Qu'est-ce qu'un shôjo ?

Nous sommes déjà le dernier jour de la Semaine du Shôjo 2020. Le temps passe si vite ! Aujourd’hui, je te propose un article pour ouvrir le débat : Qu’est-ce qu’un shôjo ? Comment le reconnaître ?

Lorsque je me suis intéressée aux mangas, d’abord au travers de certains anime, c’étaient surtout des shônen. Je vivais avec cet apriori que le shôjo, ce manga pour filles certes, n’était fait que d’histoires cucul la praline avec des personnages aux yeux disproportionnellement grands ; un peu le Harlequin du manga en somme. Mes titres phares parlaient de quête d’identité, d’aventures et de pouvoirs fantastiques, à la Fullmetal alchemist. Ou j’étais morte de rire devant des comédies comme GTO.

C’est alors qu’un jour j’ai eu mon premier shôjo entre les mains : Fruits basket. Et là ce fut la révélation ! Même si au départ, j’étais réticente à le commencer, je me suis vite prise au jeu, investie par l’histoire fantastique et folklorique tout comme les questionnements qui émergent à l’adolescence. Après ça, je n’ai eu de cesse d’enchaîner les shôjo, parfois avec de la romance et d’autres fois sans. J’ai alors constaté à quel point le shôjo était mutliple.

Si des clichés traînent comme ça auprès des amateurs de mangas, on peut alors se demander ce qu’est un shôjo ? Qu’est-ce qui le définit ? Les frontières sont-elles toujours aussi imperméables maintenant ?

Traditionnellement, une cible éditoriale

Quand on tente de répondre à la question « C’est quoi un shôjo ? », il faut d’abord partir des termes. Là, le terme « shôjo » (少女) signifie littéralement petite fille/fillette en japonais, dans le sens de jeune. On comprend dès lors qu’il s’agit d’un type de manga destiné à un jeune public féminin, plutôt adolescent. Ainsi, il est possible de déduire qu’un shôjo manga correspond traditionnellement à une cible éditoriale.

Trois magazines de prépublication japonais : trois ambiances totalement différentes

Jusqu’à présent ce sont les magazines de prépublication japonais (mangashi) qui scindent les mangas dans ces diverses catégorisations. Le Weekly Shônen Jump abritera des titres à destination des adolescents (shônen), le Margaret sera plutôt pour les adolescentes (shôjo) et le Morning Two attirera davantage les adultes (seinen). Certains se spécialisent dans certaines thématiques plus particulièrement, comme Sho-Comi qui dévoile des récits principalement romantiques. Tandis que d’autres proposent des titres aux genres plus hétéroclites. Par exemple, le Betsufure (ou Bessatsu Friends) prépublie aussi bien La fillette au drapeau blanc (un shôjo dramatique s’inspirant de faits réels) que Life (un shôjo scolaire traitant de l’ijime) ou encore un romance plus « classique » comme Peach girl. Et là, je ne parle que de la partie immergée de l’iceberg, à savoir les mangas qui sont sortis en France.

C’est toute cette diversité, même au sein d’un magazine, qui fait qu’on ne peut pas affirmer que shôjo signifie romance. En tant que cible éditoriale, il aborde des thématiques multiples – plus ou moins en cohérence selon la politique du magazine. Bien que la romance soit un genre particulièrement représenté, les shôjo s’intéressent aussi à des aspects plus fantastiques (Tokyo Babylon), s’aventurent dans la science-fiction ou le post-apocalyptique (Basara, 7SEEDS, Please save my earth). Le gore, le thriller, le policier, etc. toutes ces thématiques sont belles et bien utilisées dans les shôjo.

A contrario, si la romance n’est pas synonyme de shôjo, ce n’est pas la seule catégorie éditoriale à traiter d’amour et de relations sentimentales. Le shônen romantique existe aussi ! J’en veux pour preuve Love Hina de Ken Akamatsu, souvent considéré à tort comme un shôjo, bien que son magazine de prépublication soit le Shônen Magazine. Pourtant, l’on suit l’histoire du point de vue du héros, qui est un garçon banal et va se retrouver encerclé de très jolies filles.

En partant de la définition du mot shôjo, nous avons pu esquisser les contours de ce type de manga. Nous avons ainsi vu que nous ne pouvions pas le contraindre à une seule thématique : la romance. Pour répondre d’autant mieux à la question « Qu’est-ce qu’un shôjo ? » attachons-nous dès à présent à ses caractéristiques principales.

