Zoom sur Ne m’oublie jamais, le dernier webtoon de la célèbre mangaka Akiko Higashimura. Le cap des 30 ans, les souvenirs qui s’emballent, les regrets, les espoirs… À travers la longue quête de Jihyun, Higashimura nous parle de ces rêves de jeunesse après lesquels on court…
Peut-on revivre ou réparer le passé ? Faut-il courir après les jours heureux ou tirer un trait définitif sur ce passé qui n’est plus ? C’est toutes ces questions que nous pose Akiko Higashimura à travers Ne m’oublie jamais.
Ma vie dans le rétroviseur
Le cap des 30 ans. On la présente comme une année « charnière », où « tout bascule »… Mais pour Jihyun, la vie ressemble à un point fixe. Alors que ses collègues lui souhaitent son anniversaire, elle se souvient de ses jeunes années. De quoi rêvait-elle ? Voulait-elle travailler dans un obscur magazine people ? Jihyun regarde dans le rétroviseur et n’aime pas vraiment son reflet. Elle aurait pu avoir une autre vie. Écrire des navets sur les stars, ce n’est pas vraiment son truc. Mais elle aime ce qu’elle fait. La vie est pleine de contradictions…
Heureusement qu’il y a Haneul. C’est la star montante du moment. Jihyun est fan de lui. Elle lui trouve un air de ressemblance avec Jimin, son amour de jeunesse. Jihyun imagine soudain la vie qu’elle aurait eue avec Jimin. Elle est certaine qu’elle aurait été heureuse. Mais elle l’a perdu de vue, et broie du noir… Pourquoi ne pas partir à sa recherche ? La trentenaire s’arme de courage pour fouiller son passé. Voilà comment elle passera le cap des 30 ans : en retrouvant son amour perdu.
À la recherche de l’amour perdu
Ne m’oublie jamais, c’est le dernier webtoon d’Akiko Higashimura, disponible sur la plateforme Piccoma. On ne présente plus l’autrice, connue en France pour Princess jellyfish, Le Tigre des Neiges, Tokyo tarareba girls, Trait pour trait, Gourmet détective et A fake affair. Sorti en 2020, Ne m’oublie jamais s’est achevé au Japon en mai 2023, avec le 13e tome. Le webtoon a en effet bénéficié d’une sortie simultanée en Corée du Sud et au Japon sous format numérique, avant de sortir en relié (on rappelle que la mangaka est une grande fan de pop culture sud-coréenne^^).
La version japonaise se nomme « 私のことを憶えていますか» (watashi no koto wo oboete imasuka / te souviens-tu de moi ?). Les prénoms des personnages changent : Jihyun devient Haruka, Haneul s’appelle Sora, et Jimin se nomme Kô.
Ne m’oublie jamais – couverture du webtoon
Le temps des regrets
Revivre son premier amour… Idée tentante, au premier abord. À force de revivre ses souvenirs, Jihyun est persuadée de passer à côté de sa vie. Mais après quoi court-elle ? Elle sait qu’elle ne retrouvera jamais le bonheur insouciant de l’enfance. Le petit Jimin a grandi, et elle aussi. Mais elle est certaine que leur relation survivrait à ce trou béant de 20 ans. Mais Jimin la reconnaîtrait-il ? Voudrait-il la revoir ?
On ne compte plus les histoires parlant du premier amour, de ces couples qui se retrouvent « comme au premier jour ». C’est romantique et c’est très beau. Mais on oublie de préciser que l’amour n’arrête pas le temps. Bien sûr, il est tout à fait possible que l’amour survive aux années, mais il ne sera pas comme dans le passé. Personne ne peut revivre exactement ce qu’il a vécu, car entre hier et aujourd’hui, on a changé. L’amour change. Les retrouvailles déboucheront sur le retour du couple, ou pas. Eh oui, retrouver son premier amour ne signifie pas forcément qu’on recommencera avec lui.
Mais ça, Jihyun n’y pense pas encore. Elle est trop occupée à se dévaloriser. Pleine d’incertitudes, elle est certaine de n’intéresser personne. Elle a honte de ce qu’elle est devenue. Higashimura nous fait souvent partager les moments de réflexion de son héroïne. On sent toute la fragilité de la jeune femme. Ses questions, tout le monde pourrait se les poser.
Triangle ou barres parallèles
Il fallait bien un triangle amoureux pour compliquer le quotidien de notre héroïne déjà bien difficile. Quoique… Jihyun, certaine de ne plaire à personne, ne prend pas du tout au sérieux les déclarations qu’elle peut recevoir… Elle ne les remarque même pas, en fait. S’agit-il seulement de déclarations sérieuses ?
As-tu déjà eu un camarade de classe un peu saoulant, un peu moqueur ? Tu sais, ces garçons dont le passe-temps favori est d’embêter une fille en particulier… Jihyun l’a vécu et reste traumatisée. Mais si elle a perdu de vue le gentil Jimin, elle n’a pas coupé les ponts avec ses amis d’enfance, même avec le plus virulent d’entre eux. Au final, c’est lui qui est toujours là pour elle. Pourquoi vivre dans le passé alors que le présent lui tend les bras ?
Mais Jihyun ne veut pas d’un présent qu’on lui impose. Car ses amis d’enfance et même ses parents semblent tout faire pour la pousser loin de ses rêves. D’un côté, on peut comprendre les parents : on ne peut pas vivre dans son imaginaire. Mais de l’autre, on se demande qui peut diriger la vie de Jihyun. Elle, ou les autres ?
Entre action et passivité
L’ambiance du webtoon est plutôt mélancolique. J’aime beaucoup cette ambiance, et l’équilibre fragile que tente de maintenir Jihyun. Hélas, la douce mélancolie semble devenir pesante. Jihyun, partie fouiller son passé, se retrouve vite spectatrice des évènements. Elle ne dirige pas l’action. Elle subit et erre, bloquée dans ses pensées.
Jihyun se laisse porter par la vague. Qui dirige le bateau ? Les hommes, hélas. Ils surgissent comme des chevaliers stéréotypés et sauvent notre trentenaire incapable de naviguer. Eux-même sont de véritables girouettes, mais comme ils transpirent un prétendu héroïsme viril, on pense qu’ils sont sûrs d’eux.
Quel dommage ! Le webtoon aurait gagné à nous présenter une trentenaire plus active. On peut douter et regretter tout en restant dans l’action. Jihyun me fait penser à ces acteurs/actrices à qui l’on demande de jouer un.e mollasson.ne. Il faut jouer, mais sans tomber soi-même dans la mollesse ! Il faut jouer un.e dormeur/dormeuse, mais sans endormir le public ! C’est dur !
Jihyun est tombée dans le « piège ». Sa mélancolie émeut au début, puis agace. L’héroïne devient d’une naïveté affligeante. Les autres sont aussi à côté de la plaque. Finalement, c’est tout le webtoon qui tombe dans les stéréotypes : les hommes protègent les femmes ; les femmes prétendent pouvoir se gérer mais trébuchent au moindre pas… Dommage. Reste le dessin d’Akiko Higashimura, toujours aussi mordant.
Ne m’oublie jamais est une jolie romance au fort potentiel. Mais elle tombe hélas dans des clichés qui auraient facilement pu être évités. Et toi, as-tu déjà souhaité retrouver ton amour de jeunesse (si tu en as eu un) ? Voudrais-tu revivre une période de ta vie ?