La célèbre série de Tomoko Ninomiya est de retour dans nos contrées francophones ! C’est un titre que j’affectionne particulièrement, ayant pu voir les 3 saisons que compose l’anime et découvert l’adaptation coréenne (Naeil’s Cantabile). Un jour, je regarderai le drama japonais. Mais pour l’heure, intéressons-nous au manga !
Pianiste de génie, Shin’ichi Chiaki suit les cours de l’université Momogaoka, consacrée à la musique. Admiré par ses pairs, fils d’un célèbre musicien, sa voie semble toute tracée. Pourtant, son rêve est ailleurs. Depuis qu’il a rencontré le célèbre Sevastiano Viera, chef d’orchestre mondialement reconnu, le jeune homme n’aspire qu’à suivre ses pas, en Europe. Malheureusement, l’idée de prendre l’avion (et le bateau) le terrifie…
Viré de son cours particulier de piano par son professeur à la suite d’un différend avec ce dernier, l’alcool triste, il envisage même d’abandonner la musique et rejoindre l’entreprise d’instruments de son père. Ce manque d’ambition agace sérieusement son ancienne petite-amie, qui le voit désormais comme un perdant. Leur échange s’arrête là. De son côté, il finit par rentrer et s’endort devant la porte de sa voisine de palier, une certaine Megumi Noda.
Alors qu’il reprend connaissance, il entend à nouveau la « sonate pathétique » de Beethoven pour piano (NDLR : Sonate pour piano no 8 en do mineur, Op. 13, « Pathétique »), interprétée librement par cette jeune femme, dans un véritable capharnaüm qui tient lieu d’appartement. Une rencontre qui bouleversera – à bien des niveaux – autant Shin’ichi que Megumi, que l’on surnommera Nodame par la suite…
Un mot sur la réédition
Nodame Cantabile a été pendant indisponible au format physique pendant plusieurs années, rendant difficile l’acquisition de certains tomes en occasion – ou alors à des prix bien trop exorbitants. Aussi, l’annonce de cette réédition m’a-t-elle rendue très heureuse. Je n’avais pas pu mettre la main dessus à l’époque de sa première parution faute de moyens… ce que je n’ai pas cessé de regretter.
Pour l’occasion, Pika a décidé d’intégrer le josei de Tomoko Ninomiya, prépublié dans le magazine Kiss (Tokyo Tarareba Girls ou encore Princess Jellyfish par exemple), à sa collection « Masterpiece ». Les 25 tomes constituant le manga (série principale + la suite Opera Hen) seront ainsi compilés en 13 volumes incluant de nouvelles couvertures, des illustrations couleurs ainsi que des chapitres bonus, le tout pour 16 €.
Les dos comportent une frise spécifique à cette réédition. Ce n’est pas nécessairement un critère qui m’attire vers un titre plutôt qu’un autre. Néanmoins, dans le cas présent, comme il s’agit de personnages et non une fresque, le rendu permettra de scinder la série sur une étagère, sans que cela ne défigure l’ensemble.
Je n’oublie pas non plus la liste des différents morceaux joués au cours de ce premier volume, présente sur la quatrième de couverture. Ce n’est peut-être pas grand-chose mais j’apprécie énormément ce détail, qui permet de mieux s’immerger dans le récit en les écoutant.
Il y a donc un joli travail d’ensemble réalisé au niveau éditorial, même si je peux tout à fait comprendre que sur un point précis, ce premier tome soit perfectible.
Du fait de la collection « Masterpiece » et de son format double pour 16 €, les attentes sont forcément élevées. En effet, dans notre situation actuelle (inflation, surabondance de titres sur le marché, etc.), tout élément de fabrication/éditorial peut devenir un critère de choix. Même si on a envie de soutenir le maximum possible, le budget qu’on se fixe ne suit pas toujours – quand ce n’est pas un problème de place. Quoiqu’il en soit, ayant reçu ce volume dans le cadre du Shôjo Addict Club, je ne me permettrais pas de juger à ce sujet.
