Akira et Eriko - Consentement dans les shôjo

Nous sommes déjà le quatrième jour de la Semaine du Shôjo ! Nico et moi-même (Mikki) avons souhaité parler d’un sujet très important dans toute relation : le consentement. Comment ce concept est-il décrit dans l’univers du shôjo ? Existe-t-il ? Ce sont ces questions auxquelles nous avons tenté de répondre dans l’article qui suit.

Les mouvements #Metoo et #Balancetonporc ont créé un électrochoc. Ce qui était accepté avant devient intolérable. La parole des femmes se libère. Enfin, le monde entend ce qu’elles criaient pourtant depuis des années : entre le jeu de séduction, la drague lourde, le consentement bafoué, on franchit vite le pas du non-respect. Sportives, autrices, politiques, influenceuses, des femmes de tous les milieux dénoncent les violences. Et dans les shôjo mangas ? Que dire du consentement dans ces œuvres majoritairement écrites par des femmes ?

Le consentement dans les shôjo, mythe ou réalité ? Si nombre de shôjo semblent ne pas considérer le consentement comme important, d’autres, au contraire, s’attachent à respecter le personnage féminin ainsi que ses désirs.

Ici, nous ne traiterons pas des Boy’s love. Ils mériteraient un dossier à part entière, tant le sujet du consentement pose question.

Un consentement souvent bafoué

Qui dit “shôjo manga” dit assez souvent “romance”. Bien sûr, cette catégorie éditoriale ne concentre pas que des histoires d’amour. Mais nombre de shôjo parlent de relations amoureuses, tels des guides pour adolescentes en plein questionnement. Quand elles grandissent, elles peuvent se tourner vers les josei, pendant plus adulte des shôjo. Vie amoureuse, vie active, le nouveau quotidien des working girl est mis en scène par les autrices.

On pourrait s’attendre à ce que les personnages féminins soient bien mis en valeur dans les shôjo et josei. La réalité est plus contrastée.

L’univers shôjo souffre de cette image, caricaturale, de jeune fille en attente d’amour. L’héroïne shôjo type est passive, en comparaison avec son homologue, le héros de shônen, qui agit pour transformer son univers. S’il apprend auprès d’autres, c’est pour, lui même, devenir plus fort, pour impacter encore plus son monde. L’héroïne, elle, attend que son amour, l’homme, agisse pour elle. C’est lui qui lui donnera son premier baiser, la “transformera” en femme et changera son destin. On ne demande pas l’avis de l’héroïne. C’est une loi tacite de la pop culture : cinéma, BD, mangas… l’héroïne n’a d’autre choix que de tomber amoureuse du prince. Réduite au rang d’objet, elle semble ne réagir qu’au stimuli de l’homme : un baiser, une caresse, etc. Cet homme, d’ailleurs, sait forcément ce qui fera plaisir à l’héroïne. En version soft, ça donne du Kare first love. En version mature, on tombe dans le Happy Marriage ?!.

Comme si la caricature n’était pas assez terrible, on assiste parfois à des scènes de violence, présentées comme des scènes romantiques. Dans Hot Gimmick, le premier baiser est un baiser forcé. Il n’y a pas de consentement, et une situation “maître/esclave” des plus gênantes. Pire : l’héroïne finira par apprécier la situation, et tombera amoureuse de son “maître”. L’autrice explique la brutalité du héros comme le seul moyen pour que l’héroïne comprenne ses sentiments. Le pauvre, mal aimé par sa famille, a un passé difficile. Les autrices utilisent souvent cet artifice pour valider l’attitude de leur héros.

Le chef-d’œuvre La rose de Versailles tombe aussi dans le piège du baiser forcé. La charismatique Oscar les subit et, étrangement, ne se révoltera pas plus que cela. Ryoko Ikeda préfère s’attarder sur les tourments des héros. S’ils se précipitent sur Oscar, c’est par excès d’amour. Les scènes témoignent d’ailleurs d’un romantisme tragique. Tournées ainsi, elles jettent le consentement au placard, et nous forcent à compatir avec ces hommes malades d’amour. La fautive serait presque Oscar.

En réaction aux mouvements #Metoo et #Balancetonporc, beaucoup se sont insurgés : entre baiser forcé et violence, il n’y a qu’un pas. Les hommes ne savent plus comment draguer à cause des femmes, qui prennent tout pour une agression. Et la séduction, alors, où la met-on ? Une main déplacée, un baiser volé, ne seraient que des actes de séduction. Quand Sho de Skip beat! embrasse Kyoko de force, c’est parce qu’il trouve que c’est la meilleure solution pour se faire remarquer. On assiste à une inversion : les victimes sont les hommes, qui ne sauraient plus comment se comporter avec les femmes.

