Retour sur Love, be loved, Leave, be left, le shôjo manga qui parle d’amour, mais pas que. À travers ses héros, Io Sakisaka décortique les relations familiales, parfois complexes.
Love, be loved, Leave, be left s’est terminé en février dernier. Les héros romantiques continuent leur vie, et l’on se dit qu’on aurait peut-être bien aimé les observer encore un peu. Car derrière ce titre à rallonge se cache une série douce et touchante. Io Sakisaka nous plonge dans le quotidien d’adolescents qui découvrent l’amour et se frottent aux difficultés de la vie. Pas encore adultes, plus tout à fait enfants, ils tâtonnent, se trompent, hésitent, pleurent, rient, s’émeuvent. C’est aussi ça, grandir.
L’amour en bas de chez moi
Dans les yeux de Yuna, c’est la fin du monde. Elle entre au lycée, mais son amie déménage. La jeune Yuna n’est pas du genre extraverti, et angoisse à l’idée de se retrouver seule, au lycée. Rappelle-toi de tes pires rentrées scolaires et compatis avec elle. Heureusement, Yuna rencontre la charismatique Akari, et les deux adolescentes réalisent qu’elles habitent le même immeuble, et vont au même lycée. La fin du monde prend des airs de nouveau départ. Une belle amitié éclot entre les deux jeunes filles, prélude à d’autres rencontres, et à l’amour. Dans les yeux de Yuna, le printemps vient.
Sortie en 2015 au Japon (2016 en France), Love, be loved, Leave, be left est la deuxième œuvre d’Io Sakisaka que je j’achète. Très populaire, le manga s’est décliné, en août 2020, en film live, avant de sortir en film d’animation (septembre 2020). Il y a quelques années, j’ai voulu verser un peu de romance dans mon cœur de brique. Je découvre Blue Spring Ride et la nuque de Kô. J’enchaîne avec Love, be loved… Blue spring ride m’avait mis de bons uppercuts sentimentaux. Love, be loved me met KO.
Io Sakisaka maîtrise son sujet. Avec son trait léger et clair, elle a l’art et la manière de conter les amours lycéennes, pleines d’interrogations et d’hésitations. La mangaka sait croquer cette jeunesse qui déborde de rêves et de passion. Face à eux, les adultes se montrent parfois bien brutaux – à croire qu’ils sont tous nés aigris jusqu’aux sourcils. Les parents de Kazuomi représentent bien ces adultes trop autoritaires, soi-disant pour le bien de leurs enfants.
Le cercle s’agrandit autour de Yuna. Elle retrouve son ami d’enfance, le calme Kazuomi, et rencontre le désinvolte Rio. Les quatre adolescents sympathisent. Mais entre l’amitié et l’amour, il n’y a parfois qu’un pas à franchir.
L’amour façon Io Sakisaka
J’ai du mal avec les romances. Celle d’Io Sakisaka se déverse sur les pages comme un torrent. C’est très beau. C’est trop. J’ai souvent l’impression que les personnages de l’autrice se donnent rendez-vous sous le pommier ou derrière un KFC pour dire : « allons, parlons d’amour ! ». C’est qu’ils en parlent tellement, et avec une telle profusion de vocables dérangeants… Je dis « dérangeant » pour dire « sentimental » : preuve – s’il fallait en donner – que les déclarations passionnées et moi, ça ne match pas. Yuna, Akari, Rio et Kazuomi, eux, se rejoignent sur la propension à disserter de l’amour à longueur de journée. Les fans de romance apprécieront. Les autres se sentiront oppressés comme dans un thriller angoissant (OK, j’exagère). Heureusement, les 4 ados passionnés ont d’autres sujets de préoccupation.
Entre Elles et Eux
Yuna et Kazuomi (Kazu, pour les intimes) sont les deux très bonnes surprises du manga. Avec son look d’éternelle fille romantique de cliché shôjo, Yuna avait tout pour m’effrayer. Je ne misais pas un yen sur celle qui avouait attendre « le prince charmant qui viendrait l’enlever » (le kidnapping, Madame, c’est un crime !). Lorsqu’elle voit Rio, elle s’émeut : il est le portrait craché de son fameux prince ! Hélas, le lycéen est très populaire. A-t-il seulement remarqué Yuna ?
