C’est avec une grande impatience que j’attendais le premier volume de Barbarities scénarisée par l’autrice Tsuta Suzuki. Édité par les éditions Taifu, le manga promet une narration historique fictive avec un titre particulièrement évocateur d’un passé lointain.
Le vicomte Adam Cunning est, au commencement de cette histoire, assigné à la protection du ministre de la Justice du royaume de Lorraine, monseigneur Montagu. Personnage solaire et extraverti, Adam s’ennuie rapidement avec ce vieux grabataire qui ne décroche jamais un sourire. C’est pourquoi lorsqu’il reçoit – indirectement – une invitation pour une partie fine chez une marquise renommée, il n’hésite pas… Surtout qu’il semblerait que Joël, le neveu du vieil homme, est censé y faire une apparition.
Comment va-t-il réagir en se rendant compte que Joël cache bien plus de secrets qu’il n’y paraît ? Et qu’il pourrait être visé, de près comme de loin, par une bande menaçante qui souhaite l’éliminer ? Comment la cohabitation entre ces deux hommes que tout oppose sur bien des plans va-t-elle se dérouler ?
Un ailleurs qui n’est pas ici
C’est l’histoire d’un petit royaume perdu entre deux chaînes de montagnes : bienvenue en Lorraine, gouverné par un jeune roi où s’agitent dans l’ombre intrigues politiques et révoltes religieuses. Dans Barbarities, Tsuta Suzuki avait l’ambition de créer un contexte historique et géographique fictif tout en conservant un style dit « occidental ». C’est gagné. Les personnages sortent du lot, ont des traits plutôt longs et fins qui font penser de suite à ce que l’on peut voir dans des bandes dessinées francophones.
Des personnages aux allures occidentales.
Exit les hommes à la coupe courte, ici ce sont les cheveux longs qui priment ! Personnellement, rien que le titre Barbarities me fait songer à l’époque médiévale, voire à l’Antiquité tardive : les « barbares » étaient les étrangers, ceux qui venaient de terres lointaines et qui apparaissent épisodiquement pour mettre à feu et à sang les villes du monde civilisé.
L’événement historique réel du sac de Rome de 410 me vient naturellement en tête et je frisonne d’avance à imaginer des hordes de Goths, de Wisigoths ou de Lombards envahir le Latium. Tel est tout ce que j’attendais de Barbarities avant d’entamer ma lecture : un moment historique, presque romanesque, qui stimule mon âme d’historienne.
C’est pourquoi, avec ce titre, on se plonge d’emblée dans un contexte historique bien travaillé : les personnages masculins portent de beaux atours, les royaumes sont légion ; et les titres de noblesse sont omniprésents scindant la société. Le défunt roi a laissé un héritier bien trop jeune pour gouverner, fait susceptible d’affaiblir la Lorraine…
Rencontre avec Christopher, jeune roi de Lorraine.
Barbarie et moralité
Le barbare c’est l’autre, c’est celui qu’on ne comprend pas et qui n’a pas les mêmes mœurs de nous. Rien de tel que le duo Joël/Adam pour illustrer à merveille cette dissonance entre ce qui nous est répréhensible et nos propres valeurs. Le curseur de la morale est différent entre les deux hommes et cela crée rapidement des étincelles dans leur quotidien.
Adam vient de l’ancien Xehena, pays voisin du royaume de Lorraine : il débarque donc sur cette nouvelle terre en apportant avec lui des normes que son nouveau peuple d’adoption ne comprend pas. Du fait de sa nationalité, il se définit comme un « philanthrope » : il aime tout le monde. D’où sa propension à coucher avec tout ce qui bouge, hommes ou femmes sans distinction. Très bel homme, il fait la joie de ceux et celles qui posent les yeux sur lui. Ainsi, sa beauté n’a d’égale que son art de la séduction.
Adam est un Adonis dans Barbarities.
Joël, quant à lui, est tout son contraire. Homme de raison, il ne comprend pas les envies sexuelles effrénées du garde du corps et ne souhaite pas céder aux plaisirs de la chair. D’autant plus qu’il est devenu, grâce à son sérieux, bras droit du défunt roi dans la gestion du royaume. En première ligne des conflits religieux qui éclatent un peu partout, il doit également composer avec un homme cynique qui a la charge de cardinal. En perpétuelle recherche de validation de la part de cet homme bien plus vieux, il redouble d’efforts, conscient qu’il est dévalorisé par son jeune âge.
Joël est un homme pressé à la figure austère.
Ainsi, le comportement d’Adam est complètement incompréhensible pour Joël qui doit subir au quotidien ses diverses déclarations d’amour et ses regards concupiscents. Pour lui, c’est clair : il ne se passera rien entre eux, un point c’est tout. J’ai apprécié cet aspect de la narration : l’histoire d’amour supposée n’existe pas et rien ne dit qu’elle sera vraie un jour. Les deux hommes apprennent à se connaître, et chacun se livre avec pudeur sur son passé, son ambition et sa culture malgré des différences handicapantes entre eux. Pourtant, Tsuta Suzuki dépeint avec douceur leur rapprochement et les rend attachants malgré leurs défauts. L’autrice prend son temps et ça marche.
Intrigues à la cour
Amoureux·se des bisbilles et des intrigues au parfum de menace ? Barbarities est fait pour toi ! Je ne me suis absolument pas ennuyée dans ce premier tome et les chapitres m’ont tenu en haleine. L’autrice mène bien sa barque et construit, au fil des pages, une narration ficelée avec des éléments qui se révèleront, je l’espère, denses dans le futur. De nouveaux protagonistes font progressivement leur apparition et apportent une nouvelle saveur au contexte politique complexe mis en place dans l’œuvre.
Le fameux cardinal, la reine et le petit roi, et le prince de Tance, fraîchement arrivé.
On voit, par exemple, l’émergence du prince de Tance qui débarque dans le royaume de Lorraine. Faisant le tour du monde, ce dernier a à cœur de cumuler un maximum de connaissances avant son accession sur le trône. Intrigant et plus perfide qu’il n’y paraît, il prend rapidement une place de choix dans l’histoire. Les relations se font et se défont sous nos yeux, l’équilibre de Lorraine ne tient qu’à un fil et Tsuta Suzuki réussit à ménager le suspens.
Pour conclure, ce premier tome de Barbarities mêle avec brio intrigues politiques et développement relationnel entre ses personnages. Le contexte écrit par Tsuta Suzuki est crédible et détaillé de nombreux éléments, apportant une vraie profondeur. Personnellement, je me suis laissée transporter dans le royaume de Lorraine aux côtés de Joël et Adam, m’amusant de leur personnalité si différentes. Il me tarde de voir ce que donnera la suite !