Lancer votre boîte en pleine crise économique, ça vous tente ? C’est le pari risqué que se relève Kaoru, héroïne de &- and. Alors, ça passe, ou ça casse ?

& – and est le premier manga de Mari Okazaki que j’achète. Il était temps ! Je me suis toujours dit que j’allais me procurer une de ces œuvres un jour. Je me laisse séduire par le titre énigmatique et la jolie couverture du josei. Ce n’est qu’après avoir lu le tome que je réalise : l’œuvre est signée Mari Okazaki !

Nouveau départ

Kaoru, 26 ans, est secrétaire médicale dans un hôpital. Si elle semble apprécier son travail, elle regrette le machiste ambiant. La hiérarchie pesante n’arrange rien. Les médecins prennent de haut les salariés comme Kaoru. Les patients se montrent parfois tout aussi indélicats. Heureusement, la jeune femme peut compter sur Miyuki, infirmière, quoique cette dernière surfe sur les sexistes, prête à tout pour se remarier. Kaoru, elle, a une autre ambition : ouvrir un salon de manucure nocturne, pour permettre aux femmes de décompresser. Las, la salariée enchaîne les désillusions. Mais quand elle tombe sur Shiro, un ancien camarade devenu programmateur informatique, elle reprend espoir. Le jeune homme est son propre patron, et n’occupe qu’une partie de son entreprise…

Les rêves et la crise

Si Mari Okazaki publie son manga bien avant la pandémie (2010, chez Feel Young, magazine de la Kôdansha), il colle toujours à l’actualité. Le Japon est déjà en crise en 2010, et fait notamment face au drame toujours présent des freeters. En constante progression depuis l’éclatement de la bulle spéculative (années 90), ces travailleurs irréguliers sont exposés à une grande précarité. Les femmes sont particulièrement impactées par ces formes de contrat : baito, petits jobs… L’on comprend mieux pourquoi Kaoru tient à garder son emploi. J’ai bien aimé cette maturité, loin de tout transport héroïque. Mieux vaut assurer ses arrières. Ça ne remet pas nos ambitions en question, au contraire. Kaoru montre son pragmatisme, quoique cela ne semble pas suffire à convaincre les collègues de son ami Shiro. Monter un salon de manucure nocturne, est-ce vraiment l’idée du siècle ?

Des rêves précaires ?

Comme dit plus haut, & – and – colle parfaitement à notre actualité secouée. La crise sanitaire a paradoxalement réveillé les rêves enfouis. Ces rêves n’empêchent pas d’être lucide : la précarité menace plus que jamais. Selon le Bureau des statistiques du Ministère des Affaires Intérieures et des Communications du Japon, plus d’un million de femmes entre 24 et 34 ans exerçaient un baito (petit boulot, emploi précaire) en 2020. Les hommes de la même tranche d’âge sont à peine 380 000. Si les jeunes employées rejoignent, et dépassent légèrement les hommes (en moyenne, 270 000, contre 220 000 hommes), l’addition de toutes les formes de contrats irréguliers montre que les femmes sont globalement plus exposées que les hommes à la précarité.

C’est peut-être pour cette raison que Chazawa, salariée de Shiro, fustige le projet de Kaoru. Pour elle, c’est à cause de gens comme Kaoru que les femmes sont prises de haut. Ici, Mari Okazaki fait se confronter plusieurs visions : Chazawa, tête sur les épaules, est la femme indépendante et responsable. Miyuki et ses idées arrêtées : « se caser avec un homme, c’est le plus important pour une femme…» joue presque les fatalistes. L’on sent que Kaoru, même si elle croit en son projet, hésite : « en tant que femme, je ne donne peut-être pas la priorité aux bonnes choses » Mais qu’est-ce qu’être une femme ? Et quelles sont « ces priorités » qui seraient dévolues aux femmes ?

Un mot sur les personnages masculins : à l’hôpital, ce sont des médecins renommés, les femmes étant « reléguées » au rang d’infirmières… avec tous les préjugés et toutes les injustices que cela implique. Même si la population se féminise lentement, le domaine médical japonais reste encore largement masculin. Mari Okazaki a-t-elle voulu coller à la réalité ? J’avoue : mon côté girl power aurait apprécié des médecins femmes et des infirmiers. On en verra peut-être dans les prochains tomes. La mangaka a peut-être voulu jouer sur les paradoxes : ses hommes médecins ne sont doués que pour leur métier. Ils ont une personnalité exécrable et des comportements sexistes. L’un deux semble cependant cacher un lourd secret. C’est justement ce secret que Kaoru découvre. Elle qui commence une nouvelle vie d’entrepreneuse n’avait peut-être pas besoin de ces révélations. Désormais, rien ne sera plus comme avant.

& – and – tome 1
En bref
J’ai bien aimé ce premier tome. Il nous dépeint la terrible vérité du monde médical, où les soignants sont perçus tantôt, comme les instruments du miracle, tantôt comme des objets de malédiction. On le voit avec cette crise sanitaire qui n’en finit plus de prendre des vies et de bouleverser des destinées. Kaoru essaye courageusement de construire son monde, havre de paix pour elle, et pour toutes les femmes soumises aux injustices du quotidien. Le tome 2 est sorti le 21 mai dernier. J’ai hâte de le découvrir ! Et toi, serais-tu prêt-e à te lancer dans un nouveau projet pro malgré la crise ?
Scénario
8.5
Personnages
8
Dessins
7
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0
Point(s) positif(s)
L'audace de Kaoru
Shiro est touchant !
Chazawa, girl boss
Point(s) négatif(s)
La vision de Miyuki : sérieux, meuf !
Le sexisme ambiant à l'hôpital
7.8
Note globale

Asa

Chroniqueuse manganime, avec des drama pour les épices ~

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