Deuxième œuvre de la talentueuse Tomoko Yamashita à sortir en France, The Night Beyond the Tricornered Window est disponible depuis le 13 juillet dernier. Dire que je l’attendais avec impatience est un doux euphémisme… Ces deux premiers tomes ouvrent une formidable histoire mêlant suspense, paranormal et horreur, le tout saupoudré d’érotisme pour pimenter la sauce. J’adore et j’adhère !
Je connaissais la mangaka de réputation grâce à d’excellents échos lus ça et là à son sujet, notamment sa capacité à être à l’aise dans ses récits quelle que soit la cible éditoriale. Mais c’est avec le poignant Entre les lignes publié par Kana dans sa collection Life que j’ai pu la découvrir. Je te le conseille d’ailleurs très fortement. 😉
J’espère que cela permettra à d’autres de ses œuvres de nous parvenir, car l’autrice est en passe de devenir l’une de mes favorites de ces derniers temps.
Sans vraiment de transition, passons à un résumé rapide de ce début de récit !
Jeune libraire d’apparence ordinaire, Kôsuke Mikado possède pourtant un don assez particulier : voir les esprits. Il tombe « par hasard » sur un autre homme, qui semble au courant de ses pouvoirs, Rihito Hiyakawa.
Ce dernier, sous couvert d’une société de nettoyage, exorcise ce genre de phénomènes paranormaux. Il lui demande alors de l’aider dans ses missions, puisque Mikado a développé une excellente vision, nécessaire pour mieux les appréhender.
Au fur et à mesure des exorcismes, certaines affaires macabres paraissent liées entre elles… Le nom d’une mystérieuse jeune femme revient assez souvent…
Une histoire mêlant suspense, paranormal et horreur
The Night Beyond the Tricornered Window relate une histoire dense, inquiétante tout en alliant à merveille le paranormal et la vie quotidienne.
Sans lire le résumé, on le comprend immédiatement juste en observant les jaquettes de ces deux premiers volumes. Leur fond est sombre, composé de deux tonalités de gris. Le contraste s’opère alors grâce au triangle qui encadre chacun des personnages, à la manière d’une fenêtre (qui n’est pas sans rappeler celle du titre) ou plutôt d’une lucarne au format étrange. C’est un peu comme si on épiait nos protagonistes… La police d’écriture, dont les tons sont repris de manière similaire à la VO (vert et blanc pour le tome 1 ; rose et blanc pour le 2), est également très vive. Il est quand même à noter qu’à partir du 6e volume, les jaquettes se parent de blanc.
Le don de Mikado lui avait déjà fait entrevoir l’existence d’un monde parallèle au nôtre, sans pour autant vouloir franchir le pas d’aller au-delà. Sa rencontre avec Hiyakawa bouscule les choses, le jeune homme et nous, lecteur·ice. Grâce ou à cause de lui, nous nous plongeons davantage dans cet univers fait d’esprits, de malédictions et autres manifestations peu réjouissantes.
Le niveau d’horreur, moins dans le gore, est surtout psychologique. Il se manifeste dans l’effroi et la surprise que peuvent susciter certaines scènes pour Mikado, mais aussi pour nous. De plus, la mangaka gère son suspense avec beaucoup de brio puisque celui-ci s’accroît à chaque page. Au départ, ça reste très anecdotique, puis les passages inquiétants se font de plus en plus nombreux.
De même, au départ, toutes les affaires ne semblent pas trouver de point commun. Quelques interventions de notre duo ne relèvent même pas du paranormal. Cependant, un fil rouge semble se dessiner, matérialisé par une certaine Erika Hiura. Je n’en dirai pas trop à son sujet pour garder un peu de mystère – et c’est tout l’objet de ce début de manga.
