Halloween, c’est peut-être passé mais toutes les occasions sont bonnes pour lire de l’horreur. N’est-ce pas ? Alors, pourquoi ne pas frissonner un peu avec Baptism, le splendide récit de Kazuo Umezu, également connu comme étant le père de ce genre en manga ? Ce shôjo en quatre tomes au format bunko aborde avec finesse les travers de la psychologie humaine pour mieux nous les rendre effrayants.
Avec Baptism, je m’embarque dans un genre que je n’avais jamais véritablement exploré auparavant : l’horreur. Je suis une froussarde dans l’âme, préférant regarder un thriller en pleine journée bien blottie sous mon plaid – avec l’assurance que ma porte est bien verrouillée. C’est donc avec un regard plutôt neuf que j’ai abordé ma lecture, n’ayant pas d’autre point de comparaison pour l’instant.
Adulée de toutes et tous, Izumi Wakakusa est une actrice à la beauté renversante. Seulement, cette apparence n’est qu’illusion. Elle dissimule, sous son fard gras, une tache prenant la moitié gauche de son visage. Cette fascination pour son physique dure depuis son enfance, et plus elle prend de l’âge, plus elle se dégoûte.
Désespérée de retrouver sa beauté passée, elle suit les conseils de son médecin traitant. C’est ainsi que quelques mois plus tard, elle donne naissance à Sakura et s’éloigne des feux des projecteurs. Elle vit désormais avec sa petite fille de dix ans à l’extrémité de la ville. Mais l’ancienne actrice passe son obsession sur cette dernière, en voulant à tout prix qu’elle soit la plus belle. Elle en devient même extrême, prête à tout pour la protéger de tout ce qui pourrait ternir son apparence… Mais pourquoi ? Quels sont les conseils de ce fameux médecin ?
Avant de commencer, balayons tout de suite le seul point négatif que j’ai trouvé : le format de cette série. Si je trouve que le bunko (équivalent d’un A6) est très mignon sur le papier, à la prise en main c’est un peu plus difficile. Sa taille réduite fait que les cases le sont tout autant, bien que restant lisibles. Malgré tout, avec un peu d’habitude, on finit par ne plus y prêter attention.
L’horreur dans toute sa « splendeur »
Baptism est une histoire horrifique dans sa plus pure tradition. Elle mélange tension de tous les instants, scènes cruelles et peur ressentie par les personnages. Le malaise n’est pas non plus absent dans cette œuvre qui vise à nous confronter à nos propres limites.
Ces émotions perdurent tout au long de la lecture. Mais lorsque l’on pense avoir atteint un plafond dans l’horreur, celle-ci nous offre un nouveau visage encore plus intense. Il n’y a aucun répit pour les protagonistes, plongés dans leurs turpitudes. Ainsi, leur effroi ne fait qu’augmenter ; notre inquiétude aussi.
Que je te rassure ici, il n’y a pas de gore à l’excès, sans être toutefois absent. N’étant pas friande de l’hémoglobine pour l’hémoglobine, je suis bien contente avec ce shôjo de Kazuo Umezu, puisque cela reste mesuré. Le gore sert simplement ici à magnifier nos émotions, et triturer encore plus nos différents protagonistes.
Le mangaka dépeint avec beaucoup de justesse et réalisme ces visages apeurés, si bien que nous y croyons réellement. La terreur qu’ils expriment face aux situations vécues est palpable : leur visage se déforme d’autant plus que la peur les paralyse.
Izumi constate avec effroi les marques du temps sur son visage
Qui plus est, le découpage des cases, qui parfois se succèdent pour montrer une action continue, augmente le suspens et le mystère. Certaines actions, les plus effrayantes ou horribles, sont ainsi passées au scalpel, de sorte à allonger leur effet. C’est un peu comme si la caméra se braquait sur un détail particulier pour ensuite nous montrer l’ensemble de la scène, pour zoomer à nouveau sur un autre aspect de celle-ci.
Comme je le disais en amorce de cette partie, l’horreur ne se sépare que rarement du malaise. Ça, Kazuo Umezu l’a bien compris. Dans Baptism, le dégoût ne provient pas seulement de passages plus ou moins chargés en événements effrayants. Il s’attarde aussi sur certains comportements – moralement et légalement discutables – des personnages. Il m’est en revanche difficile de t’en dire plus, sans éviter le spoil. Je pense d’ailleurs que c’est ce qui m’a le plus effrayée : je me suis parfois demandée jusqu’où l’auteur s’arrêterait.
Maintenant, je trouve que ce manga constitue une excellente porte d’entrée si l’on veut s’intéresser – « en douceur » – au genre horrifique dans le shôjo.
