Aki Kusaka est une autrice encore méconnue en France. Elle nous arrive par l’intermédiaire de Pourquoi Attendre ?, une romance lycéenne prépubliée dans le magazine Margaret et disponible chez Soleil Manga. Usant à bon escient de l’humour et jonglant habilement avec quelques codes du shôjo, ce premier tome a été un vrai plaisir à la lecture.
Avant de le commencer, je n’avais pas d’attente particulière, espérant tout de même passer un bon moment. Je ne savais pas trop dans quoi je m’embarquais – car je le précise, je préfère ne pas lire le résumé ou tout du moins tenter de l’oublier le plus possible. Au final, ce fut une très agréable surprise que je compte bien poursuivre ! D’ailleurs, le prochain tome est prévu pour mai et on sait d’ores et déjà que la série ne s’éternisera pas puisqu’elle devrait comptabiliser au total 9 volumes. En somme, une bonne durée ! Après tout, pourquoi attendre ?
Yûri et Keiichirô, deux lycéens, s’aiment et ont décidé de sortir ensemble. Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour la jeune fille, totalement éprise, si son petit ami ne devait pas respecter un règlement très strict qui a cours dans sa famille depuis des générations. En effet, jusqu’à ses 18 ans, il lui est interdit d’avoir de quelconques contacts physiques – pas même un baiser – avec la gente féminine.
Si Yûri paraît dévastée au premier abord, elle entend bien ne pas se laisser faire et user de son charme pour parvenir à ses fins. De son côté, Keiichirô semble prêt à secouer ces règles d’un autre âge, même si cela prendra du temps…
L’amour sous contrat(s) ?
Le contrat de relation est un trope particulièrement présent dans les séries romantiques (shôjo ou non d’ailleurs). Un duo de personnages choisit de fixer, à l’écrit le plus souvent, les limites de leur fausse relation pour diverses raisons : paraître en couple aux yeux des autres, faire taire les rumeurs, fuir un mariage arrangé, etc.
Dans le cas présent, c’est un peu différent. Seul Keiichirô est lié à un règlement, celui de sa famille. Celui-ci régit entre autres les relations amoureuses de ses membres. Néanmoins, Yûri se retrouve indirectement concernée puisque si elle veut continuer à le fréquenter, elle devra elle aussi s’y plier.
On peut toutefois comprendre que cela puisse être difficile pour elle. Après tout, elle sort avec celui qu’elle aime – et pour qui elle voue une forte passion – mais elle ne peut pas découvrir le côté charnel de leur relation. Tout au plus, ils peuvent faire un bout de trajet ensemble et marcher côte à côte. Elle s’imaginait déjà pouvoir le tenir par la main, l’embrasser, le toucher et pouvoir peut-être aller au-delà…
À cet âge, alors que nos hormones peuvent nous titiller, contrôler son désir relève du sacerdoce… En cela, Aki Kusaka réussit à le montrer, du côté de Yûri mais aussi chez Keiichirô – de manière, certes, un peu plus discrète. Et pourtant ils vont devoir se contenir… ou ruser pour ne pas se faire attraper. Les coquins !
On pourrait penser que contrat et amour ne font pas bon ménage, pourtant ce genre de récits propose des bases de relation assez saines. En effet, les deux parties établissent des règles selon lesquelles elles veulent faire fonctionner leur relation. Il arrive souvent que l’amour s’en mêle… Dans Pourquoi Attendre ?, nos deux héros s’aiment déjà. Ils doivent composer avec un règlement familial des plus stricts mais cela leur donne une meilleure idée. Pourquoi ne pas créer leurs propres règles ?
La rencontre de deux univers
Yûri est une lycéenne issue d’un milieu ni modeste ni aisé. Plutôt impulsive, on lit en elle comme dans un livre ouvert tant ses désirs transparaissent. Elle est également très sûre de son charme et ses atouts : elle sait qu’elle plait. Enjouée, elle nous montre une jolie palette d’expressions.
Elle fréquente le lycée Saint Margaret qui se trouve juste en face de celui de Keiichirô (le lycée Shûei), qui représente l’élite : avec des élèves brillants qui ont pour objectif d’obtenir les meilleurs résultats. Fils et petit-fils de politiciens, son avenir – tout aussi brillant – semble tracé.