Un style graphique et narratif particulier

Le shôjo manga possède un style graphique et narratif qui lui est propre.

D’un point de vue visuel, l’accent est mis sur les émotions et ce que ressentent les personnages. C’est ce qui fait la force du shôjo manga : être capable, à travers des dessins, de montrer toute une panoplie de sentiments et les faire vivre à ses lecteurs(rices).

Si dans le shônen et le seinen on retrouve une découpe des cases assez classique, très propre avec peu de détails qui en sortent (généralement les dialogues et onomatopées), les shôjo ont une présentation légèrement plus anarchique. Les cases n’ont pas forcément toutes la même importance, certaines s’empilent sur d’autres. D’autres ont des formes plus biscornues, tels des trapèzes. Parfois, il y a même des pages constituées d’une image de fond, servant à décrire l’ambiance, auxquelles on intègre plusieurs cases. Cette cacophonie apparente permet de montrer plusieurs plans de manière simultanée, mais participe également à retranscrire de façon plus dynamique les sentiments des personnages.

Une planche du premier tome de Yona - Princesse de l'aube

Une planche du premier tome de Yona – Princesse de l’aube

De plus, les mangaka dessinent les yeux de manière très détaillée et expressive. Ici, le but n’est pas de paraître réaliste en respectant les proportions du visage du personnage, mais de transmettre quelque chose. En grossissant la forme des yeux et en décorant les pupilles de nombreux effets (étoiles, voilage, etc.), les mangaka tiennent à ce que leur auditoire soit davantage happé par le récit. Ne dit-on pas « les yeux sont le miroir de l’âme » ? Eh bien c’est exactement ce principe que les autrices utilisent, en jouant sur notre empathie et sympathie pour tel ou tel protagoniste. On se sentira d’autant plus investi dans une histoire que l’on peut transposer notre vécu sur celui des personnages.

expression des yeux de Yona

De la gêne amoureuse à la stupéfaction à l’effroi : Yona passe par toutes sortes d’émotions, qui se retranscrivent dans son regard.

Outre les yeux, les mangaka aiment ajouter des trames pour faire ressortir les émotions. Elles servent autant pour les décors que pour représenter un sentiment précis. Ainsi, la joie, la peine ou l’horreur se retrouveront exacerbées via ce procédé. Elles guident en quelque sorte le lecteur sur l’état émotionnel du protagoniste à ce moment précis.

Au niveau narratif, le shôjo manga utilise très souvent le monologue intérieur et la focalisation interne comme méthodes pour raconter une histoire. À travers le monologue intérieur, dense et presque plus important que les dialogues dans certains cas, la mangaka cherche à verbaliser les sentiments du personnage. Ses états d’âme, ses interrogations et ses résolutions trouvent ainsi une formalisation claire grâce à cette technique. Cette discussion introspective entre le protagoniste et lui-même se déroule sur plusieurs case voire quelques pages. Et je ne parle pas des flashback, mais bien de ce qu’il vit au moment présent.

La conséquence de l’utilisation importante du monologue, c’est le point de vue principalement interne de la narration. En effet, nous la vivons par le biais d’un personnage, en général le principal, qui fait office de narrateur par la même occasion. En revanche, il arrive parfois que la focalisation change et se retrouve chez un autre personnage, nous offrant un autre ressenti par rapport à une situation identique. C’est plus rare, mais ça a le mérite d’exister. Par exemple, dans Takane & Hana, nous vivons le récit via Hana. Il est cependant arrivé que l’autrice fasse basculer le point de vue sur Takane, pour que nous en apprenions plus sur son caractère.

Ce n’est pas l’apanage du shôjo : certains titres shônen l’emploient également, mais dans une moindre mesure. Dans Boruto, cela fait l’objet de quelques pages dans lesquelles il précise que c’est SON histoire qui est racontée. Par contre, on entre très vite dans l’action et la focalisation change pour devenir externe. C’est souvent le cas dans ce type de manga, où le narrateur a un point de vue plus distant sur ses personnages.

Bien que les graphismes très expressifs et le style narratif permettent de repérer ce qui pourrait constituer un shôjo, il n’empêche que ce terme commence à devenir galvaudé. Devenu métonymie de la romance lycéenne, peut-on encore l’utiliser aujourd’hui ? La question se pose.

