Cette couverture à l’ambiance très chaleureuse montrant en plongée un homme et son fils dans ce qui semble être un cottage en bord de mer a tout de suite attiré mon attention. Ils nous souhaitent la bienvenue avec le sourire, nous invitant à rafraîchir notre coupe ou changer complètement de style. Je serais bien tentée d’aller me faire coiffer dans ce si joli cadre, moi.
Après quelques années, Shin Takahashi marque son retour en France dans la collection Moonlight de Delcourt/Tonkam avec Cette vie auprès de toi, un josei prépublié dans le Melody (Le Pavillon des Hommes) comptant actuellement 5 tomes. Pour ma part, il s’agit de mon premier contact avec l’auteur. Et quel contact !
Nous pouvons le retrouver en parallèle dans une nouvelle édition (double cette fois-ci) de Larme ultime, son œuvre phare sortie en France dans les années 2000.
Originaires de Tokyo, Riku et son jeune fils Issei s’installent tous les deux sur une île de la préfecture d’Okinawa.
Lui est coiffeur : il projette d’ouvrir son salon mais on lui annonce d’emblée que ça ne sera pas facile. Cela ne le décourage pas, bien au contraire ! Il reste dans son optique, cherchant diverses façons de se faire connaître, sans non plus forcer sa présence auprès des insulaires. Car au-delà de sa vie professionnelle, Riku entend bien profiter de son fils tout en lui offrant un cadre rassurant et agréable.
La vie insulaire
Riku, et dans une moindre mesure Issei car il est jeune, sont des citadins. La foule, les commerces à foison, la lumière des lampadaires et autres écrans publicitaires, ils en ont l’habitude. Se déplacer en ville est également très facile grâce à la multiplicité de modes de transports : taxi, bus, métro, etc. Alors, lorsque tous les deux arrivent sur l’île de Haruta, un bout de terre très isolé dans la préfecture d’Okinawa, le changement est radical.
Il n’y a pas d’éclairage sur les chemins : dès que la nuit arrive, le noir est total à l’exception de la lueur éventuelle de la Lune. Les habitants ont d’ailleurs calé leur rythme de vie en fonction des moments de jour dont ils disposent. C’est d’autant plus accentué que leurs moyens de locomotion – collectifs – sont restreints. Je n’ai pas vu l’ombre d’un bus passer durant tout ce tome (ni abri de bus d’ailleurs). Ainsi, pour parcourir de longues distances, le vélo, le scooter ou la voiture/utilitaire sont ce qu’il y a de plus recommandé.
De même, Haruta étant une toute petite île, les commerces sont assez peu nombreux. Il faut souvent se rendre sur l’île principale. Toutefois, les habitants ont développé un système d’entraide et de libre-service. Les producteurs mettent leurs fruits et légumes en accès direct, contre paiement. La confiance règne tellement que l’étal est sans surveillance. Cela dit, tout le monde se connaît : le voleur n’irait pas bien loin.
Loin de la folie ambiante de la capitale, la tranquillité règne sur Haruta. Sans être totalement arrêté, le temps paraît défiler à moindre allure ; tout a l’air plus posé et serein. En cela, en tant que lectrice, cela me procure beaucoup de bien. C’est en quelque sorte un petit temps que je prends pour moi, pour me détendre. Même si comme le héros, je suis davantage une fille de la ville, j’apprécie ce genre de moments plus paisibles.
En outre, l’auteur nous gratifie de très belles planches aux décors enchanteurs. Toutefois, la plupart du temps les cases restent minimalistes dans leurs détails : beaucoup de scènes se concentrent sur les émotions, la gestuelle avec des gros plans sur les visages également.
Retour aux sources
Étant donné le cadre idyllique, on peut comprendre pourquoi ce père a voulu élever son fils dans un tel environnement. La thématique du retour aux sources/de la mise au vert est quelque chose que l’on rencontre assez souvent dans la fiction. En général, ce sont des personnes désirant retrouver du sens à leur vie. Soit elles veulent fuir une réalité trop dure, soit elles cherchent à se recentrer sur elles-mêmes pour mieux aller de l’avant.
J’apprécie ce genre de récits car ils donnent la part belle à l’introspection – même si ce ne sont pas les seuls – et permettent de sonder la psyché humaine. Shin Takahashi accorde beaucoup d’importance à nous dévoiler ce que ressent le personnage de Riku, comment il se positionne par rapport à certaines situations.
C’est également l’occasion de voir le « fossé » qui sépare les personnes de la ville et celles de la campagne. Pour Riku, cela peut ressembler à une escapade un peu exotique, qui viendrait revigorer son quotidien, le sortir de sa routine. Les autochtones le savent et se méfient en général, car ils en voient souvent des gens débarquer à la campagne (loin de la ville) et qui « veulent » changer de cadre de vie. Pour la plupart, ils ne s’intéressent pas aux us et coutumes et ne souhaitent pas s’adapter. Par exemple, si on souhaite de la tranquillité, ce n’est pas à la campagne qu’on va la trouver. Les exploitations agricoles, les animaux, tout ça fait du bruit.
