Moi aussi – tomes 1 et 2 (intégrale)

Une fin d’année ma foi chaotique pour tout le monde ! Cette pandémie ne semble pas vouloir lâcher notre veste et le climat déprimant qui fait cailler le moindre de nos os nous ferait presque oublier qu’on en a marre de rester chez nous ! Mais si on te disait qu’en achetant un manga, tu participeras peut-être à rendre ce monde un petit peu plus vivable d’ici le printemps prochain ?

Évidemment, une promesse aussi belle vient avec son lot de compromis, mais la lumière au bout du tunnel, on la voit ! Malgré tout, pour les plus sensibles d’entre vous : on vous prévient. Aujourd’hui, on va parler de Moi aussi de Reiko Momochi.

Attention, cette œuvre traite de harcèlement sexuel et de troubles manteaux. Elle peut donc heurter les personnes sensibles à ces sujets.

De quoi ça parle ?

Satsuki Yamaguchi travaille en intérim en tant qu’opératrice dans un service client téléphonique. Elle est aussi formatrice pour les nouveaux employés. Très investie dans son travail, elle devient malheureusement la cible du harcèlement sexuel d’un de ses supérieurs. Ce récidiviste notoire a jeté son dévolu sur Satsuki… Sombrant peu à peu dans la solitude et l’isolement, la jeune femme réussira-t-elle à briser la loi du silence ?

Inspiré d’une histoire vraie et du témoignage de Kaori Sato, Moi aussi relate un fait de société sombre en explorant légèrement mais non sans fermeté les conséquences désastreuses du harcèlement sexuel au travail : le sekuhara (contraction japonaise de l’expression anglaise sexual harasment).

Présentée comme une fiction biographique, cette série revient sur ce qui nous apparait d’abord comme un dérapage mais finit par se montrer plus pernicieux et finalement… catastrophique.

Le récit est illustré sobrement et parsemé de petites explications complémentaires et analytiques de la situation. L’envie de raconter et de faire comprendre comment un contexte historique a participé au renforcement d’une situation difficile pour des jeunes femmes déjà fragilisées est très clair !

J’aurais aimé qu’on aille plus en profondeur dans les sentiments de Satsuki. Même si après réflexion, je comprends que c’est plus dans un souci de pudeur. Et c’est – tragiquement – efficace ! L’histoire nous permet de s’identifier à l’héroïne au point que l’on puisse se passer de grandes tirades émotionnelles, on voit où l’histoire veut en venir, tout fait sens. C’est terrible et réconfortant.

Tout y est…L’angoisse, les excuses qu’on leur – qu’on se cherche – pour ne pas dire que quelque chose ne va pas, les mains baladeuses, les sous-entendus sous couvert de professionnalisme, l’infantilisation, les clichés qui sont balancés – enrobés dans des métaphores hasardeuses.

Puis Satsuki parle… Et c’est la descente aux enfers, car lorsqu’elle explique qu’elle a été une victime, on l’accuse de l’avoir cherché. Comme si ce n’était pas un statut qu’on nous imposait, mais qu’on l’avait mérité ! Et finalement vient la demande de trop.

Constat : dépression, anxiété, troubles du sommeil, troubles alimentaires, pensées suicidaires, etc. Des traumas abordés subtilement dans le récit, suffisamment fort pour qu’on les comprenne, suffisamment soutenables pour qu’on puisse tourner la page et poursuivre.

Démolir et reconstruire : le combat d’une femme

Alors que le premier tome se concentre sur les événements en cours, le second propose une temporalité plus dilatée et raconte comment notre Satsuki va tenter de se reconstruire et lutter contre cette société qui n’a pas su se donner les moyens de la protéger ! Les processus longs des plaintes, le tollé médiatique qui s’en suit, les difficultés à faire entendre une voix qui semble minoritaire…

On note le choix de la mangaka de faire de M. Dobayasi un bel homme charismatique comme on en trouverait dans nos office romance favorites ! Sa capitalisation sur la situation et son manque d’empathie auront bien fait d’en écœurer plus d’une !

