Et si l’on pouvait tout recommencer autrement ? C’est peut-être le vœu secret d’Aki et Kei, les héros de Tant que nous serons ensemble, ou quand l’impossible se pare d’un voile poétique.
Ça commence comme une jolie tranche de vie. Aki et Kei emménagent dans leur nouvelle maison. Nouvelle demeure, nouveau quartier, nouvelle vie. Elle travaille comme puéricultrice dans un jardin d’enfants. Il est employé d’une maison d’édition. Les voisins souhaitent la bienvenue aux jeunes mariés. Aki et Kei espèrent vivre ainsi, avec leur bonheur simple.
Conter la souffrance avec justesse
Elle se fait d’abord connaître avec Hidamari ga kikoeru, histoire touchante et poétique, véritable ode à la tolérance. L’autrice se faisait alors appeler Yuki Fumino – nom de plume utilisé pour ses œuvres Boy’s love – et nous parlait de handicap avec réalisme et justesse. La mangaka revient sous le nom de Yuki Akaneda, et signe Tant que nous serons ensemble. Une œuvre délicate, pour un sujet tabou. Car si Aki et Kei partagent le même nom, ce n’est pas pour les raisons que l’on croit.
Le tabou et l’impossible
Très vite, Yuki Akaneda nous révèle que non, Aki et Kei ne sont pas jeunes mariés. L’on se rappelle alors des premières pages, et le malaise nous gagne. Yuki Akaneda parvient cependant à repeindre la toile, à retisser les fils de cette relation impossible. Dès le chapitre suivant, l’on plonge dans le passé des deux âmes tourmentées. Un passé tout aussi bancal. Ces deux-là s’aimaient trop, c’est sûr. Que pense l’entourage de cette relation ?
L’autrice brosse le portrait de gens ordinaires, qui grandissent, vont à l’école, au collège, au lycée, découvrent les premières amours… Elle s’éloigne parfois d’Aki et Kei pour évoquer l’histoire des autres. Les amis, leurs soucis. Des allers-retours entre passé et présent, entre les héros et les autres, qui ajoutent une épaisseur supplémentaire à l’œuvre. La relation d’Aki et Kei n’en devient que plus poignante, sans pour autant nous apparaitre salutaire.
Aveu implicite ? Le frère et la sœur ne montrent aucun signe extérieur trahissant leurs sentiments. Tout est sous-entendu, et le dessin de Yuki Akaneda saisit parfaitement ces instants, fugaces, de tendresse. Une tendresse limitée à un sourire ou un mot, lorsqu’ils ne sont que tous les deux. Une tendresse aussitôt réfrénée. Aki et Kei ne s’autorisent rien. Leur relation reste purement platonique. Comme pour montrer qu’ils sont bien conscients que leur amour est interdit.
Une autrice pas comme les autres
L’actualité terrible de ces dernières semaines nous ramène à une réalité injustement passée sous silence. L’inceste détruit des vies. Hélas, on a trop vu de titres parler d’inceste avec une légèreté alarmante : manga, anime, light novel, tous les supports exploitent cette thématique comme si elle ne posait pas question. Pire : au nom de l’amour, nombre d’œuvres, parmi lesquels des shôjo, légitiment l’inceste. Tout serait possible au nom de l’amour. Qu’importe le lien de parenté, l’amour briserait les barrières. L’on peut s’interroger sur le message délétère envoyé au lectorat, surtout aux jeunes (les héros de ces œuvres étant souvent des adolescents).
Yuki Akaneda prend le contre-pied de ce mouvement. À chaque page, elle nous montre que non, la relation d’Aki et Kei n’a rien d’ordinaire. Loin de glorifier l’inceste, elle fouille les âmes, révèle les blessures, met les cœurs à nu. Au fond, Kei et Aki n’entretiennent-ils pas une relation toxique ? Au fil des années, l’affection innocente a cédé la place à un amour impossible à concevoir. Aki est particulièrement présente pour son frère, au point de prendre une place centrale dans sa vie. C’est bien elle qui choisit cette place. Mais est-ce la bonne ? Kei peut agacer, tant il semble dépassé par les évènements. Il a peut-être simplement compris, lui, que quelque chose n’allait pas, sans parvenir à trouver le bon équilibre.