Néanmoins, si le deuxième opus nous en apprend un peu plus sur cette jeune femme, d’autres questions émergent à son sujet. Elle représente certainement la partie émergée de l’iceberg…
Un chara-design épuré, au service du mystère
Non seulement Tomoko Yamashita réussit à nous embarquer dans son récit sans la moindre difficulté, mais elle excelle d’un point de vue graphique grâce à sa gestion de l’espace négatif (zones d’une image restées vides).
Les décors sont ainsi réduits à leur strict minimum, servant davantage à contextualiser les scènes. Et les pauses graphiques, les blancs permettent de souffler tout en accompagnant le mystère. Quoi de plus cryptique qu’une page où le vide prend une bonne partie de la place ?
De même, si je connais le style épuré de la mangaka par le biais d’Entre les lignes, dans The Night Beyond the Tricornered Window, celui-ci se retrouve aussi. Il arrive d’ailleurs que certaines cases soient sans paroles. Tout est alors dans le visuel et les expressions des personnages. Cette sobriété permet véritablement de mettre en avant l’action tout en nous laissant libres d’interpréter ce qu’il se passe.
C’est donc une autre technique, particulièrement réussie, pour accroître le suspense. En effet, on ne peut se fier qu’à ce qu’on voit, qu’à ce qu’on pense voir. Mais qui nous dit que c’est réellement ce qu’il se passe ? L’autrice n’est-elle pas en train de nous manipuler ?
Tu l’auras peut-être compris en suivant mes différentes chroniques et c’est ce que j’aime particulièrement dans une histoire : être transportée par le récit tout en me laissant balader par l’artiste.
Mikado x Hiyakawa vs. Mikado x Mukae : deux visions qui s’affrontent
Très vite ces trois personnages prennent une place prépondérante dans le récit ; Mukae apparaissant toutefois dans la dernière partie du premier tome. Vont se dessiner ainsi 2 duos permettant de voir s’affronter deux visions bien différentes.
Mikado, le héros central de l’histoire, est un jeune homme à l’allure renfermée et à la moue renfrognée. On le voit assez peu sourire, comme s’il devait tout le temps afficher une mine tendue. Malgré tout, j’ai immédiatement éprouvé de la sympathie pour lui.
Sa capacité à percevoir les esprits lui fait peur, même s’il tente de vivre avec. D’ailleurs, au départ, il se méfie assez de Hiyakawa tout en étant attiré par ce dernier. Au fur et à mesure qu’il l’aide dans ses missions, Mikado semble être de plus en plus affecté par les phénomènes paranormaux qu’il côtoie. Il est même obligé de rester accroché physiquement à lui pour ne pas s’effondrer. Et encore, il finit quand même par s’évanouir…
Un lien très clair de dépendance commence alors à apparaître. Si le beau blond affirme ne pas être doué pour la communication – ne prenant aucun gant pour s’exprimer – sa force de persuasion reste impressionnante pour embarquer Mikado dans ses missions.
À la différence du jeune libraire, l’exorciste arbore un sourire affable et un visage très détendu. On lui donnerait le bon Dieu sans confession – ou peut-être pas… Progressivement, une autre facette de sa personnalité se dégage : est-il aussi bienveillant qu’il veut nous le faire croire ? Il est aussi séduisant qu’il peut s’avérer dangereux.
Il ne lui cache cependant pas l’aspect utilitaire du don de Mikado pour lui : sa vue exceptionnelle lui permet en effet de mieux exorciser les esprits. Toutefois, c’est son corps de façon littérale qui lui sert d’outil. Il tient fermement Mikado par le cou. Il passe sa main à travers la poitrine de celui-ci, geste violent à la fois dans la symbolique que d’un point de vue physiologique. Pourtant, ce dernier semble éprouver un certain plaisir – partagé par Hiyakawa.
La violation du corps de Mikado est manifeste : il ne lui a pas vraiment demandé son accord avant de le faire… Qui plus est, Hiyakawa semble éprouver un désir malsain de posséder chaque partie de son corps, créant une sorte d’emprise à la fois physique et mentale.