En parcourant les pages, on peut constater que le papier a un rendu plutôt transparent. L’éditeur nous a répondu avoir pris note de cette remarque et étudier le sujet pour les prochains tomes. S’agissant des pages ou illustrations couleurs, l’accès a été restreint, la version originale ne comprenant notamment pas de bichromies.
La musique classique : ton univers impitoyable
L’univers de la musique classique n’est pas facilement accessible, souvent considéré comme élitiste. Par exemple, apprendre à jouer d’un instrument tel que le violon requiert beaucoup de temps et d’argent. Ce n’est pas donné a priori à tout le monde, bien que cela tende à changer. On a aussi coutume de penser qu’il faut un certain bagage culturel pour savoir en apprécier les morceaux.
À ce titre, Shin’ichi, grâce à son milieu familial, représente bien ce phénomène dans le sens où il baigne dans cet univers depuis sa plus tendre enfance et a intégré tous les codes pour naviguer – quoique vu sa phobie – à l’intérieur. Il a même une porte de sortie au cas où son rêve ne se réalise pas. Luxe dont ne disposent pas certains de ses camarades, si leur carrière venait à ne jamais décoller.
Pour le moment, la mangaka n’entre pas frontalement sur le volet de la compétition ainsi que les coups bas qu’elle peut engendrer. Néanmoins, elle n’élude pas les sentiments malintentionnés de quelques élèves (i.e. la jalousie), tout comme les situations de stress qu’ils peuvent vivre en période d’examen. C’est par exemple le cas de Ryûtarô Miné, violoniste, qui doit éviter le rattrapage.
Par ailleurs, la musique classique est associée à la discipline qu’il est nécessaire d’avoir pour maintenir un niveau suffisant et progresser. C’est un entraînement intensif et régulier (tous les jours pendant plusieurs heures) qu’il ne faut pas négliger sous peine de se retrouver à la traîne par rapport aux autres. Jouer bien est une chose, exceller en est une autre. C’est là où la question de se démarquer, alors qu’on est coincé·e dans un carcan, peut se poser. Comment sortir du lot ? Jusqu’où peut-on pousser la singularité ? Y a-t-il de la place pour l’originalité ?
En revanche, Tomoko Ninomiya aborde un sujet délicat : le harcèlement sexuel à travers le personnage de Franz von Stresemann. Cet homme d’un certain âge se présente à Nodame sous un faux nom, Milch Holstein (Milch signifie lait en allemand et Holstein étant une race de vache à lait), souhaitant l’inviter dans sa chambre d’hôtel. Son arrivée est présentée comme très louche, et son attitude n’inspire que malaise. La suite à son sujet ne donne pas vraiment envie d’en savoir plus. C’est clairement un pervers et un forceur auprès de la gent féminine, affichant son fétichisme de manière totalement décomplexée.
La rencontre de deux styles
Nodame Cantabile, c’est vraiment le choc de deux personnages que tout oppose. Nos héros n’ont quasiment rien en commun, mise à part la musique classique. C’est un ressort scénaristique que j’adore parce que ça permet de confronter assez facilement deux points de vue, sans nous les imposer. D’ailleurs, la beauté réside dans l’influence que l’un va avoir sur l’autre et vice-versa.
Avec ses onomatopées sorties de nulle part, Nodame est une jeune femme originale, sans gêne et totalement aux antipodes de ce que la société attend d’une « femme modèle ». La cuisine, qu’est-ce que c’est ? Le ménage, peut attendre. Et je ne parle pas de son hygiène corporelle relativement hasardeuse. Sa passion pour le piano prime sur tout le reste, la faisant certainement oublier les réalités matérielles.
Elle nous interprète les plus grands classiques à sa sauce, tout à l’oreille ! Cela lui vaut quelques erreurs et libertés, mais même Chiaki reconnaît son talent certain, admirant quelque part son approche presque désinvolte de la musique.