Plongée au cœur de la psychologie humaine
Baptism est une série parue au Japon entre 1974 et 1976, elle approche donc des 50 ans. Pourtant, l’œuvre a très bien vieilli, du fait de ses thématiques fondamentalement actuelles. Elles donnent encore matière à réfléchir de nos jours.
Ce récit est d’ailleurs l’occasion pour Kazuo Umezu de nous emmener avec lui dans les plus profonds tourments de la psychologie humaine. L’horreur sert ici de prétexte pour sonder l’âme humaine…
Quand la colère se transforme en rage : Izumi accepte de moins en moins ce visage
Qu’est-ce qu’une mère pour sa fille ?
Qu’est-ce qu’une fille pour sa mère ?
Et…
Qu’est-ce qu’une mère donne à sa fille ?
C’est sur ces mots que commence cette histoire singulière, traitant avec minutie des délicats rapports entre une mère et sa fille. En les relisant après avoir terminé Baptism, je comprends d’autant mieux leur portée.
Qu’est-ce qu’une mère pour sa fille ? Pour Sakura, sa mère représente un pilier, une attache et la stabilité du foyer (elles ne vivent que toutes les deux). Elle l’aime profondément et est capable d’accepter toutes ses excentricités. La fillette, qui ne se rend compte de rien au départ, puisque c’est son unique modèle, minimise son comportement, déclarant que sa mère a « trop d’attachement » pour elle.
Qu’est-ce qu’une fille pour sa mère ? Lorsque Izumi donne naissance à sa fille, c’est dans un but bien précis. Il y a donc un dessein caché derrière tout ça, dont la révélation est des plus glaçantes… Très rapidement, on comprend que la relation qu’elle noue avec Sakura est malsaine. Elle se montre surprotectrice au point où cela en devient maladif. Contrairement à Sakura, elle ne tolère pas que celle-ci dispose de sa propre volonté. Elle en fait donc un objet, qui représente en quelque sorte une extension d’elle-même, plus jeune, plus belle, qu’elle peut façonner à sa guise.
Qu’est-ce qu’une mère donne à sa fille ? D’une part, il est bien sûr question de génétique dans le sens où Sakura apparaît aussi jolie que sa mère l’était à son âge. D’autre part, on pourrait aussi le concevoir de manière plus symbolique. Qu’est-ce que Izumi peut transmettre à sa fille ? Sa peur de vieillir ? Ses obsessions sur son physique ? Les réponses à ces questions ne se trouvent pas immédiatement, on les comprend bien plus tardivement – à la toute fin de l’histoire.
Plus concrètement, j’ai pensé à ces parents qui essaient de faire vivre leur rêve (qu’ils n’ont pas atteints) à travers leurs enfants, avec toutes les dérives que cela suppose.
Cette relation mère-fille s’explique d’ailleurs en grande partie par la peur irrépressible d’Izumi de voir sa beauté se flétrir. En effet, elle, qui a toujours été au sommet de sa gloire grâce à son physique avantageux, voit la roue tourner au fur et à mesure que son visage se marque. On pourrait trouver cela superficiel, mais lorsque l’on voit aujourd’hui encore les critiques qui sont faites sur les femmes âgées de plus d’une trentaine d’années, finalement sa peur ne paraît pas sans fondement. Elle est exagérée pour intensifier le côté dramatique et donner du corps à l’histoire. Sans ça l’horreur ne peut pas prendre !
Un récit théâtral
Baptism tient également sa réussite – à mes yeux – dans sa narration superbement maîtrisée.
Repas – en toute innocence – entre les camarades de Sakura et leur professeur
Kazuo Umezu nous manipule du début à la fin, pour nous mener là où il le souhaite. Il s’aide pour cela d’un narrateur quasi inexistant. Sa présence se limite à trois apparitions – dans mes souvenirs : une au commencement en guise de prologue, la suivante pour expliciter l’ellipse et la dernière à la toute fin pour la morale. En dehors de ça, nous ne pouvons compter que sur ce que nous voyons.
Il n’y a pas de mise en perspective de l’action pour nous aiguiller sur sa compréhension : c’est à nous de trouver les clés et/ou de nous laisser porter. Nous créons ainsi nos propres conclusions, tout en tentant de supposer ce qu’il pourra se passer. De mon côté, c’est un aspect que j’apprécie vraiment, même si je peux concevoir que cela déstabilise.
Petite séquence, sans paroles, mais qui ne rassure pas
De plus, les effets de surprise et retournements de situation sont légion, donnant un côté théâtral et grandiose à l’histoire. Ceux-ci sont amplifiés par des effets graphiques de toutes sortes (effets de zoom, vitesse, halo, etc.). Si certains paraissent attendus, d’autres se manifestent sans que l’on n’ait rien vu venir. Pendant la quasi totalité de la série, nous nous situons du point de vue d’Izumi pour commencer, puis celui de Sakura. Seule la chute nous délivre de cette prison, en offrant une focalisation différente.