Petite pensée également pour le personnage de Yamato ! Son apparition légère montre qu’il est possible d’entretenir des rapports amicaux dans le monde professionnel ! On perçoit de façon évidente la différence entre son comportement léger et bienveillant par rapport aux pressions et au abus de pouvoir exercés par les autres.

Le Dogeza de Satsuki
Dans l’étiquette japonaise, le dogeza est la forme d’excuse la plus sévère, témoignant de la volonté profonde de demander pardon

La scène d’excuses de Satsuki à son supérieur a été particulièrement choquante ! Je ne suis pas hyper calée sur les us et coutumes japonais mais il suffit d’avoir vu quelques animes pour comprendre à quel point le rapport à la hiérarchie est une valeur importante et structurante dans la société japonaise. Qu’un outil qui à vocation à instaurer de l’ordre et du respect puisse être détourné pour humilier des individus à vraiment été un déchirement. Il y a beaucoup d’images fortes dans la série, personnellement je me tournerai vers celle-ci. Plus que le harcèlement sexuel d’une femme, elle décrit le harcèlement sexuel d’une femme au Japon. De voir comment chaque société réussit à utiliser ses propres codes pour justifier son oppression systémique des femmes est un symbole qui m’a glacé le sang.

L’idée que cela peut s’arrêter, c’est une guérison en soi ! C’est pour cette raison que Satsuki décide de ne pas laisser cette affaire et de rendre justice ! Bien que cette lecture soit éprouvante, ce qui nous fait tenir le long de ces deux tomes c’est l’espoir et le désir de reconnaissance parfaitement retranscrit à travers le parcours laborieux de Satsuki ! Un parcours possible grâce à la véritable sauveuse et héroïne de l’histoire : la sororité ! 

Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Au Japon, Me too a eu une percée compliquée. D’après un rapport du Forum Économique Mondial publié durant l’hiver 2019, l’archipel a été placé à la 121ème place (sur un classement de 153, en comparaison la France est 15ème). Un score bien maigre pour l’un des pays faisant partie des plus riches du globe. 

Si le personnage fictif de Satsuki Yamaguchi n’est pas réel, on peut tout aussi bien citer les quelques noms de celles qui aujourd’hui veulent se faire entendre : Kaori Sato et son témoignage, Mayumi Taniguchi et ses Obachans ou le #WeTooJapan de Shiori Ito. 

Les éditions Akata ont fait le choix d’une couverture inédite, propre et assez différente de l’originale ! Je la trouve d’autant plus pertinente quand on sait que le mouvement #MeToo a brisé le tabou sur nos écrans par le biais de l’internet. Mais les points d’impact changent, et les éclats se dispersent.

Moi aussi – tomes 1 et 2 (intégrale)
En bref
Et cette voix n’est pas portée que sur l’archipel, Akata dans cette lancée s’engage à reverser 5% en partenariat à Solidarité Femmes d’ici le 30 avril 2021. Qu’une œuvre qui se veut politique puisse le rester même en parcourant une telle distance montre à quel point ce combat est universel et inhérent à notre statut de femme, non, d’humain. L’acheter, ce n’est pas seulement s’éduquer, c’est aussi soutenir, une mangaka, une voix, une parole politique qui à leur échelle participeront à rendre cette planète que nous partageons, un peu plus juste, et nous tous, un peu plus libres.
Scénario
9
Personnages
8.8
Dessins
8.5
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Point(s) positif(s)
Une fiction inspirée de faits réels qui n'a pas peur d'aborder des sujets sérieux résonnant tout autant au Japon que par chez nous !
Point(s) négatif(s)
8.8
Note globale

soko saturne

Adepte de niaiseries en tout genre et de la littérature qui s'y réfère;

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