Alors, lorsque nos deux citadins font progressivement la connaissance des habitants de l’île, sans mal les accueillir, ceux-ci se montrent réservés à leur égard. Notamment, Mlle Satomi, l’employée de mairie, l’alerte assez vite sur la possibilité que son affaire ne marche pas : l’île est isolée, les gens ont pris l’habitude de se couper les cheveux par eux-mêmes, etc.
D’ailleurs, une chose importante, la fonctionnaire l’invite (c’est presque une obligation en réalité) à se conformer aux traditions de l’île. C’est très important pour les habitants et fera office de test. Si Riku suit son conseil, cela montrera qu’il a véritablement envie de s’installer durablement ici et s’y adapter. Il s’agira là d’un marqueur fort.
Autrement, sous leurs dehors un peu rustres, on sent que les insulaires ont tout de même envie de leur laisser prendre place avec eux. Je pense à ce vieil homme, un peu bourru, mais qui explique – à sa manière – tout de même à notre héros comment fonctionne le libre-service. Il y a aussi cet électricien qui lui offre un bon repas. C’est aussi cette entraide qui fait toute la beauté des liens que tissent les habitants de cet îlot.
Pour l’heure, je ne sais pas de quel côté du spectre Riku se situe. Essaie-t-il désespérément de fuir une situation qu’il ne peut plus gérer, sachant qu’il etraîne son fils avec lui ? Ou au contraire, veut-il rattraper les instants qu’il a manqués, tout en se reconnectant à son vrai moi ?
Devenir père
Dans ce premier tome de Cette vie auprès de toi, on se rend compte que c’est aussi l’histoire d’un père qui cherche à embrasser sa paternité. Si les raisons de son déménagement sur l’île de Haruta ne sont pas totalement dévoilées, le mangaka nous fait habilement comprendre que Riku a envie de s’investir auprès de son fils, de lui apporter de la joie mais aussi une certaine sérénité.
Il se trompera certainement ; après tout, personne ne naît avec le mode d’emploi du père idéal. Cependant la volonté qui l’anime est très touchante. Il fait d’énormes efforts pour ne pas qu’Issei lise une once d’inquiétude sur son visage et montrer qu’il maîtrise la situation. En tout cas en apparence. Et même si des difficultés surviennent, ce n’est pas grave, il y a une solution pour tout. Il suffit de prendre le temps. Mais au fond, n’est-ce pas lui-même qu’il souhaite rassurer ? Car il est bien conscient que son choix impacte aussi un jeune enfant et qu’il l’arrache – en quelque sorte – à ses habitudes, ce qui peut être déstabilisant pour lui.
On sent qu’il a ce désir de s’impliquer à fond dans l’éducation de son fils, bien qu’il en fasse un peu trop. Il doit aussi apprendre à lui faire confiance et ne pas trop le couver. Chose plus facile à dire qu’à faire, nous sommes d’accord.
De son côté, Issei est un petit garçon calme et silencieux. Il ne parle presque pas, sauf pour prononcer le mot « papa ». Néanmoins, il demeure très expressif : on remarque tout de suite sa joie et son émerveillement. Son jeune âge fait qu’on ne sait pas très bien comment il vit cette nouvelle situation, d’autant plus que nous la constatons davantage à travers le point de vue de Riku. Cela étant, ses actes nous montrent qu’il accepte ce changement, aidant son père à sa manière en ramenant quelques clients pour son salon. De même, son mutisme ne l’a pas empêché de commencer à tisser des liens avec certains enfants de sa future école.
Cette relation père-fils est au cœur de ce premier volume. On les voit tous les deux dans de très jolis moments de complicité, et ce à plusieurs reprises. C’est très touchant. Il y a notamment deux doubles-pages qui m’ont particulièrement émue. L’émotion est montée au fur et à mesure de ma lecture, pour atteindre son paroxysme à cet instant.
J’espère toutefois que la suite permettra de mieux se focaliser sur le garçonnet. Il a très certainement beaucoup de choses à nous dire et nous témoigner. Et puis je l’adore tellement, avec sa petite bouille et ses yeux tout ronds.
Ainsi ce premier volume de Cette vie auprès de toi m’aura complètement charmée. On suit le nouveau quotidien d’un père et son fils à mille lieux de leurs habitudes de vie, le tout dans un univers idyllique. Le rythme de la narration est très tranquille, ce qui me fait le plus grand bien. J’ai hâte de connaître la suite prévue le mois prochain, d’autant qu’un petit mystère semble planer avec l’apparition d’un mystérieux personnage…