout semble fait pour célébrer leur grâce et leur habilité. Les mangas de danse et de patinage artistique sont d’ailleurs surreprésentés dans les shôjo sportifs, confirmant l’idée que ce type de sport serait réservé aux filles (Hikari no densetsu – Cynthia ou le rythme de la vie, Effleurer le ciel, Sugar princess, Passion ballet…)
La fiction reflète la réalité : en France, comme dans nombre d’autres pays, le sport n’échappe pas aux visions stéréotypées. Exemple : la gymnastique rythmique (GR), est l’un des rares sports olympiques encore interdit aux hommes. Le 6 avril dernier, le jeune Peterson Ceus, licencié en (GR) raconte le sexisme qu’il subit dans le documentaire « Ils font bouger les lignes » (Fr 5). En co-créant l’association de défense de l’égalité hommes-femmes en GR, il espère faire évoluer les mentalités. Car le muscle saillant n’est pourtant pas l’apanage des hommes. Tout comme la grâce n’est pas réservée aux femmes. Mais parce qu’il touche à la virilité, le muscle soulève les cœurs et les passions.
Le shôjo Hikari no densetsu
La minute étymologie du Club shôjo : à la base, le mot vient du latin virilitas, dont la racine “vir” veut dire “homme”. Idéal à atteindre, le “vir” est un concentré de puissance, de maturité, de domination, de vigueur, de bravoure, d’audace…
Le “vir” est donc une construction sociale qui tend à s’imposer comme la seule digne d’intérêt, et rabaisse, et le féminin, et le masculin qui n’adhère pas à sa doctrine. Car oui, “viril” et “masculin”, ce n’est pas pareil. Opposé du féminin, le masculin désigne un “ensemble des comportements considérés comme caractéristiques du sexe masculin” (Larousse.fr) – la définition change avec les époques.
On peut donc être masculin sans être viril. Mais l’on sera rejeté par le viril, car perçu comme faible. Le mot “viril”, lui, traverse les siècles en conservant sa vision de l’homme musclé, fort physiquement et mentalement, poilu, dominant, puissant… Le mot n’a d’ailleurs pas d’équivalent féminin, comme si seul un homme pouvait atteindre cet idéal “d’humain parfait”. Mais, loin de la perfection, le mot “viril” contraint tant les femmes que les hommes.
Qui dit « sport », dit muscle ?
Avis à tout-e-s les sédentaires : vous avez du muscle. Même pour cliquer sur votre article préféré du Club Shôjo, il faut de la puissance dans l’index. Rassurez-vous, et poursuivez gaiement votre lecture.
Parce qu’on est habitué à voir des corps masculins taillés comme Hokuto no Ken quel que soit le sport (j’exagère, ok), on a tendance à croire que tous les sports nécessitent une musculature supra-développée. Certains shônen manga suréquipent leurs héros en biceps et en pectoraux. Leurs personnages féminins bénéficient d’un traitement tout autre : développement anarchique de la poitrine (Alexandra Garcia dans Kuroko’s basket) notamment.
Les filles sont les premières touchées par ce déluge de stéréotypes : leur féminité, perçue comme une faiblesse, peut les conduire à embrasser les attitudes dites viriles : démarche, comportement et vocabulaire grossier, comme on l’a vu avec Nobara de Crimson Hero. Or, ces postures sont outrancières en elles-mêmes, et non synonymes à une prétendue virilité. Et quand bien même : quelle gloire peut-on tirer à cracher des insultes à longueur de journée ?
Comme dit plus haut, muscle et grâce sont pour toutes et tous. S’il semble avoir pris le parti de ne pas représenter la musculature féminine, le shôjo manga vote pour l’égalité : dans Gwendoline, personne n’est musclé (à part les chevaux). Idem pour Let’s volley ball ou Prince eleven – La double vie de Midori : héroïnes et héros ont des corps ordinaires.
Dans Prince eleven, c’est « petit visage mignon » pour tout le monde !
Tout de même : n’y a t-il aucune autrice, aucun auteur pour créer une fille musclée ? Car la réduction « le muscle sur une fille, c’est moche » est aussi un préjugé bien ancré dans nos sociétés. Au Japon, cette idée semble encore dominer, mais on avance, doucement. Je sais : tu vas me citer Mikasa de L’attaque des titans. Je vais plutôt te parler de Moare Ota et de son seinen manga Teppu, inédit en France. Dans Teppu, l’héroïne, Natsuo, est musclée, et ça se voit. Le mangaka Naoki Mizuguchi rejoint son collègue et signe Saotome, seinen manga dont l’héroïne, Saotome, est une jeune boxeuse. Le titre sort en France en juin prochain, chez Doki Doki. On espère que ces mangas ne seront pas un prétexte pour verser dans le fan service. Fille musclée, oui, mais si c’est pour traîner en mini-short, non merci. Je pinaille ?
