Delcourt-Tonkam nous propose une toute autre série d’Akiko Higashimura, autrice très prolifique, plusieurs années après Princess Jellyfish, son premier titre publié en France. Nous la retrouvons cette fois-ci dans un registre très différent avec Gourmet Détective, savoureux mélange entre enquêtes policières et bons repas, sur fond de références bibliques et autres citations d’œuvres.
Quel plaisir de pouvoir enfin lire Gourmet Détective ! Ce manga me faisait de l’œil depuis plusieurs années, notamment grâce au style vestimentaire et capillaire très original de son personnage masculin. Ses bouclettes sont si charmantes ! L’éditeur profite également de son regain de popularité de ces dernières années (4 de ses œuvres sont disponibles sur le marché francophone), tout en faisant de la traductrice – la talentueuse Miyako Slocombe – un véritable argument de vente. La preuve en bandeau !
À l’origine annoncé en format moyen (15 × 21 cm) à 12,50 €, la série se pare de dimensions plus classiques (11,8 × 17,5 cm) au prix de 6,99 €. Son dos s’orne d’un très beau vert en cartouche pour représenter le josei. Je reste néanmoins circonspecte face à cette modification car il ne me semble pas avoir vu de communication à ce sujet. En effet, le titre est classé dans la collection shôjo, sur le site de Delcourt-Tonkam, et appartient à la thématique seinen (NDR : information modifiée depuis). Peut-être que shôjo × seinen = josei *rires*. Cela reste du détail et je suis quand même contente de voir le terme josei apposé sur cette série.
Disclaimer : Habituellement, je m’arrange pour ne pas trop spoiler dans mes chroniques afin de laisser à chacun·e le plaisir de découvrir le déroulement de l’histoire. Pour étayer au mieux mon propos, tout parlant des nombreuses références présentes dans ce premier tome, j’ai dû révéler un élément important de l’intrigue, dès le résumé.
Lorsque Gorô Akechi, détective privé et amateur de bonne chair, reçoit une mystérieuse femme qui soupçonne son mari de la tromper avec une autre beaucoup plus jeune, il ne se doute pas des conséquences de son rendu d’enquête. Sa cliente qu’il pensait victime d’adultère se révèle être une meurtrière sans remords, ni pitié.
S’engage alors une course poursuite entre un détective qui souhaite mettre fin à ses agissements et cette femme qui cherche à se faire attraper, en laissant à dessein quelques souvenirs – plus ou moins sanglants – de son passage…
Il était une fois, un détective qui aimait la bonne chair
Gorô Akechi est un détective somme toute très particulier. Fin gourmet, il apprécie passer son temps au restaurant en dégustant un Châteaubriand de bœuf wagyû de grade A4, cuisson saignante, à la recherche de mets délicieux pour son dernier dîner.
Issu d’une famille aisée, il tient l’agence Edogawa (clin d’œil à Détective Conan ?) dans le très riche quartier d’Omotesando à Tokyo. Jouer les détectives relève alors plus de l’occupation que du véritable métier, bien qu’il se montre très opiniâtre, allant jusqu’à manger sur le pouce pour accomplir sa mission. Et quand on sait à quel point il accorde de l’importance à un bon repas pris à table, ça veut tout dire !
Excellent investigateur, il ne néglige pas les filatures pour mieux enquêter. Il reste toutefois bien conscient des limites de son métier. Il sait mais ne peut rien faire car il ne dispose d’aucune preuve tangible. Malgré tout, son talent lui permet de récolter de précieux indices, de s’affranchir des contraintes imposées par la profession d’agent de police. Il a souvent un coup d’avance sur les enquêteurs.
Forcément, lorsque l’on parle du détective, je ne peux m’empêcher de penser à ses homologues de la culture occidentale tel Sherlock Holmes (version Elementary) ou bien Hercule Poirot. J’ignore si l’autrice souhaitait faire une allusion à ces derniers à travers le personnage d’Akechi mais je ne peux m’empêcher d’imaginer quelques similitudes. Pour le premier, il y a bien sûr son flegme ainsi que l’association qu’il va former avec une jeune femme, Ichigo Kobayashi. Si dans la série, Watson répond à une offre d’emploi du détective, notre jeune tenancière de food truck devient de facto l’assistante d’Akechi. Elle se retrouve à l’accompagner dans sa chasse à l’homme (ou à la femme plutôt) parce qu’elle possède un véhicule. Un jeu s’installe entre notre héros et son ancienne cliente, de la même manière que celui de Holmes et Moriarty. Sa ressemblance avec Hercule Poirot tient plutôt de son rapport à la gastronomie. Chaque affaire du détective belge donne la part belle au repas, autant vital qu’il peut s’avérer mortel en cas d’empoisonnement.
