Blue Spring Ride : quand l’amour devient toxique

J’ai pensé, respiré, rêvé Blue Spring Ride pendant de nombreux jours. Je me suis délectée des 13 volumes dessinés et scénarisés par l’autrice Io Sakisaka. Mon petit cœur se serrait régulièrement à mesure que j’avançais dans la narration de cette histoire d’amour aussi complexe qu’émouvante que vivent la pétillante Futaba et le nonchalant Kô. Pourtant au fil de ma lecture certaines scènes m’ont intriguée voire alertée, je me suis alors questionnée en voyant les personnages évoluer et interagir : à quel moment l’amour devient-il toxique ? 

Avertissement : je ne prétends pas parler pour Io Sakisaka. Cet article est tiré de ma réflexion, de ma sensibilité et de ma perception de certains éléments présents dans le manga Blue Spring Ride.

Disclaimer : l’article révèle de nombreux éléments qui constituent des spoilers.

Attention : pour comprendre au mieux mon propos, je recommande d’avoir déjà lu entièrement Blue Spring Ride puisque je parle de l’œuvre dans son intégralité.

Avant toute chose, j’aimerais tout de même signaler que j’ai véritablement adoré cette œuvre qui a été un vrai coup de cœur littéraire pour moi. De fait, je ne souhaite pas critiquer ou mettre à mal l’énorme travail de l’autrice qui a su retranscrire avec justesse de nombreuses émotions et de multiples situations que tout à chacun pourrait connaître au cours de sa vie. Mais c’est aussi pour cela que j’ai été heurtée par certains éléments et propos tenus par les protagonistes.

J’ai conscience qu’il s’agit de personnages très jeunes donc plus susceptibles d’être inévitablement à l’orée de leur apprentissage émotionnel des relations qu’elles soient amicales, amoureuses, ou encore hiérarchiques. Ce qui est jeune est souvent perçu comme innocent et, de fait, je me suis demandée à de nombreuses reprises si ce n’était pas mon âge, mon expérience de vie et mes interactions avec autrui qui m’ont poussée à percevoir le manga sous cet angle.

Toutefois, c’est justement parce que j’ai tellement aimé Blue Spring Ride que j’ai voulu écrire sur le sujet un peu particulier de l’amour toxique qui, pour moi, imprègne les plus récents volumes de l’œuvre. Mais d’abord qu’est-ce que « l’amour toxique » ? Et quelle définition pourrions-nous lui donner pour la suite de cet article ? Je te propose ci-dessous une définition maison, 100 % Kitsu.

Ce qui est toxique est ce qui est met mal à l’aise, blesse et fait en sorte qu’une personne ne puisse pas librement s’exprimer. C’est lorsque sa stabilité émotionnelle et/ou psychologique est mise en péril par une relation qui ne permet pas de pouvoir s’y épanouir entraînant de la culpabilité et parfois de l’exclusion sociale. Une relation toxique prend en compte deux individus : l’un qui se place dans la position de dominant et l’autre qui est sa victime.

Ici, lorsque nous parlerons de relation toxique, j’aborderai seulement celle qui peut se développer dans les relations amoureuses ou même dans les relations ambiguës entremêlées de sentiments. De même, il n’y aura pas qu’une seule relation de Blue Spring Ride mise en avant dans cet article.

Je parlerai tout au long de cet article de thématiques particulières que je relierai à certains personnages, à des situations spécifiques pour étayer mon propos et essayer d’expliquer au mieux la perception qui a été la mienne durant ma lecture. 

À noter également que je ne considère pas les personnages toxiques en eux-mêmes mais seulement des comportements, des réactions qu’ils peuvent avoir. Car les protagonistes de Blue Spring Ride n’ont pas de fond mauvais et ne sont pas à pointer du doigt. En plus de cela, il me faut également préciser, encore une fois, que les personnages sont jeunes et qu’ils ne savent pas forcément que certaines choses sont problématiques. 

Je te ferai culpabiliser 

L’amour toxique peut souvent déboucher sur un processus de culpabilisation envers la personne aimée et, dans le cadre du manga, c’est le personnage de Narumi qui l’illustre le mieux.

Rencontre entre deux adolescents qui se comprennent mieux que personne.