C’est que le hic demeure. On aime bien présenter des filles musclées mais timides et pures, ou alors, froides et violentes. La force physique ne détruit cependant pas la sensibilité. D’ailleurs, on ne marque cette opposition que chez les filles (tant dans les shôjo que dans les shônen). Dans les shônen manga, le héros est fort, et c’est tout. Il est rare qu’on le présente comme “fort, mais fleur bleue”. Il va de l’avant… quitte à réduire son champ de vision. Retour sur Kuroko’s basket : que font les joueurs en dehors des matchs ?
Le shôjo sportif : formule shôjo à la sauce compétition
Le quotidien des sportives
Kuroko’s basket, le it-manga de basket de ces dernières années, peine pourtant là où son aîné, le best-seller Slam Dunk, a réussi : faire vivre les personnages en dehors du terrain.
C’est le grand point fort du shôjo manga : conter le quotidien des héroïnes. Les shôjo sportifs l’ont bien compris, et excellent dans l’art de décrire la vie quotidienne. Chihayafuru regorge de ces scènes banales, qui nous font nous sentir plus proches de l’héroïne, Chihaya, et de ses camarades. On découvre sa famille, son environnement : l’adolescente mène une vie semblable à beaucoup d’autres. On peut s’identifier à elle.
Les shôjo sportifs parviennent à équilibrer les scènes d’action/de matchs, les entraînements, et la vie quotidienne. Les shônen sportifs ont plus de mal. On a cité Slam Dunk. Ils ne passent pas non plus tout leur temps à la cafet’, mais Takehiko Inoue, l’auteur, a réussi a créer cette alchimie avec le lectorat, notamment, via les scènes du quotidien. En comparaison, le très sympathique Captain Tsubasa de Yoichi Takahashi ne semble vibrer que pour le foot ! On le voit si peu en cours qu’on a l’impression qu’il est déjà pro. Idem pour Kuroko et sa team : toujours sur le parquet, jamais dans les cahiers.
À son époque, Gwendoline a marqué les esprits en plaçant l’équitation au cœur de graves problèmes de famille. Ran (Jumping) se redécouvre en s’essayant à l’équitation. Rin aussi (Running girl – ma course vers les paralympiques) reprend goût à la vie et fonce vers une nouvelle ambition, grâce à l’athlétisme. Plus qu’une simple activité récréative, le sport délivre et libère. Les shôjo l’ont bien compris, et mettent en avant des héroïnes en constante progression, tant sur le plan sportif que sur le plan personnel.
Rin, héroïne de Running girl – ma course vers les paralympiques, et ses amis!
Quand progression rime avec évolution du personnage
À la différence du shônen sportif, le shôjo traitant de sport aura tendance à mêler progression de l’héroïne et développement de sa personnalité.
Si au départ cette dernière pêche sur certains côtés, elle va progressivement combler ses lacunes à coups de remises en question – fréquentes – et d’un gros travail pour améliorer ses capacités.
Comme le héros de shônen, elle va chercher à accroître ses capacités en s’entraînant plus durement et/ou en tentant des techniques novatrices. Dans les deux cas, c’est l’arrivée d’un(e) rival(e) surpuissant(e) qui crée cet électrochoc. La défaite lors d’un match joue également beaucoup. Elle aura l’envie de se surpasser – pour elle-même et pour son équipe, comme le sportif de shônen.
Là où la similitude s’arrête, c’est que l’héroïne de shôjo va inclure dans cette montée en puissance une modification de son comportement ou de certains de ses traits de caractère, tout en gardant une certaine cohérence.
Par exemple, dans Kuroko’s basket, le jeune Kuroko va conserver son attitude nonchalante et son caractère plutôt effacé. Mais si on prend Nobara de Crimson hero, elle apprend progressivement à s’adoucir. Elle montre davantage ses faiblesses et s’ouvre aux autres. Elle devient plus humaine, avec ses failles et ses bons côtés. Toutefois, certains shônen réussissent magnifiquement à lier les deux aspects, comme Haikyû!!. J’en veux pour preuve les développements de Kageyama et Tsukishima, entre autres.
En plus du développement, le shôjo sportif va également décortiquer les moindres états d’âme de ses protagonistes. Cela passe principalement par le visuel grâce aux yeux expressifs de ses héroïnes mais aussi via la superposition de plusieurs plans dans une même case – parfois. Ce n’est pas l’apanage du shôjo sportif puisque le shôjo dans sa globalité use de ce recours pour mieux retranscrire les sentiments des personnages. Par contre, dans une situation de compétition, cela aide beaucoup le lecteur ou la lectrice à saisir les doutes des protagonistes. Il y a souvent un tel niveau de détails que cela en donne le tournis.
Yû mise en difficulté par Nami – Attacker You ! Jeanne et Serge
Le sport et le shôjo manga font définitivement une belle alliance. Célébrer les belles valeurs sportives tout en mettant en avant des héroïnes ambitieuses, courageuses et puissantes font la force du shôjo sportif. Le sport ne s’encombre pas des préjugés. Espérons qu’il y ait davantage de shôjo sportifs… avec des filles musclées, allez ! Et toi, quelle est ton impression sur les shôjo sportifs ?