À la différence de Yûri, il est davantage discret voire presque taciturne. Il ressemblerait presque à ce cliché du BG silencieux et rustre. Heureusement, ce n’est pas le cas. Bien au contraire, le jeune homme est fort sympathique, se montrant très attentionné. Il a parfois des difficultés à exprimer ses sentiments. Son calme n’est qu’apparent, à certaines reprises.
Ce portrait étant dressé, on pourrait croire qu’il s’agit d’une énième histoire d’amour entre un garçon riche et une fille qui l’est moins, mais ce n’est pas que ça. Bien sûr, du fait de leur milieu diamétralement opposé, ils n’auraient pas dû se rencontrer. L’autrice nous le fait comprendre à plusieurs reprises.
Évidemment Keiichirô pourrait correspondre à cet éternel fils de riches, solitaire mais très entouré par sa ribambelle de gardes du corps. Ceux-ci le suivent dans ses moindres faits et gestes, tout en assurant sa protection.
En revanche, il est tellement formaté par le règlement familial si bien qu’il a du mal à agir en dehors de ce carcan. C’est tout à fait compréhensible. Quand on a l’habitude d’un cadre, il peut paraître difficile d’en sortir. Il y a donc fort à parier que Yûri lui servira en quelque sorte de déclencheur pour aborder la vie différemment, et explorer un autre univers (celui de sa petite amie par exemple)… Pour ma part, ça ne me dérange pas car c’est toujours l’occasion de voir un personnage évoluer. En l’occurrence, Keiichirô est un protagoniste qui me plaît bien – même si ça n’avait pas été le cas, j’aime lorsqu’il y a une marge de progression. Les Gary Stu on n’en veut pas !
Bienvenue dans l’administration !
Pour accentuer cette rencontre si particulière entre nos deux tourtereaux, l’autrice exploite à fond le concept de la famille comme administration. Étant bon public cela me fait bien rire !
En plus de leur fameux règlement dont je parle depuis le début de cette chronique, les Katsuragi possèdent leur propre secrétariat, avec toute la multitude de formalités administratives que cela suppose. Chaque demande doit faire l’objet d’une revendication écrite remplie selon un formulaire. Le bureau qui gère cela peut refuser s’il estime que les justifications ne sont pas suffisantes. Sous quels critères ? On ne sait pas trop mais c’est assez drôle, notamment lorsque Keiichirô se voit refuser l’accès à un téléphone portable parce que son motif n’est pas précis.
Qui plus est, on connaît tous les défauts de la bureaucratie, avec ses lenteurs et son absence d’efficacité. Force est de constater ici que la famille de Keiichirô a choisi de ne pas s’enliser dans ces travers pour en créer un système compétent, servant l’ascension de ses membres aux plus hautes sphères du pays, un peu à la manière de la Firme britannique. Si les Katsuragi trustent la tête du Japon, ce n’est pas un hasard.
Ce premier tome est bien entendu introductif ; j’ai tout de même hâte d’en savoir plus sur cette « dynastie ». Cela m’intéresse presque plus que Yûri, qui représente finalement une certaine normalité à laquelle nous sommes habitué·e·s en tant que simples mortel·le·s. Et l’autrice le sait très certainement ! Malgré tout l’héroïne me plaît également beaucoup : je compte bien observer la façon dont elle gère son entrée dans un autre monde que le sien, en espérant qu’elle ne soit pas trop maltraitée.
D’ailleurs, je pressens que les embûches ne font que commencer. Les lois du shôjo sont limpides : si le couple se forme au début, il sera confronté à de nombreuses difficultés. C’est assez évident me diras-tu. Car autrement quel est l’intérêt de l’histoire ? Mais il est toujours bon de le rappeler. La question sera de savoir comment Aki Kusaka s’en sort. La famille du héros aura certainement son rôle à jouer et je vois déjà un personnage causer pas mal d’ennuis à notre jeune couple. Nos deux amoureux pourront également être éprouvés dans leurs sentiments et attentes, si ceux-ci finissent par diverger à un moment donné.