Proche amie de Kô durant ses années collège à Nagasaki, Narumi partage son destin et perd, elle aussi, un être cher d’une terrible maladie. Les deux adolescents ont donc ce terrible point en commun qui hante Kô pendant une bonne partie de la série : comment pourrait-il abandonner Narumi alors qu’elle vient de perdre son père et tous ses repères ? 

Lui-même étant déjà passé par là, il fait alors le choix de choisir Narumi et de laisser de côté Futaba pour qui il a des sentiments. Narumi et Kô se retrouvent ainsi aux prises d’une relation ambiguë sans qu’on puisse trop savoir ce qu’il en est réellement : amour, amitié, sauvetage d’une âme en peine ? 

Les frontières ne sont pas claires et ne permettent pas d’établir, en toute sécurité émotionnelle, un cadre où les deux parties sont consentantes. Leur relation est donc brouillée, trouble depuis le début et personne ne la clarifie véritablement pendant un long moment : d’un côté Narumi n’exprime pas clairement son amour pour le jeune homme et de l’autre côté Kô laisse les ambiguïtés arriver sans les dissiper.

Narumi demande à Futaba d’abandonner.

Le point de vue du lecteur embrasse celui de Futaba au commencement de la narration : alors que la jeune fille essaye de se rapprocher de Kô pour pouvoir peut-être débuter une histoire, elle se retrouve alors confrontée à Narumi qui lui donne tous ses arguments pour garder Kô près d’elle. 

Par ailleurs, c’est la discussion animée entre Narumi et Futaba qui donne des pistes de compréhension au lectorat quant à la situation personnelle de Narumi : pourquoi Futaba garderait-elle Kô près d’elle alors que c’est elle qui en a le plus besoin actuellement ? Et qu’elle seule peut comprendre les affres vécues par Kô ? 

Malgré sa souffrance existante, le personnage joue très largement sur cette douleur commune pour garder Kô dans son sillage : il est dans une cage où il tourne en rond, c’est Narumi qui a la clé mais qui ne veut pas le délivrer. Et si Futaba n’avait peut-être pas tort en disant qu’elle le privait de sa liberté ?

« Pour ça j’utiliserai n’importe quel moyen. »

C’est ici qu’un premier degré de toxicité apparaît à mon sens car Narumi prend les décisions à la place de Kô et ne laisse aucune chance à Futaba de s’épanouir. Elle est prête à tout pour atteindre son objectif, même des pires vices. Elle le reconnaît elle-même. 

Mais est-ce cela aimer ? Si on me posait la question, je répondrais bien sûr que non. À quel moment sa satisfaction personnelle passe-t-elle avant le bonheur de la personne qu’on aime ? Est-il si facile de tomber dans l’emprise pour garder l’autre à ses côtés ? 

Pour Narumi, la ligne est très claire : sa souffrance et son deuil – que je ne minimise à aucun moment – passent avant tout et sont complètement hermétiques à un changement de situation. Il s’agit de l’élément qui la relie à Kô et qui lui donne, en somme, un pouvoir sur lui.

Ne pas lui donner de possibilités.

Le deuxième niveau de toxicité dans cette relation apparaît nettement lorsque Narumi ne tolère pas que Kô puisse goûter à sa liberté. Alors que celui-ci veut s’expliquer avec elle et mettre un terme à la relation toxique qu’ils entretiennent, la jeune fille le laisse délibérément dans l’ignorance pendant de longues journées, ne souhaitant pas le voir pour qu’il ne lui dise pas les mots tant redoutés. 

Mise à distance volontaire, torture psychologique pour celui qui attend. Car Narumi sait pertinemment que Kô n’est pas du genre à ne pas finir proprement leur relation quelle qu’elle soit et qu’il attendra forcément leur rencontre pour pouvoir, enfin, s’accorder un minimum d’attention. 

Violence et chantage.

Dernier niveau de toxicité à travers ce personnage : la culpabilisation de l’autre au moment fatidique de la séparation. Kô, qui peut enfin se confronter à la jeune fille, lui dit qu’il souhaite partir et qu’il ne veut plus être à ses côtés. C’est Futaba qu’il veut et non elle malgré le lien puissant qui les unit. Narumi ne comprend pas : comment peut-il choisir Futaba alors qu’elle sort avec un autre ? Et pourquoi serait-il avec une fille qui ne peut pas le comprendre ? Mais Kô ne cède pas. 