Fort heureusement, Io Sakisaka ne s’arrête pas là. Yuna grandit, et vite. J’ai rarement vu une évolution aussi rapide dans un manga. La jeune fille réservée va oser prendre des risques, affronter l’autre, se blinder contre les ragots, balancer la lourdeur sexiste et le patriarcat (les pères qui jouent les bonshommes devant le copain de leur fille, non merci). Yuna se révèle et se dévoile. Pour toutes les jeunes filles qui se cherchent, qui n’osent pas se lancer, elle montre, avec humilité et en gardant sa personnalité, que tout est possible.
L’autre bonne surprise, c’est Kazu. Le lycéen rêve d’une vie qui, hélas, n’entre pas dans les projets que ses parents formulent pour lui. L’adolescent réprime ses sentiments et souffre en silence. Il veut satisfaire ses parents. Il craint pour son avenir. Et quand l’amour s’en mêle, il se tourmente un peu plus. Ses parents ont peut-être raison : rêver ne sert à rien. Mieux vaut entrer dans le moule formaté de la société.
Akari, l’amie de Yuna, apparaît d’abord comme une affirmée et déterminée. Elle a plus d’expérience que la romantique Yuna, et le montre. Je trouve que les filles comme Akari sont peu nombreuses dans les shôjo d’amour lycéennes. Loin du rôle de l’héroïne passive se languissant de son prince, Akari prend les devants, et agit. Elle ne se fait aucune illusion quant à l’amour, et préfère mener la danse. Pourtant, cette forte personnalité s’effrite peu à peu. Des failles compréhensibles – l’adolescence est une période compliquée – mais qui, au fil du temps, lassent. La pragmatique Akari se perd dans ses contradictions. Et, contrairement à Yuna, elle stagne. Celle qui impressionnait avec son audace devient hésitante pour tout, au point de presque devenir sa pire ennemie.
Et Rio ? Après une entrée en matière version « beau gosse désinvolte », le jeune homme se range. Désinvolte, oui, mais fragile et sensible. Ses blessures cicatrisent petit à petit, grâce à l’amour. Là encore, Io Sakisaka nous évite les tumultes et autres méli-mélo amoureux. Ça aussi, ça change, et c’est très reposant. Peu à peu, Rio ose révéler sa sensibilité. Il gagne en maturité et en douceur : penser à l’autre avant de penser à soi, cela s’apprend.
Des rêves pour demain
Love, be loved, Leave, be left est un shôjo lumineux et touchant. L’amour y occupe la place centrale. Mais l’amour sous toutes ses formes : entre un couple, entre des amis, entre membres d’une même famille… Sur ce dernier point, j’applaudis encore la bravoure de Kazu.
Amis parents : même s’ils sortent de vos entrailles, vos enfants ne sont ni vos choses, ni vos marionnettes. Laissez-les rêver, ils vous le rendront bien. Ne leur dites pas qu’ils vont gâcher leur vie en ne suivant pas la voie que vous leur avez tracée. Et même s’ils suivent leurs rêves et échouent, ils auront essayé, et auront persévéré. L’échec n’est pas la fin du monde, au contraire. Faites confiance à vos enfants. Ne les enfermez pas dans vos ambitions d’adultes, au risque de les retrouver, plus tard, fripés de remords et de regrets, amers et désespérés, le regard dur contre vous. C’est qu’entre l’amour et la haine, il n’y a, hélas, pas même une virgule.
Je me souviendrai toujours de ce père qui, voyant la passion de ses fils pour le manga, les a amenés rencontrer des éditeurs, lors d’une journée conférence. Loin de se moquer de ses jeunes enfants, le père, très impliqué, les encourageait à développer leur passion. Tous les parents devraient agir ainsi. Et vous autres qui avez des rêves, persévérez.
Love, Be Loved, Leave, Be Left me laisse sur un étrange sentiment. D’un côté, l’excès de romance suintante m’a fait, plus fois, ouvrir des yeux ronds de sidération. De l’autre, la bravoure et la détermination de Yuna, le courage et résilience de Kazu m’ont fait applaudir d’admiration. Je retiendrai donc ces derniers sentiments, plus que positifs. Et toi ? Quelles impressions te laissent ce shôjo manga ?