Pour clore le 14e impact de Japan Expo, nous avons assisté à une masterclass organisée par l’école Vantan. Dédiée au manga shôjo, les invitées de cette conférence étaient la mangaka Kana Nanajima ainsi que sa responsable au sein du mangashi Sho-comi, Mlle Ha. Nous avons pu y découvrir les coulisses de la confection des mangas shôjo ainsi que les techniques utilisées pour capter l’attention du lecteur.
Il faut savoir que Vantan est un établissement privé spécialisé dans l’apprentissage des métiers liés à l’univers du manga, des anime et des jeux vidéo. Il est en partenariat avec le magazine de prépublication shôjo Sho-comi.
Par ailleurs, Kana Nanajima est une auteur reconnue au Japon et sa première série Ne me repousse pas ! est publiée en France par Soleil Manga.
Un autre de ses mangas intitulé Natsumeki!! s’intéresse à une danse traditionnelle japonaise : yosakoi.
Bien que la plupart des mangaka dessinent leurs séries sur ordinateur, Mlle Nanajima continue de les réaliser à la main.
En guise d’introduction, Mlle Ha décide de nous parler de Shôgakukan et Sho-comi. Il s’agit de l’un des trois grands grands éditeurs japonais avec Shueisha et Kodansha. Parmi ses mangas phares, on compte Détective Conan, Doraemon ainsi que Magi – The Labyrinth of Magic.
Elle nous précise toutefois que la maison d’édition couvre de nombreux domaines autre que le manga, comme les magazines de mode, les dictionnaires ou même les romans.
De son côté, Sho-comi est une revue bimensuelle destinée à un public allant des collégiennes aux étudiantes. Pour chaque numéro, 200 000 exemplaires sont imprimés, ce qui revient à 400 000 par mois. Bien qu’il y ait différents types de shôjo publiés dans ce périodique, la plupart des séries sont des histoires d’amour.
Actuellement, une tendance se dégage au Japon. On apprécie beaucoup les récits dynamiques présentant des personnages à fort caractère.
Les étapes de la confection d’un shôjo manga
Au cours de la masterclass avec Masahiro Ikeno, nous avons pu voir ces différentes étapes. Toutefois, ici des informations complémentaires s’appliquant plus particulièrement à un magazine nous ont été fournies.
La mise en place du scénario
Nommé également plot dans le jargon manga, il s’agit du moment où l’on décide du déroulement de l’histoire. Chez Sho-comi, du fait de son rythme de parution, l’organisation est particulière. Des réunions sont organisées au cours desquelles chacun s’exprime sur le contenu du récit. Cela permet de gagner du temps en évitant les navettes entre le magazine et l’auteur.
On réfléchit tout d’abord de manière globale pour chaque épisode. Par exemple, si l’on souhaite procéder à un changement de sentiments, on va se demander si dans tel chapitre (appelé aussi épisode), le personnage va tomber amoureux ou au contraire rompre avec quelqu’un. Ce n’est qu’ensuite que l’on s’intéresse aux détails.
Autrement, lorsqu’on travaille par tome, on considère l’ensemble des chapitres qu’il contient pour après s’occuper des détails de chacun d’eux. Il est très important, à la fin d’un chapitre, de faire en sorte que cela corresponde à la suite afin de ne pas créer de rupture.
La création du storyboard
Le storyboard ou nemu en japonais est une étape primordiale dans la réalisation d’un manga. Bien qu’il s’agisse de dessins assez rapidement exécutés, cette phase prend beaucoup de temps.
Mlle Nanajima veille à ne pas mettre trop de dialogues, au risque de rendre la lecture désagréable. Elle pense aussi à l’équilibre des tailles des personnages en intégrant un protagoniste grand et un autre plus petit. Aussi, lorsqu’il y a une scène importante, elle fait en sorte que l’arrière-plan ainsi que le héros soient grands.
D’autres auteurs, par exemple, placent les scènes impressionnantes le plus souvent en haut à gauche telles les séquences d’émotions ou la présence d’un beau gosse en gros plan. Et en s’imprégnant de la technique nommée mekuri (acte de feuilleter), on place sur la page de gauche mais en bas, une scène qui donne envie de tourner la page suivante.