Alors comme dernier recours Narumi utilise des mots durs, violents, blessants pour essayer de le faire rester. Lui faire porter la culpabilité de sa décision pour qu’il revienne dessus et qu’il reste avec elle. Car il vaut mieux qu’il soit près d’elle pour de mauvaises raisons plutôt que de ne pas l’être du tout. 

Et c’est là que pour moi l’amour toxique prend toute son ampleur dans cette relation : si l’autre veut partir alors il faut le briser, lui dire que c’est une mauvaise décision et qu’il le regrettera. Bien loin d’une relation saine et épanouissante car, même lors des séparations, il faut toujours faire preuve de respect et accepter, même si c’est douloureux. 

Ne détourne jamais le regard sinon…

Autre relation qui m’a énormément fait réfléchir : celle que développe Tôma avec Futaba. Alors oui j’ai trouvé Tôma relativement mignon et le personnage m’a touchée par sa sensibilité. Néanmoins derrière ce sourire angélique je n’ai pu m’empêcher de brandir des red flags lors de certains moments : l’emprise n’est jamais bien loin.

Tôma débarque dans la vie de Futaba presque par hasard, par une rencontre bien trop gênante dans la bibliothèque du lycée. Passés les premiers moments de honte ultime pour les deux adolescents, Tôma décide d’aller de l’avant et commence à discuter de plus en plus avec elle. C’est ainsi qu’il développe des sentiments envers la jeune fille malgré l’ombre de Kô qui hante ses pas. De plus, la relation qu’elle partage avec Kô se dégrade progressivement, et Tôma décide d’en profite pour se faufiler dans la brèche. Car son objectif est simple : remplacer Kô dans le cœur de Futaba. 

Il faut se faire une place dans son cœur.

Personnellement, ça m’a tout de suite alertée et je n’a pas pu m’empêcher de faire des parallèles avec les comportements de Narumi. Un premier niveau de toxicité se dessine ici puisque Tôma se place dans une véritable guerre d’égo avec Kô : le premier qui réussit à conquérir Futaba sera le vainqueur et l’emportera définitivement. 

Je ne peux que pointer ici avec regret le rôle attribué, d’une certaine manière, au personnage principal : celui d’être en quelque sorte une récompense pour celui qui dominera l’autre. Même si les sentiments de Tôma sont sincères il y a, malgré tout, un challenge pour le jeune homme car il sait qu’il part de rien. Il connaît l’amour de Futaba envers Kô mais veut tout de même se faire une place. 

Commence ainsi leur rapprochement puisque Tôma n’est jamais loin et fait tout pour pouvoir profiter de sa présence à celle qu’il aime. Jusque là je n’ai rien à redire et je serais la première à dire que c’est en quelque sorte normal, compréhensible. Pourtant le comportement de Tôma devient, pour moi, insidieusement problématique au fur et à mesure que sa relation avec Futaba progresse.

Tout d’abord, il part sur le principe de la bienveillance. Rapidement, il se jette à l’eau et propose à Futaba de sortir ensemble, assumant ainsi ses sentiments pour elle. Il souligne le fait « qu’il l’aime pour ce qu’elle est », contrairement à Kô qui se joue d’elle. C’est implicite mais le message passe. Douloureux pour la jeune fille qui est totalement perdue. Finalement, on ne peut que pointer du doigt le fait que Kô soit toujours au centre des conversations et qu’il soit un élément aussi central dans les relations entre les personnages. 

Ne plus lui donner le choix : il lui faut répondre.

De prime abord, il accepte qu’elle prenne son temps, qu’elle réfléchisse à cette possibilité de former un couple même si – et Tôma le sait – Futaba éprouve toujours de l’amour pour Kô. Pourtant, il ne peut s’empêcher de toujours lui faire comprendre que lui est là, qu’il est près d’elle : alors pourquoi ne la regarde-t-il pas ?

Ce qui a commencé à vraiment me déranger dans les actions de Tôma c’est lors de leur fameux rencard au parc. C’est d’ailleurs à ce moment précis que se croisent les désirs toxiques et égoïstes de Narumi et Tôma. 

En effet, Narumi a fait venir Kô dans le parc car elle a surpris une conversation téléphonique entre Futaba et Tôma. Son objectif est alors de les croiser « par hasard » pour que Kô se rende enfin compte de « l’inutilité » de ses sentiments.

