Disponible depuis le 23 octobre, Hadès ou l’enfer des noces est un tout nouveau shôjo publié par les éditions Pika. S’intéressant au couple des Enfers, Hadès et Perséphone, l’histoire nous propose une revisite divertissante et donnant matière à réfléchir. Mes yeux sont conquis !
Hadès ou l’enfer des noces est un manga de 3 tomes créé par Yuho Ueji. Il a été prépublié dans le magazine Asuka, qui accueille plusieurs séries disponibles en version française, notamment Mr Mallow Blue, Monster Girls collection ou encore Remède impérial – L’étrange médecin de la cour, parmi les plus récentes.
Avant de commencer cette chronique, je reconnais avoir été charmée d’emblée par la couverture sous jaquette, qui s’inspire du style attique à figures rouges (sur fond noir) que l’on peut retrouver sur les céramiques grecques de l’Antiquité, par exemple. Il m’en faut peu, je sais, mais c’est un détail qui me plaît énormément. Qui plus est, le début de ce premier tome comporte quelques pages et illustrations couleurs. À la fin, on peut retrouver une galerie mythologique des personnages en noir et blanc, juste après le prologue.
Impitoyable seigneur des Enfers, Hadès mène une vie austère qui lui convient parfaitement. Pourtant lorsqu’il revient dans son royaume, on le retrouve les yeux bandés et affublé d’une flèche plantée par Éros, le dieu de l’amour. Avec cette dernière, il tomberait immédiatement amoureux de la première personne avec laquelle il croise son regard. Or, l’amour très peu pour lui : il n’a pas le temps pour ces enfantillages.
C’est la raison pour laquelle il promet d’exercer le vœu de quiconque parviendra à la lui retirer. Quand Coré, une jeune fille retenue prisonnière, réussit sans le faire exprès, il tient sa promesse. Celle-ci l’enjoint alors à se trouver une épouse. La nouvelle fait rapidement le tour du monde. Ainsi, Zeus et sa femme Héra lui rendent visite pour lui apporter leur bénédiction. Seulement, leur frère ne montre pas autant d’enthousiasme qu’eux, n’hésitant pas à être tranchant envers la déesse. Cela provoque sa colère. Elle lui témoigne sa bénédiction pour ses futures noces, ce qui équivaut à l’obliger à se marier. Et dans le même temps, elle lui envoie, en guise de vengeance, diverses prétendantes…
Hadès et ses frères
Comme son titre l’indique, l’histoire met l’accent sur le seigneur des Enfers, Hadès. Aux côtés de Zeus et Poséidon, ses deux frères, chacun dirige une partie du monde. Le premier est maître de l’Olympe, demeure des dieux, tandis que le second règne sur les mers. En cela, l’autrice prend bien le temps de préciser l’univers mythologique dans lequel nous nous trouvons, avec ses spécificités. En effet, le monde souterrain est divisé en trois parties selon le degré de vice des âmes qui termineront leur séjour : les Champs-Élysées pour les âmes préférées des dieux, l’Érèbe accueillant les gens normaux, et enfin le Tartare, où terminent les pires criminels ainsi que les monstres.
Cette remise en contexte est plaisante, car si en tant qu’européens nous avons quelques connaissances sur le sujet, ce n’est peut-être pas forcément le cas du lectorat d’origine. Et de toute façon, j’apprécie toujours lorsque l’artiste prend le temps de contextualiser son récit, que ce soit de manière explicite ou non.
Au sein de cette fratrie, Zeus et Poséidon font figure de bons vivants, adeptes de la bonne chair, avec mention coureur de jupons pour le premier. Sa réputation n’est d’ailleurs plus à faire, puisque l’on connaît la plupart de ses frasques avec diverses femmes, qu’elles soient déesses ou mortelles. Quant à Poséidon, j’avais oublié cet aspect-là de lui, me souvenant vaguement de son côté impétueux, prompt à réagir au quart de tour. Forcément, avec deux énergumènes aussi excentriques (et un peu lourds), l’austérité d’Hadès ne peut que ressortir. Il aime sa tranquillité et le silence que lui procure cette solitude.
Pour autant, cela ne signifie pas qu’il soit gentil. En tant que seigneur des Enfers, il a une réputation à tenir. Celle-ci l’oblige à se montrer dur voire sans cœur. Il ne peut ainsi pas laisser ses émotions le dominer ; ce qui lui convient parfaitement car il considère cela comme une perte de temps. Tomber amoureux et se marier ? Pour quoi faire ? À vrai dire, il ne se pose même pas la question : ça lui passe au-dessus. D’ailleurs, j’aime bien son petit côté bougon et ses expressions blasées sont hilarantes. Et il ne faut pas se le cacher, l’autrice sait nous le rendre agréable à l’œil…
Pour contrebalancer son caractère un poil renfrogné, nous pouvons compter sur un duo de joyeux lurons, représentés par Hypnos (dieu du sommeil) et Thanatos (dieu de la mort). Présentés comme ça, on ne dirait pas mais ils assurent le côté humoristique de cette série. Que ce soit ou non à leurs dépens, je ris beaucoup à chacune de leurs réflexions. Le trio qu’ils forment paraît aussi improbable que Honey-senpai et Mori-senpai dans Host Club, mais c’est pour ça qu’on les aime !