Il existe un autre procédé appelé mihiraki utilisée lorsque l’on souhaite créer une atmosphère émouvante. Il consiste à utiliser une double page pour montrer une scène impressionnante. On peut recourir à une autre astuce lorsque l’on souhaite indiquer un changement de temps ou de lieu. Ainsi, on peut montrer des personnages au bord de la mer à la fin d’une séquence. Et lorsque l’on tourne la page, c’est la nuit. Ce n’est bien sûr pas possible de le faire à chaque fois, mais on tente d’y recourir le plus souvent.
La vitesse de l’histoire est également un élément à prendre en considération. Généralement, on fait en sorte de commencer de manière dynamique pour dans un second temps ralentir le rythme jusqu’à la fin. L’auteur apprécie d’introduire ses séries à l’aide de situations comiques et ensuite révéler une trame plus sérieuse.
Chaque mangaka a enfin sa façon d’achever son nemu. Dans le cas de Kana Nanajima, elle imagine en premier l’ensemble des conversations des protagonistes puis s’occupe de leur emplacement. Il peut s’agir de disputes ou au contraire de conversations plus cordiales. Tandis que d’autres s’intéressent d’abord à la disposition des dialogues pour ensuite réfléchir sur leur contenu.
À cette issue, le magazine et l’auteur vont se concerter sur des détails plus logistiques concernant la correction du storyboard. Puis au moment d’évoquer les modifications à apporter, l’éditeur considère le manga du point de vue du lecteur car le but principal est de faire plaisir à ce dernier.
Il vérifie donc le contenu de l’histoire en s’intéressant à l’enchaînement des chapitres pour éviter les ruptures. Il veille aussi à ce que les situations soient bien expliquées car il peut arriver que l’auteur reste trop vague. Il en est de même pour la clarté des expressions et des dialogues. Il peut arriver que l’on décide de modifier les images en ajoutant une jolie fille ou un beau garçon en gros plan.
La réalisation du dessin détaillé des planches
Après la validation du nemu, l’auteur passe aux dessins détaillés. Il s’agit d’une période pendant laquelle celui-ci ainsi que tout le staff n’ont pas le temps de dormir. Dans l’univers de l’édition, on l’appelle « shuraba ».
Ces dessins détaillés ou shita-e sont réalisés au crayon. Le temps d’exécution dépend des auteurs mais dans le cas de Mlle Nanajima il peut arriver qu’elle mette plus de temps lorsque le personnage qu’elle a souhaité dessiner ne correspond pas au résultat. À ce moment-là, elle revient dessus plus tard.
Lorsque le shita-e est terminé, il est faxé à l’éditeur qui regarde les erreurs qui ont pu se glisser, comme des mains comportant six doigts. On évite également toutes les expressions qui pourraient correspondre à la discrimination des personnes handicapées.
Les détails sont étudiés pour voir s’ils sont compréhensibles. Si l’auteur réalise un gros plan d’une main, il faut vérifier si cela est bien ressemblant.
Par ailleurs, on corrige les problèmes de raccord comme les lunettes qui disparaissent d’une scène à l’autre ou les grains de beauté qui changent de place.
Au niveau des yeux, on accorde une grande importance à ce qu’ils dégagent de l’émotion car cela joue grandement sur la qualité du manga. C’est pour cette raison que Kana Nanajima dessine devant un miroir afin d’observer ses expressions et de les retranscrire au plus juste.
De manière plus générale, les artistes disposent de figurines amovibles pour leur permettre de créer des mouvements plus réalistes. Et lorsqu’un positionnement est difficile à imaginer, il peut arriver de demander au staff de jouer la scène problématique puis de l’envoyer à l’auteur.
Lorsqu’il faut dessiner des arrière-plans ou des objets en particulier, il est parfois nécessaire de se rendre à l’endroit en question. Si la scène se déroule dans une chambre, l’auteur observe cette pièce pour trouver de l’inspiration.
Les recherches d’images sur Internet ou dans des livres spécialisés sont aussi de bons moyens de se documenter.
C’est notamment le cas de Natsumeki!!. Étant donné que ce manga se déroule à Kôchi dans le département de Shikoku, Mlle Nanajima et son équipe s’y sont rendus pour prendre des photos, observer l’environnement et demander des renseignements aux autochtones.