Quant à Tôma, il profite de cette machination lorsque Futaba se rend compte de la présence de Kô dans le parc : blessée et malheureuse de voir son ami avec Narumi, il s’engouffre dans la brèche de son cœur pour la pousser dans ses retranchements. 

Vois-tu à quel point il est impossible de t’accrocher à ce garçon ? Moi je suis là et tu me fais toujours attendre ? Tel est le message que veut faire passer Tôma à Futaba. Le piège se referme alors sur la jeune fille qui accepte de sortir avec lui puisque, tout simplement, Tôma est là. Il la presse. Il a bien trop attendu et elle doit prendre une décision. Et puis finalement il a bien des qualités alors pourquoi pas ?

Chasser Kô de son esprit.

Plus j’avançais dans la série et plus j’étais abasourdie par les scènes que j’avais devant moi et les comportements de Tôma. Okay, comme dit plus haut, c’est sûrement mon âge et mon expérience de vie qui fait que je réagis de cette manière mais malgré tout je souhaite en parler parce que, merde, des fois c’est pas normal ! 

Deuxième grosse scène où mes dents ont grincé : celle de la bibliothèque. Kô vient d’apprendre que Futaba est désormais en couple avec Tôma, il s’élance vers le bâtiment pour la retrouver. Il arrive. Scène remarquablement belle du fait de sa grande technicité artistique qui s’ouvre à nous : Futaba et Kô se font face, les mains posées l’une en face de l’autre à travers les vitres.

Puis Tôma arrive, prend la trousse de couture de Futaba des mains de Kô (qui a trouvé un prétexte au dernier moment) et mène toute la conversation. Et là je dis non. Car c’est à partir du moment où l’autre dépossède de sa possibilité d’agir et de parler que commence l’enchaînement de la liberté.

Tachibana Kisyun et sa perception.

Et c’est cette liberté d’être que Futaba perd progressivement au fil de sa relation avec Tôma. C’est d’ailleurs à mon avis l’ami de Tôma, Tachibana Kisyun, qui symbolise ce manque d’épanouissement personnel et cet emprisonnement. 

Il a clairement indiqué que Futaba ne peut plus, ou du moins doit, très largement réduire ses interactions avec Kô. Pourquoi ? Eh bien parce que cela fera de la peine à Tôma, cela le blessera et qu’elle ne doit voir que lui. D’une certaine manière, c’est le retour de boomerang de cette relation : même si Tôma l’a acceptée comme elle était avec ses sentiments existants pour un autre, elle ne peut pas non plus continuer de montrer ouvertement son amitié / sa relation ambiguë avec Kô. Car si elle montre ne serait-ce qu’un signe amical envers lui, elle se fait réprimander, on lui remet sous le nez la souffrance que peut éprouver Tôma. À quel point c’est mal de se comporter comme ça. 

Ainsi, j’ai perçu une Futaba contrainte et angoissée dès la deuxième partie du manga. Une Futaba qui se restreint au quotidien et qui se force à évacuer Kô de sa vie. Car elle ne veut pas blesser le garçon génial qu’est Tôma, celui qui lui a avoué son amour et qui tient sincèrement à elle. Mais alors pourquoi Tôma a voulu sortir avec elle si c’est pour souffrir ? 

« Je dois vraiment regarder plus Kikuchi. »

Pour le coup, j’ai vraiment eu de la peine pour notre petite Futaba à l’épisode du parc d’attraction durant le séjour scolaire. Alors qu’ils sont à Nagasaki, ville où Kô a perdu sa mère, la jeune fille ne peut pas lui parler de peur de faire de la peine à Tôma, et elle ne peut pas être présente pour lui dans ces moments difficiles. 

Elle demande même à Kominato de veiller sur lui pour elle puisqu’elle ne le peut pas. Ce n’est pas permis, et Kisyun le lui rappelle à de nombreuses reprises. Alors évidemment les situations cocasses s’enchaînent pour notre héroïne qui se retrouve collée à Kô contre son gré. 

Mais je me suis mise à sa place et j’ai trouvé que sa situation n’avait rien d’enviable : Futaba est toujours en train d’angoisser à l’idée que Tôma puisse la voir avec Kô, à l’idée que quelqu’un s’imagine qu’elle le séduise ou qu’elle ait un comportement ambigu. Elle se plie davantage aux injonctions en voulant à tout prix prouver à Tôma qu’il compte pour elle, qu’elle le privilégie. Il lui faut des preuves. 