Mais peut-on encore parler de shôjo aujourd’hui ?

En tant que rédactrice d’un blog qui parle de shôjo – plus largement du manga pour un public féminin ainsi que ses dérivés anime et drama – j’aurais tendance à vouloir protéger ma chapelle. C’est quand même un peu notre politique éditoriale, ne nous voilons pas la face !

Toutefois, force est de constater que l’on navigue de plus en plus en eaux troubles.

Commençons par les éditeurs français qui, pour certaines stratégies commerciales, changent la catégorie éditoriale lorsqu’ils publient un nouveau manga, dans le but d’espérer satisfaire une frange plus large du lectorat. Nombre d’entre eux ont repris ces classifications shônen, shôjo, seinen en s’appropriant leur définition pour l’adapter aux attentes du public francophone. C’est alors que l’on voit des titres comme Les enfants de la baleine en seinen chez Glénat, alors que le manga est prépublié dans le Mystery Bonita, un magazine shôjo. Il y est question d’aventure et de science-fiction. En plus, le personnage principal est un garçon. Allons bon, c’est parfait pour en faire le nouveau Bokurano ! Plus récemment, l’éditeur nobi nobi! a présenté Shine, prépublié dans Shônen magazine (ça veut tout dire), comme un shôjo de sa collection Shôjo Kids. Comme cela parle de mode et qu’il semble y avoir de la romance, l’éditeur a sûrement jugé préférable de le reclasser ailleurs.

Je pourrais continuer longtemps avec les exemples, tant il y en a. Je préfère insister sur le fait que ces mélanges et nouvelles classifications semblent, non plus se baser sur la prépublication, mais sur d’autres critères : la baston pour les garçons, les romances pour les filles. Je schématise mais c’est grosso-modo ce que l’on observe.

De plus en plus de shônen empruntent quelques codes du shôjo. Par là, j’entends principalement le bishônen et des dessins à l’esthétique très léchée, qu’on les méprendrait pour des shôjo. Par exemple, Black butler de Yana Toboso a sa ribambelle de bishies tous plus beaux les uns que les autres. Et que dire des basketteurs super sexy de Kuroko’s basket ? Dans le même genre sportif, je n’oublie pas non plus les très attirants tennismen de Prince of tennis.

De même, certaines autrices proposent des œuvres plus transversales qui vont au-delà des poncifs attribués à chaque catégorie éditoriale. C’est notamment le cas de Kaoru Mori qui dépeint le destin de femmes, que ce soit dans Bride stories ou encore Emma, pour ne citer que ses titres les plus connus. Ces deux mangas sont pourtant de type seinen. Attention, je ne dis pas que les seinen n’ont pas le droit de mettre en avant des femmes. Cependant, la mangaka sort des sentiers battus du seinen pour proposer un récit plus axé sur leur vie, à la manière de portraits, narrant leurs difficultés, leurs doutes et les obstacles qui parsèment leur vie.

Dans un tout autre registre, les frontières entre les cibles éditoriales sont de plus en plus ténues avec l’essor du webtoon. Généralement, ces bandes-dessinées (coréennes pour la majorité) sont disponibles en numérique sur des sites ou applications. Elles sont donc toutes publiées au même endroit, non par tranche d’âge ou sexe, mais par thématique. Ainsi des plateformes comme Delitoon ou Webtoon préfèrent parler de genres. De la romance, du fantastique, du sport, etc., il y en a pour tous les goûts.

De ce fait, lorsque l’on rédige des articles pour un « blog sur les shôjo », cela devient de plus en plus compliqué de se positionner face à ce nouveau format. Comment les intégrer, sans tomber dans le cliché romance = shôjo ? J’ai d’ailleurs dit auparavant que la romance n’était pas un caractère exclusif du manga shôjo, et qu’on pouvait en retrouver dans des œuvres classées shônen ou seinen. Et si on ne pouvait pas plutôt se poser la question d’un autre point de vue en se demandant plutôt ce qui pourrait plaire à un public féminin ?

Je laisse volontairement la question en suspens, afin de lancer le débat. Je n’ai pas la réponse sur ce qui serait le mieux. Rester dans ces catégorisations, parler des thématiques, s’intéresser à la façon dont le manga est construit ?

Audrey

Véritable cœur d'artichaut, je suis friande de romances poignantes. Plus une série me fait pleurer, plus je l'aime !

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