L’encrage du manga
Une fois le crayonné achevé, le mangaka s’occupe de l’encrage de ses planches ou pen-ire. Sachant que Sho-comi est bimensuel, les délais sont assez courts. Il faut compter 1 jour pour préparer le scénario. Environ 5 à 6 jours sont nécessaires pour achever le nemu. Il ne reste alors que quelques jours (en général entre 3 et 5) pour véritablement dessiner les trente-et-unes pages que comprend un chapitre sans compter les travaux de coloration, la couverture pour le volume relié ainsi que les cadeaux présents dans le magazine.
Au cours de cette étape, il peut rencontrer des difficultés au niveau de l’exécution des yeux et des cheveux. Dans ces cas-là, Kana Nanajima a souvent besoin de tourner la feuille de papier afin de trouver l’orientation idéale.
Chaque auteur utilise différents outils selon les besoins. La dessinatrice se sert d’un stylo de calligraphie et commence par les paupières. Ce dernier lui permet de réaliser des traits épais avec un fort contraste pour créer du volume sur les sourcils.
Ensuite, elle attaque l’intérieur des yeux avec un autre stylo, maru pen. Très fin, il est idéal pour dessiner cette zone ainsi que les parties complexes. Pour la remplir, elle emploie la technique intitulée kakeami consistant à créer de petits traits afin d’obtenir une radiation à l’intérieur des yeux. Elle pense aussi à l’orientation de la lumière du soleil afin de bien montrer le sens du regard.
Puis, elle s’occupe des cheveux. Les traits doivent être rapidement exécutés pour rester uniformes. Par contre ceux-ci ne doivent pas être homogènes. Il est en effet préférable de varier leur épaisseur ainsi que leur degré de clarté.
Par ailleurs, les mangaka peuvent réaliser un type de chevelure plus sophistiqué mais assez complexe et chronophage : les cheveux tsuya beta. Généralement de couleur noire, ils sont très brillants et principalement plaqués contre le visage. Cette pratique est assez redoutée par les artistes qui préfèrent ne pas y recourir trop souvent. Cependant, Kana Nanajima la maîtrise bien.
Enfin, une fois l’encrage achevé, il ne reste plus qu’à effacer les traits au crayon.
Atelier de réalisation d’un personnage de shôjo et réponses aux questions
Après nous avoir expliqué la façon de procéder pour réaliser un shôjo manga, Kana Nanajima nous a montré comment exécuter un personnage. Pour cet atelier, nous nous sommes focalisés sur les personnages déformés.
Généralement, un protagoniste en taille réelle mesure 7 ou 8 têtes (pour les européens).
Par contre, un personnage déformé (ou SD) en est une version rétrécie utilisée pour créer un effet comique ou détendre l’atmosphère.
Dans ce cas, il ne fera plus que 3 têtes : sa tête ainsi que ses yeux seront plus grands par rapport au reste du corps.
Lorsque l’auteur crée des cadeaux à ajouter en bonus pour le Sho-comi, ce sont souvent des personnages déformés qui sont représentés.
À la fin de cette masterclass, nous avons pu poser des questions sur ce qui a été dit auparavant. Ce temps d’échange s’est révélé interactif et plutôt enrichissant.
Par exemple, nous avons appris que les auteurs chez Shôgakukan sont en contrat d’exclusivité avec l’éditeur. Ils ne travaillent donc pas ailleurs, même si cela peut arriver que certains réalisent des dôjinshi. En plus, le temps dont ils disposent ne leur permet pas de faire autre chose à côté.
En dernier lieu, les organisateurs nous ont préparé un ensemble de cadeaux composé de reproductions de planches de shôjo issus du mangashi, de dessous de verre du manga Natsumeki!! ainsi qu’une photographie de cette même série, représentant les protagonistes.
Et avant de prendre congé, nous avons eu l’opportunité de faire une photographie avec la mangaka seul et avec l’ensemble des participants ainsi que d’obtenir sa dédicace.
Au cours de cet article, tu as pu voir de nombreuses techniques utilisées par les auteurs. Quelles sont celles que tu préfères ?
J’ai trouvé cet article supra intéressant *-* ouaouah ! (j’sais pas quoi dire d’autre pour le coup, sûrement la fatigue, mais c’est vraiment très agréable à lire et tout, en tout cas j’ai appris plein de choses, merci ! :D).
Merci Matou ! ^^ Vraiment ravie que tu aies apprécié cette lecture 😀 Je dois avouer que cette masterclass nous a appris beaucoup de choses concernant les techniques utilisées pour dessiner des shôjo. Pour ma part, celle sur les yeux m’émerveille chaque fois *-*