Au final, je trouve qu’elle devient une autre personne à partir de ce moment-là. Elle perd de sa vitalité et se retrouve sous l’emprise de ce qu’il pourrait advenir de Tôma si elle le blessait sans faire exprès. Car il ne le mérite pas. Et au final elle culpabilise pour ce qu’elle est. De cet amour naît une culpabilité, une souffrance d’être, signe qui ne trompe généralement pas. Signe d’une relation toxique.

De mes silences, tes souffrances

Autre aspect que je voulais absolument évoquer dans mon article : le comportement de Kô lui-même qui se révèle souvent – très souvent même – source d’incompréhension et de douleurs pour Futaba. 

Il vaut mieux casser son téléphoner que dire la vérité Kô ?

Avec Kô, c’est finalement un peu la loi du silence. Il ne s’exprime que très peu et ne parle quasiment pas de ce qu’il ressent. La seule personne qui arrive à briser sa carapace au bout de quelques volumes est son ami Kominato qui le pousse justement à s’épanouir et à communiquer

Petite chose que je souhaite préciser avant de me lancer dans cette nouvelle réflexion, et qui fait écho à ce que j’ai dit plus haut, je ne pense pas que Kô soit toxique mais ses réactions peuvent l’être sur le long terme. Ainsi Kô ne dit jamais à Futaba ce qu’il en est même si ses actions parlent pour lui-même. Sauf que Futaba n’est pas omnisciente et qu’elle ne sait dans quel état d’esprit est Kô : car lui qui est si nonchalant et détaché des autres ne parle pas des choses qui comptent. 

Instant volé.

Pendant une très longue partie de l’histoire, Futaba ne sait pas comment définir la relation qu’elle entretient avec Kô : sont-ils amis ? Sont-ils amoureux ? Ou alors ne sont-ils pas justement rien ? La jeune fille est perdue et l’arrivée de Narumi n’arrange en rien la situation. 

Elle qui n’était plus qu’à un millimètre de Kô se retrouve alors propulsée à des dizaines de mètres loin de lui. Et pourtant Kô lui montre, à sa manière, qu’il tient à elle. Mais lorsque Futaba fait un pas vers lui, il en fait toujours de recul, incapable de lui répondre et de pouvoir affirmer quelque chose. 

Car , et je le conçois totalement, ne peut pas s’attacher de nouveau. La perte de sa mère l’a marqué d’un fer rouge et il ne veut pas prendre le risque de perdre une nouvelle fois quelqu’un. Pourtant, paradoxalement, c’est ce qu’il fait avec Futaba car c’est son silence qui installe une distance entre eux

Et lorsqu’il s’aperçoit que la jeune fille ne court plus derrière lui pour réduire ce fossé, Kô se rend compte de son erreur et veut entamer un changement. Par ailleurs, en y réfléchissant bien, on pourrait comparer son voyage, que dis-je son pèlerinage, à Nagasaki comme une sorte de renaissance lui permettant de se libérer du passé et de se défaire de la culpabilité qui le ronge de l’intérieur. 

Comme si un simple « Oui. » pouvait tout expliquer.

Le silence devient toxique lorsqu’il véhicule de la souffrance, de l’incompréhension et laisse dans le flou. Alors que Narumi veut clairement enchaîner Kô auprès d’elle, Kô ne se défait pas de son emprise. Il garde le silence, ne dit rien et ne se rebiffe jamais. Car il pense que c’est la meilleure chose à faire pour elle, pour lui, mais est-il seulement capable à ce moment-là de s’exprimer ?

Son obstination de taire la vérité a des conséquences terribles sur sa relation avec Futaba : la question du baiser en est révélateur. Parce que Kô embrasse Futaba sans lui en expliquer la raison et il s’avère aussi (je le reconnais) que Futaba a une fâcheuse tendance à poser les mauvaises questions

Elle lui demande alors si c’est vrai pour son baiser avec Narumi et s’il avait des sentiments pour elle à ce moment. La réponse est « non » ce qui plonge davantage Futaba dans la perplexité et l’incompréhension : alors se pourrait-il qu’il l’ait embrassée juste sous le coup de l’ambiance ? Et non parce qu’il partage ses sentiments ?