Je dois avouer que dès le début j’ai eu tendance à me méfier de lui… Son comportement pour le moins problématique me donne raison. Toutefois, Tomoko Yamashita nous réserve certainement un développement intéressant, tout en nuances, le concernant. Je le sens ! J’attends donc d’en savoir plus à son sujet pour finaliser mon jugement. Wait & see donc.
Sans pour autant me dédouaner, je préfère préciser que je débute dans l’univers BL – même si je commence tout doucement à réparer cela ; donc je n’ai que très peu de points de comparaison.
Troisième pointe du triangle, Keita Mukae est un voyant bidon mais qui possède des pouvoirs surnaturels, dont celui de communiquer avec les esprits. S’il apparaît brièvement dans le premier volume, il revient de manière plus importante dans le deuxième.
Il montre une autre façon d’entrer en résonance avec Mikado, qui n’est pas aussi violente que celle de Hiyakawa. C’est d’ailleurs lui qui le prévient du danger que peut représenter son autre binôme, l’avertissant par la même occasion du caractère problématique du « lien » qui les unit.
Grâce à lui, notre jeune héros prend conscience de ce qui lui arrive, oppose davantage de résistance, ce qui ne plaît pas vraiment à l’exorciste. Donc, j’aime beaucoup son côté élément perturbateur qui vient casser la dynamique du duo Mikado x Hiyakawa. Il permet d’entrevoir la réalité sous un autre prisme – eh oui le triangle voire le tétraèdre a toute son importance ici – et rabattre ainsi les cartes.
D’ailleurs, le binôme qu’il forme avec notre libraire paraît presque plus sain et complice, basé sur la réciprocité.
On entrevoit dès lors l’autre enjeu du récit – en plus du mystère : que Mikado va-t-il choisir ? Se laissera-t-il happer par les ténèbres séduisantes ? Ou préférera-t-il rester à la lumière ?
L’exorcisme, c’est érotique !
Je l’affirme haut et fort – et ça n’a jamais vraiment été un secret. Mikado questionne même cet aspect sulfureux de la pratique.
Parce que nos sens ne sont pas assez en éveil, l’autrice ajoute de l’érotisme à son récit ; ce qui est loin de me déplaire. En même temps, c’est aussi pour ça que je suis venue à cette série…
Dans The Night Beyond the Tricornered Window, l’exorcisme reprend toute la symbolique de la relation sexuelle.
Même s’il n’y a pas de réel passage à l’acte pour l’heure, les allusions sont trop grosses pour ne pas faire le rapprochement. Hiyakawa donne tout de même l’impression qu’entrer en connexion avec Mikado pour les besoins de son exorcisme équivaut au même plaisir que la bagatelle. On voit les personnages soupirer et afficher des visages à la limite du gémissement.
Le parallèle étant fait, la façon dont Hiyakawa « entre en Mikado » peut toutefois susciter le questionnement et interroge sur la nature potentiellement malveillante de l’exorciste, comme je l’ai exprimé plus haut.
En parallèle, Tomoko Yamashita manie avec brio les sous-entendus pour nous offrir des passages équivoques où notre imagination est exacerbée. Les scènes de couple entre le duo principal sont nombreuses, à tel point que tout leur entourage les imagine ensemble. Hiyakawa navigue souvent autour de Mikado, le tenant à une distance suffisamment proche pour l’embrasser par exemple. Ils marchent près l’un de l’autre et sont même allés jusqu’à partager une chambre d’hôtel.
Je ne veux pas trop m’emballer parce que même si l’alchimie entre nos deux héros est palpable, tout comme la tension sexuelle, le comportement violent de Hiyakawa à certains moments remet les pendules à l’heure. Ça reste quand même difficile de ne pas être un peu émoustillée. Je plaide totalement coupable de ce sentiment ambivalent nourri à leur égard !