Par ailleurs, j’apprécie beaucoup le côté nonchalant d’Akechi qui tranche complètement avec l’expressivité exacerbée des autres personnages. Notre héros dévoile ses ressentis à quelques subtiles occasions (froncements légers de sourcils, sourires peu marqués, etc.). Son effroi ne parvient pas être aussi contenu ainsi que son agacement dès lors qu’il s’agit de gastronomie, comme un plat saccagé visuellement par quelqu’un qui ne respecte pas les conventions d’usage (dans un plat à partager, il faut apparemment se servir en commençant par la gauche).
Quant aux autres, leurs réactions sont toutes plus tordantes les unes que les autres… Certaines disputes deviennent des running gags pour notre plus grand plaisir. Par exemple, Katonô, un policier de la ville et ancien camarade de fac du héros, est quelqu’un qui a tendance à vite s’emporter. Akechi prend certainement un malin plaisir à le provoquer… et ça marche à chaque fois !
Le péché originel par Akiko Higashimura
Ce premier tome de Gourmet Détective fait à plusieurs reprises référence au péché originel dans la Bible. Quand Eve succombe au serpent en décrochant la pomme de son arbre, dans le jardin d’Éden. C’est alors que la souffrance, la pudeur et d’autres sentiments négatifs apparaissent. Le paradis n’est plus.
En effet, notre criminelle en fuite se prend pour la première femme du monde (dans la Bible), désireuse de faire du héros son Adam. Son objectif : qu’ils ne soient plus que tous les deux sur Terre (et donc éradiquer le reste de l’espèce humaine). Nous sommes bien d’accord qu’à elle toute seule, elle risque d’avoir du mal à atteindre cet objectif mais cette envie caractérise complètement la folie dans laquelle cette jeune femme s’inscrit désormais.
Irrationnelle par certains côtés, elle n’est pas totalement déconnectée de la réalité. Celle qui veut se faire appeler Mary Magdalene – telle la disciple de Jésus – se montre habile stratège et fine observatrice de son temps. Ayant toujours un coup d’avance sur notre détective, elle se lance dans une sorte de jeu du chat et de la souris avec lui, prenant beaucoup de plaisir à le voir suivre ses traces. Se sentant responsable de cette situation, Akechi se donne pour mission de la retrouver et lui faire arrêter ses agissements. Y parviendra-t-il ? Car le monstre qu’il pense avoir créé n’était-il pas latent au final ?
Sa palette d’expressions est très limitée : elle me fait penser à une poupée de cire à la beauté diaphane. Sa chevelure noire de jais, sa peau pâle rehaussée d’un rouge à lèvres rouge accentuent cet effet, dans la deuxième partie du tome. Si elle arbore de temps à autre un sourire diabolique – très en retenu tout de même – son regard semble vide de toute humanité. Elle me fait froid dans le dos !
Cendrillon, le Prince et la Sorcière
Ce premier tome est l’occasion d’apercevoir une jolie palette de personnages. Toutefois, 3 d’entre eux se détachent très clairement : Ichigo, Akechi et Mary Magdalene. Leur allure donne véritablement l’impression qu’ils sortent tout droit de contes de fée.
La patte graphique de l’autrice aide vraiment à cette représentation. Ses plans sont éloquents, même sans paroles, tout en restant sobres. Ce sont les petits détails et accessoires qui font la différence.
Même si Ichigo n’est pas l’esclave d’Akechi (encore qu’elle se retrouve mêlée à ses histoires bon gré mal gré), son fichu à pois et son tablier me font irrémédiablement penser à la princesse dont le carrosse se transforme en citrouille une fois minuit venu. Propriétaire d’un food truck, le détective est l’un de ses clients habituels – et l’un des seuls qu’on voit. Sa petite bouille toute ronde et ses expressions faciales très marquées font d’elle le faire-valoir mignon de ce trio.
De son côté, Akechi pourrait apparaître comme le Prince. Distant mais humain, il parait sorti d’un autre temps avec sa cravate texane, sa grande mèche bouclée et son costume bordeaux. Sa démarche distinguée pourrait le faire passer pour un dandy. De même que ses manières. Qui ne tomberait pas sous son charme ?
Enfin, Mary Magdalene, aka la Sorcière de tout bon conte de fée qui se respecte. Avec sa pomme couleur écarlate, on la prendrait sans difficulté pour celle de Blanche Neige, en plus fatale. Ou alors, parce qu’elle manie le poison avec dextérité, celle de La Belle au Bois Dormant.
Comment se cross-over des enfers va-t-il tourner ? Il est encore trop tôt pour le dire mais je suis sûre que l’autrice nous prépare d’autres références et de savoureux moments, entre effroi et hilarité.
Fort prometteur comme je l’espérais (oui je suis biaisée), Gourmet Détective a su me ravir grâce à la personnalité fantasque de notre héros mais aussi toutes les références culturelles parsemées çà et là au cours de ce tome. L’humour d’Akiko Higashimura fait toujours mouche chez moi. J’attends avec impatience de voir comment cette course poursuite va se développer…