Encore une fois Kô n’est pas capable de s’exprimer, de faire sortir la vérité, de lui dire qu’avec elle c’est différent. En plus de ça, c’est d’autant plus dommage lorsqu’on apprend à la fin de l’œuvre les circonstances du fameux baiser échangé avec Narumi. Peu glorieux. 

Ne rien dire, ne rien avouer.

Alors finalement, c’est surtout ce silence qui pèse sur le moral de Futaba et qui la fait souffrir. Souvent, c’est ce manque de communication qui s’avère toxique : on ne parle pas, on n’exprime pas ce qu’on ressent, on ne dialogue tout simplement pas dans une relation qu’on peine à construire. 

Cela conduit à des quiproquos, des situations d’incompréhension entre les deux parties qui ne savent plus sur quel pied danser. Pas étonnant que nos deux lycéens aient du mal à se trouver tout au long de l’œuvre. Comment se confronter lorsqu’on ne se parle pas ? C’est cette leçon finale qui permet d’ailleurs à Futaba de se rendre à l’évidence quant à Tôma, quant à ses sentiments, pour enfin être en accord avec qui elle est. 

De fait, la deuxième partie du manga met, pour moi, vraiment en exergue la conséquence toxique que peut entraîner le silence : d’un côté comme de l’autre les personnages souffrent et Futaba ne peut avancer sans avoir le fin mot de l’histoire.

Pour toi je changerai

J’ai pu développer ma réflexion au fil de cet article et une dernière thématique me tient à cœur comme sujet : celle de changer pour l’autre, de devenir une autre personne pour plaire, se conforter à une image autre que la nôtre.

« C’est censé entraver ma liberté. »

Alors oui, c’est toujours agréable de donner le maximum de soi-même pour plaire à la personne qu’on aime, pour que cette même personne nous voie avec des yeux nouveaux et qu’elle tombe sous le charme. 

Cette représentation est survalorisée dans la culture populaire que cela soit dans les mangas, les films, les séries. Elle l’est également dans la vie courante. Malgré tout, comme on peut le voir à chaque fois dans ce type d’œuvres, il y a toujours un couac à vouloir être quelqu’un de différent pour une tierce personne. 

La moralité est toujours la même : tu ne peux que plaire en étant toi-même. Point barre. Mais alors pourquoi notre Futaba veut changer insidieusement tout au long de son développement ? Elle-même avait déjà entamé une phase de changement radical dès son entrée au lycée : pour passer inaperçue auprès des garçons et pour se faire des amies, elle est devenue « moins féminine, plus rustre » mettant en avant une maladresse de façade qu’il lui permet de se protéger. 

Futaba, à mon sens, a du mal à accepter sa véritable identité puisqu’elle est toujours en train de réagir différemment de sa nature profonde. Elle s’est fait rejeter pour cette ladite personnalité. Alors pourquoi continuer à la garder ? 

C’est pour cela que la scène avec le shampooing est certes anecdotique mais elle permet tout de même de mettre en exergue la fragilité du personnage sur cette question. Et changer pour quelqu’un, que cela soit demandé ou non, apporte rarement du bon dans une relation et dans son estime de soi.

T’en penses quoi Futaba ?

Cette volonté de se conforter à ce que l’autre souhaite ne quitte pas le personnage de Futaba durant son développement : par exemple lorsque Kô lui dit une première fois que le maquillage ne lui va pas, elle n’en met donc plus. 

Lorsque qu’elle se fait éconduire par ce dernier, elle décide de changer de nouveau, d’entamer une nouvelle transformation : redevenir celle qu’elle était au collège et que, du coup, nous ne connaissons pas. J’ai vraiment perçu ce changement de manière assez étrange puisque je m’étais énormément attachée à la Futaba du début. C’est un peu comme si un nouveau personnage apparaissait devant moi durant ma lecture et j’en ai été surprise. 

Après, évidemment, je suis moi-même connaisseuse de la fameuse technique de « vouloir lui faire regretter amèrement et qu’il / qu’elle en pleure des larmes de sang », et je pense qu’il s’agit probablement (je préfère prendre des pincettes malgré tout) d’un mécanisme de défense purement humain. 

C’est aussi une manière de vouloir tourner la page, montrer sa force et sa résilience, et que rien ne peut atteindre. Concernant Futaba, je trouve simplement que ça va assez loin car elle décide de perdre du poids : un kilo et demi. Tout de même. 