De son côté, notre personnage principal apparaît comme psychorigide et très soucieux de vivre dans un environnement sain, dénué d’ordures et fait de bons petits plats préparés maison. Forcément, lorsqu’il constate l’état de saleté dans lequel se trouve l’appartement de sa voisine, il ne peut s’empêcher de mettre son grain de sel… et le ranger.
Question musique, il connaît sa valeur, ce qui le fait passer pour arrogant à certains moments. En même temps, il excelle dans le maniement de plusieurs instruments comme le piano ou encore le violon. Son interprétation des morceaux, à la différence de Nodame, est beaucoup plus académique, respectant à la lettre les indications du compositeur. Cela peut se comprendre puisqu’il souhaite devenir chef d’orchestre.
Entre finesse et humour à la bonne franquette
Pour contrebalancer les aspects plus sombres évoqués un peu plus tôt dans ma chronique, il règne à plusieurs moments une certaine légèreté, magnifiée par le trait presque aérien de l’autrice. Je ne sais pas comment l’expliquer mais je le trouve très doux, notamment lors des scènes où nos personnages jouent de leur instrument. On pourrait presque deviner la façon dont ils interprètent tel ou tel morceau.
À cela, il faut ajouter un humour à toute épreuve fait de running gags, comiques de situation et parfois très pipi-caca-prout. Ça contraste complètement avec la finesse de certaines scènes, niveau composition. J’adore ce décalage !
Le comique de répétition réside principalement dans le fait que Nodame, avec ses gros sabots, trouve le moyen de tout le temps s’incruster chez Shin’ichi, sans que lui n’oppose une si grande résistance. En même temps, elle ne lui laisse pas beaucoup le choix et il semble presque en redemander. Je peux comprendre que ce côté sans-gêne de l’héroïne puisse déranger. De mon côté, je le vois de façon tellement exagérée que cela rajoute à l’humour déjà fort présent.
Ce serait moins drôle si les situations se répétaient simplement. Ici, il y a une certaine gradation qui s’installe. Toujours plus devrait être la devise de Nodame… *rires* Tout est prétexte pour la jeune femme de s’immiscer un peu plus dans la vie de notre héros. Ce n’est absolument pas calculé de sa part. Non, elle y va franco, comme la femme entière et spontanée qu’elle est. On comprend bien qu’elle n’imagine aucune stratégie pour se rapprocher de lui. Et quand elle le fait, ça rate complètement.
Par ailleurs, le comique de situation est porté par de fabuleuses grimaces. La mangaka n’hésite pas à déformer les visages de ses personnages, afin de leur donner les expressions les plus idiotes possibles face au ridicule de certaines situations. C’est souvent Shin’ichi qui en fait les frais, mais les têtes de Nodame sont tout autant exceptionnelles à certains moments.
Enfin, je ne pourrais pas passer à côté de l’humour parfois « proutesque » (j’invente des mots comme Nodame) de la série. En témoigne par exemple la mélodie du prout interprétée par Nodame. Des barres, surtout avec Shin’ichi qui se demande où il a atterri pour suivre son nouveau cours de piano ! Cette scène surgit sans qu’on s’y attende que j’ai ri plus que je ne devrais.
Redécouvrir Nodame Cantabile via le manga a été un véritable plaisir ! Sans en avoir l’air, ce premier volume aborde quelques sujets délicats sans omettre l’humour. J’apprécie énormément la dynamique qui s’est installée entre Nodame et Shin’ichi, deux jeunes gens au style musical diamétralement opposé, mais qui ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre.
Tout comme toi, je me suis longtemps languie de pouvoir lire cette oeuvre dans son format original. J’avais adoré l’anime et je suis très heureuse d’avoir eu un ressenti très similaire à ma lecture du manga. J’ai beaucoup aimé ta chronique, vivement la suite !
Merci beaucoup pour ton commentaire ♥ (désolée pour mon retard t_t)
C’est un peu étrange de redécouvrir Nodame Cantabile presque 10 ans après, alors que je n’y croyais plus. Mais je suis tellement contente et j’espère tellement que l’œuvre saura trouver son public !