En revanche, est-ce que l’histoire parviendra à tenir en trois tomes seulement ? Nous verrons bien. Pour le moment, sur ce premier tome, le rythme m’a paru tout à fait correct. Il y a peu de temps morts, les chapitres se lisant sans transition ou presque. L’ajout du prologue à la toute fin éclaire davantage le récit, ce qui n’est pas pour me déplaire.
Le mystère Coré
Au milieu de tous ces personnages plus ou moins loufoques, Coré apparaît comme une jeune fille mystérieuse. Selon la mythologie grecque (aucun spoil de ma part donc), il s’agit de l’autre prénom de Perséphone, alors qu’elle n’est pas encore mariée à Hadès. À l’inverse d’Hadès, elle semble plus solaire. En tant que déesse de la végétation, elle peut faire pousser n’importe quelle fleur, et ce, même en enfer. Il en est de même lorsque ses émotions la submerge : des fleurs apparaissent sans qu’elle ne le veuille.
Elle est d’apparence plutôt jeune. On ignore son âge, mais on voit qu’il y a une différence de génération notamment avec Hadès. On ne sait pas non plus pour quelle raison elle se retrouve aux Enfers, si ce n’est qu’elle y est retenue prisonnière. D’ailleurs, au départ, tout le monde ignore ses origines. Ce n’est qu’avec l’entrée en scène d’Athéna, puis Déméter, sa mère, qu’on le comprend.
Si au départ, elle cherche à s’enfuir coûte que coûte, progressivement, on la voit changer ses projets. Elle a finalement l’air de se plaire en enfer… Elle fait même hésiter Hadès par rapport aux prétendantes qui viennent le voir. En voilà un personnage énigmatique !
Le récit d’Hadès et Perséphone pourrait toutefois nous éclairer. En effet, la jeune Coré a été enlevée par son oncle et futur époux – tombé amoureux d’elle – alors qu’elle vivait protégée du regard des dieux par sa mère, Déméter. Néanmoins, au début du manga, Hadès n’est pas amoureux de qui que ce soit. On diffère ici légèrement du récit originel. L’incident de la flèche permettra certainement de raccrocher les wagons de leur histoire.
Réflexions autour de l’amour
Hadès ou l’enfer des noces est une véritable comédie qui joue sur l’effet d’accumulation. En effet, de nombreuses femmes – déesses et mortelles – viennent lui rendre visite, après l’annonce de sa recherche d’épouse. C’est donc l’occasion de découvrir les personnalités – parfois fantasques – de chacune d’elles tout en réfléchissant aux différentes formes d’amour et visions sur le mariage.
Avec Athéna, la question de la volonté individuelle se pose. Se marier, est-ce renoncer à soi et tout changer pour correspondre aux idéaux de l’autre ? En effet, la déesse de la guerre (ainsi que de la sagesse) entrevoit cette union à la manière d’une alliance dans laquelle chacun·e listerait ses conditions. Il n’est clairement pas question de sentiments, mais de raison. Le problème, c’est qu’elle souhaite tellement changer Hadès qu’il ressemblerait plus à quelqu’un d’autre qu’à une version « améliorée » de lui-même. Le seigneur des Enfers ne s’intéresse peut-être pas à l’amour ni au mariage. Il sait toutefois assez bien ce qu’il ne veut pas : renoncer à son individualité.
De son côté, Déméter voue un amour démesuré pour sa fille, au point de suivre ses moindres faits et gestes. Mais surtout, elle souhaite la protéger de tout inconvénient de la vie, en particulier les hommes. On devine alors qu’elle a un lourd passif avec la gent masculine, en particulier son frère Zeus. Sincèrement, je la comprends. Toutefois, comme le rappelle son autre frère, Hadès, sa fille et elle sont deux êtres différents. Coré a sa propre volonté, et imposer la sienne à sa fille n’est pas la bonne chose à faire selon lui. C’est qu’il serait presque disruptif notre seigneur des Enfers… Déméter tempère cependant le propos de ce dernier puisque n’étant pas une femme, il y a des aspects de notre vie qu’il ne peut pas comprendre.
Puis on passe à l’amour obsessionnel représenté par Méduse, l’une des trois Gorgones. Après avoir été vaincue par Persée, elle se rend aux enfers tel un zombie en quête de mariage. C’est simple, elle n’a plus que ce mot à la bouche. Que sa relation avec Poséidon ait été consentie ou non (selon les auteurs, les versions varient), on comprend bien le côté destructeur/toxique que peut revêtir l’amour. Et c’est certainement ce vers quoi le seigneur du monde souterrain ne veut pas tendre…
Enfin, Hestia, déesse du foyer et sœur d’Hadès, incarne pour sa part l’amour familial dans son sens large, celui qui rassemble. Elle nous rappelle que la chaleur d’une maison où règne l’amour est très important pour se sentir bien dans sa vie. Sa présence améliore radicalement les conditions de vie du royaume des Enfers, aussi bizarre et absurde (dans le sens positif) que cela puisse paraître. On voit les différents sujets se plaire dans le confort qu’elle instaure. Hadès semble imperméable à tout cela, étant donné son régime ascétique, c’est-à-dire loin de tout plaisir.
Ce premier tome d’Hadès ou l’enfer des noces m’a beaucoup plu. Je ne m’attendais pas à ce que l’humour soit aussi présent, mais sur trois tomes c’est sûrement le meilleur parti pris. Le seigneur des Enfers est attachant à sa façon et dénote clairement dans cet univers aussi loufoque qu’insensé.