Et c’est là où je pointe du doigt les retors toxiques de vouloir conformer son image et sa personnalité à des attentes qui ne sont pas les nôtres. Puisque Futaba décide de rire désormais moins fort, de se faire moins remarquer, d’être plus féminine et plus apprêtée, elle opère une transition qu’elle n’a peut-être pas choisie dans le fond.

Quelle idée.

Élément déjà abordé dans la partie sur Tôma : le changement de personnalité de Futaba lorsque celle-ci se met à sortir avec le jeune homme. Je trouve cela particulièrement marquant durant l’arc narratif de Nagasaki. En effet, la jeune fille n’ose plus rien faire lorsque Kô est dans les parages, elle n’ose plus lui adresser la parole de peur de se faire rabrouer, de se faire signaler qu’elle a outrepassé les limites tacites imposées par sa relation. 

Pour moi, c’est vraiment l’illustration de cette obligation d’être qui s’impose dans les relations que l’on peut qualifier de malsaines et de toxiques : au final Futaba ne doit pas être naturelle, elle ne peut pas se comporter comme elle le souhaite et marche en permanence sur des œufs. Est-ce vraiment cela avoir une relation saine ?

Pardooooon ?

Dernière scène que je voulais absolument incorporer dans cet article : le moment où Tachibana Kisyun insinue (bon ok il le dit clairement) à Futaba qu’elle est une salope. Tout ça parce qu’il l’a vue avec Kô, et c’est reparti pour un bon moment de culpabilisation intense

Ce qui m’a fait vraiment mal sont les tomes où Futaba change de comportement, et finalement ce sont les mêmes tomes où elle est en couple avec Tôma. Pour ma part, je n’ai pas trouvé qu’il s’agissait d’une relation saine et j’ai été soulagée de voir qu’elle se séparait de lui. Car, à mes yeux, c’était synonyme de retrouvailles avec elle-même, avec son intériorité et ses sentiments. Elle se libère ainsi de l’emprise qu’exerçait sa relation avec Tôma. Enfin. Mais il lui faut désormais retrouver la voie qu’elle a longtemps oublié de tracer à cause des autres, et des sentiments qu’elle devait taire.

Pour conclure cet article très long, je souhaite sensibiliser sur le fait qu’à tout âge il faut s’écouter, se faire confiance et apprendre à quitter des situations qui ne nous conviennent pas ou plus. On a le droit. C’est ok. Et, malgré le fait que Blue Spring Ride soit un shôjo, je voulais écrire sur cette thématique d’amour toxique qui m’a sauté au visage lors de ma lecture. Car il vaut mieux prévenir que guérir.

Kitsu

Mon mantra : shôjo et chocolat 🍫

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1 commentaire

  1. Super article ! J’aime bien lire ce genre de billet transversal; top !
    On fait souvent peser sur les filles le poids de tout ce qu’il arrive. Elles sont, au mieux, un trophée que les hommes se disputent, au pire, des tentatrices coupables d’adultère dès qu’elles saluent un gars. J’exagère (quoique O_O).
    Comme tu le montres dans l’article, l’adolescence explique beaucoup de chamboulements, mais n’excuse pas tout, bien sûr^^. Certaines attitudes sont clairement faites pour s’approprier l’autre, le blesser. Les ados ont la conscience de ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Je pense qu’ils sentent bien quand ils sont limites, mais le font quand même, car « à la guerre comme à la guerre », ou alors, parce qu’ils ne peuvent réfréner leurs sentiments… toxiques, en premier pour eux, d’ailleurs^^
    Effectivement, les silences de Kô sont parfois terribles. Futaba aussi, avec ses raisonnements tordus, m’a plus d’une fois fait sortir des « frzfgjkgr !! » Elle correspond hélas à cette vision déformée de fille de shôjo romantique, qui semble se construire uniquement sous le regard (masculin). Un peu de poigne, jeune fille. Prenez exemple sur Haruhi de Host Club ! En poussant la réflexion, on peut espérer que ces expériences malheureuses leur permettent d’aller de l’avant (surtout pour Narumi, Tôma, et son pote qui insulte les gens !). C’est aussi ça, grandir^^

    A l’époque, j’avais testé Blue spring ride, voulant lire un shôjo romantique. Au final, c’était trop pour moi ahah. Je pensais souvent, à mesure que je tournais les pages : « diantre, mais ils ne parlent vraiment que d’amour !! »

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