Disponible aux éditions Akata depuis le 8 juin dernier, Jumping est un josei qui m’intéressait dès l’annonce de son arrivée en France. Après avoir lu le premier tome, j’en ressors conquise mais aussi émue et impatiente de découvrir la suite.
Ran est une jeune femme vivant prostrée chez elle, depuis son échec au concours d’entrée à l’université.
Elle ne sait pas trop quoi faire de sa vie. C’est alors que Sayuri, son amie du lycée actuellement étudiante, lui propose de vivre avec elle à Aomori (préfecture située au nord de l’île principale de Honshu) afin de se changer les esprits.
Contre toute attente, elle accepte. Elle découvre alors le club équestre de la faculté dans lequel son amie est également membre. Ce rapide contact avec les chevaux suffit à animer sa joie de vivre.
Toutefois pour en faire partie, elle devra intégrer officiellement l’université et donc passer son concours d’entrée… Si le chemin semble long et périlleux, cette fois-ci Ran n’est pas seule.
Très honnêtement, je ne m’attendais pas à être si touchée autant par le récit que ses personnages. J’entends par là que je pensais bien apprécier ce tome d’ouverture mais pas au point où ça l’a été en le refermant. L’histoire m’a littéralement pénétrée aussi bien au plus profond de mon âme que de ma chair.
Tout d’abord, Asahi Tsutsui parvient à aborder des thématiques actuelles tout en sensibilité, tels que la perte de repères liée à l’exclusion sociale (et la réintégration), la génération des NEET (Not in Education, Employment or Training) ou encore le passage à l’âge adulte dans un monde ultra-compétitif.
En effet, j’ai pu facilement m’identifier à l’héroïne. Je quitte bientôt cette tranche d’âge de la vingtaine mais je me souviens avec une vive émotion que ses premières années n’ont pas été évidentes.
Il s’agit d’une période tout à fait charnière où l’on passe de la douce illusion d’avoir atteint cette tant espérée majorité à la réalité des responsabilités qui vont nous incomber. C’est LA fameuse pression sociale qui veut que chacun doit trouver sa place au sein du système, sous peine d’être marginalisé ou considéré comme un paria dans le cas contraire.
D’ailleurs, l’auteure personnifie assez bien cette pression par le biais de la tante de Ran. Son discours était criant de vérité sur l’absence totale de compréhension que les tierces personnes ont parfois, sans s’en rendre compte ou parce qu’elles pensent bien faire.
Dans un second temps, j’aime beaucoup le fait que l’auteure évoque la vie associative comme facteur d’intégration. En s’engageant en tant que bénévole ou membre d’un club, on donne de son temps pour une cause. Cela nous fait nous sentir utile. On rencontre d’autres personnes partageant le même intérêt et progressivement on réintègre un cercle d’amis ou tout du moins on a la sensation d’appartenir à un groupe.
Cela aurait pu être un autre domaine que l’équitation. Cependant je comprends pourquoi. Il existe notamment une thérapie comportementale utilisant le cheval comme médiateur, souvent dans certaines maladies : l’équithérapie. Bien sûr, il n’en est pas véritablement question ici. Néanmoins, le cheval est un animal avec lequel le contact peut concrètement aider à se sentir bien.
Ensuite, la mangaka nous dresse donc le portrait d’une femme à qui la société a décidé de fermer ses portes. Stigmatisée dès son plus jeune âge à cause de ses mauvais résultats scolaires, de ses camarades qui ne voulaient pas lui parler, etc.
La proposition de son amie arrive à point nommé. Elle constitue le moyen, pour notre héroïne, d’agir mais aussi de faire la paix avec elle-même. Elle, qui ne se pensait pas capable d’accomplir quoi que ce soit, va pouvoir constater qu’il y a un domaine où elle est douée. Il existe bel et bien une discipline dans laquelle on a besoin d’elle.
Elle se montre courageuse car elle décide d’accepter la suggestion de Sayuri. Naturellement, elle doute à certains moments et veut même rebrousser chemin, mais ce sont là des réactions pleinement naturelles. Les graines du changement ont été semées, elles n’attendent plus que de germer et se transformer en magnifiques fleurs. En tout cas, Ran me donne envie de la soutenir et j’espère vraiment qu’elle parviendra à surmonter ses angoisses.
Quant à son amie, elle se montre pleine de bonne volonté pour aider Ran et représente un peu sa bouée de sauvetage. Je suis pratiquement sûre que de son côté, elle se sent très reconnaissante envers elle. Après tout, une amitié se vit dans les deux sens.
Ayant vécu en Angleterre pendant quelques temps, son caractère paraît beaucoup plus enjoué et insouciant que les Japonais lambda. Notamment, elle n’hésite pas à sauter sur Ran dès qu’elle la voit ou aussi dire ce qu’elle pense sur l’instant présent sans filtre. Cela n’en fait pour autant pas un personnage dénoué de tout sens des réalités. Très entière, je l’admire véritablement.
En outre, il ne faut pas oublier les différents membres du club d’équitation. Ils forment ensemble un groupe déjà très attachant et soudé. On sent les liens forts qui les unissent. Ils me paraissent assez loin des stéréotypes liés à la galerie étendue de personnages. Je sens la romance pointer le bout de son nez et ne serai pas surprise que le choix se fasse sur l’un des protagonistes masculins particulièrement mis en avant. Après, qui sait, l’auteure peut nous étonner ou ne pas développer cet aspect outre mesure. Quoiqu’il en soit, qu’elle se produise ou non, cela ne me pose aucun souci. J’aime bien de toute façon que l’héroïne termine avec le garçon que j’ai choisi (comment ça, ce n’est pas à elle de décider ? rire)
Pour en revenir au club, je ne peux pas tous les citer puisqu’il est difficile de réaliser un portrait de chacun à ce stade. Je vais pourtant établir celui de deux des personnages masculins qui me semblent avoir une certaine importance : Tôma Ayukawa et Sadaharu Hinagata.
Le premier a tout du beau parleur légèrement mignon mais qui en vérité déborde de charisme une fois en tenue de cavalier. Il a un petit côté amuseur de la galerie. Il déclare clairement être à la recherche d’une petite amie. Je doute qu’il s’agisse d’un dragueur invétéré. Son énergie est plaisante à voir, car lui aussi me semble bien guilleret. Il est d’ailleurs le premier à approcher Ran lors de sa venue à Aomori.
Tandis que de son côté, le second est plutôt taciturne et aurait tout du brun ténébreux en mal d’amour, froid à l’extérieur et « doux comme un plaid » à l’intérieur. Alors qu’en réalité, nous sommes loin du compte. Certes sa couleur de cheveux tire sur le foncé et il paraît renfrogné. Il est cependant beaucoup plus démonstratif que le cliché du genre. Il m’a l’air attentif, un peu pervers, maladroit et on voit que malgré lui son attirance pour Ran commence à se faire sentir. C’est encore un mélange de curiosité et de jalousie mais qui sait… Après Sayuri, c’est le premier garçon qu’elle aperçoit en plein entraînement dans la carrière.
Enfin, je souhaiterai parler des dessins. Asahi Tsutsui les a rendus très expressifs. Les larmes de Ran, ses angoisses et sa détresse nous transparaissent clairement. C’est notamment la raison pour laquelle nous vivons aussi intensément la narration. Les planches sont très épurées avec principalement des zooms et quelques effets de remplissage. Le souci du détail que ce soit au niveau des visages et des chevaux représente un intense plaisir visuel.