Sakuya et Aïné

Sakuya ne sait s’exprimer que par la violence : il plaque Aine contre une table

Quand bien même ils agiraient comme des rustres, ils seraient excusés. C’est l’archétype du héros qui a manqué d’amour. Solitaire, ténébreux, sa violence n’est qu’une façon comme une autre de manifester son amour. Quand Soïchiro (Karekano) sombre dans les démons de son passé, il abuse de sa petite-amie. Yukino lui dit pourtant “non, pas ici”. Là encore, on trouve vite des circonstances atténuantes. Soïchiro souffre atrocement. C’est une victime. C’est un fait, effectivement. Pourquoi alors utiliser une relation sexuelle non consentie pour illustrer l’état psychique du héros ?

Le viol. Atrocité lourdement punie par la loi qui fleurit étrangement dans certains shôjo et josei. Romantisé, il devient une arme comme une autre pour déstabiliser le héros (dans Kaikan phrase, pour nuire à Sakuya). Kaikan phrase concentre nombre de clichés nuisant au shôjo manga. Une héroïne faible (Aine), forcément vierge, qui devient la plume et l’amoureuse du charismatique chanteur Sakuya. L’autrice, Mayu Shinjô, ne précise pas si lui, est vierge. On s’en fiche. Il a forcément de l’expérience, pour éduquer la fille, qui n’attend, bien sûr, que cela. Encore, cette posture passive, doublée d’un sous-entendu terrible pour les filles et les garçons. Si la première fois est importante pour une fille, elle le serait moins pour un garçon (message explicité dans Karekano).

L’amour à tout prix va encore plus loin. Ici, on assimile clairement le viol à une technique de drague comme une autre. L’héroïne, Seiri, se fait violenter à chaque tome. Elle excelle pourtant en karaté. Mais pour être une vraie fille, selon Minami Kanan, l’autrice, il faut gommer toutes les compétences prétendues masculines. Exit les sports de combat, donc. Place à une relation maître/esclave, entre Seiri et son ex, Aijû. Aijû qui avait rompu avec Seiri parce qu’elle l’avait battu à un combat de karaté. On part de très bas. La mangaka nous fait nous enfoncer plus bas encore, avec un Aijû réduisant Seiri en esclavage. Une Seiri qui se fait violer par tous les hommes qu’elle croise, quand ils ne tombent pas amoureux d’elle (mais même dans ce cas, ils la violent). Que veut nous dire l’autrice ? Que “l’amour à tout prix”, c’est le viol ? Ce manga est de ces titres qui n’auraient jamais dû sortir.

Si le shôjo manga doit encore se battre contre de telles séries, qui nuisent à la catégorie éditoriale tout entière, il existe, fort heureusement, des shôjo parfois engagés, qui respectent la femme.

Mais certains titres récents s’attachent à le respecter

Fort heureusement, tous les héros décrits dans les shôjo ne se comportent pas comme des mufles avides d’imposer leur volonté sur leur homologue féminine. Certains ont l’envie tout à fait affichée et déclarée de respecter ce que ressent celle qu’ils aiment.

C’est par exemple le cas de Takane dans Takane & Hana. Le jeune homme de 27 ans, qui a tout du cliché du beau gosse riche au caractère complètement désagréable, montre une facette beaucoup plus douce et mature qu’on ne le croirait. Pourtant il aurait de quoi profiter de la situation. Il est plus âgé de 10 ans par rapport à Hana, il vient d’une famille riche et a un métier à responsabilités. En bref, il aurait tout le loisir d’affirmer sa domination aussi bien matérielle que mentale sur l’héroïne.

Pourtant, il ne le fait pas. Lorsqu’il prend son côté sérieux, il annonce plusieurs fois à sa partenaire de futur mariage arrangé que ce qui compte pour lui ce sont ses besoins à elle. Quoiqu’elle fasse à l’avenir, il respectera sa décision car c’est un choix qui lui appartient. Il s’agit d’une réaction résolument progressiste, étant donné qu’au Japon, une fois mariée, une femme est souvent “contrainte” de quitter son emploi.

De même sur le plan de l’évolution de leur relation, étant donné que Hana est encore mineure, Takane tient à ne pas vouloir brusquer les choses et rassure le père de la lycéenne qu’il ne fera rien jusqu’à sa majorité. Je trouve cela positif, qu’un héros le clame haut et fort. Cela pourrait presque sonner, de la part de l’autrice, comme une volonté de promouvoir des relations saines.

Par ailleurs, d’autres protagonistes masculins montrent qu’ils veulent attendre le bon moment pour passer à l’étape supérieure de leur relation avec l’héroïne. Certes, ils ont des désirs et des envies mais ils préfèrent ne pas les imposer à leur moitié.

Akira et Eriko dans @Ellie

Akira demande tendrement à Eriko s’il peut l’embrasser – Crédits : KOIWAZURAI NO ELLIE © 2016 FUJIMOMO / KODANSHA / KANA

En effet, dans @Ellie, on retrouve une scène super mignonne d’Akira qui demande s’il peut embrasser Eriko. Cette dernière accepte bien entendu, étant donné qu’elle fantasme sur lui depuis pas mal de temps. À ce moment-là de l’intrigue, ils ne forment pas un couple officiel et la situation de leur relation devient ambiguë. De façon plus générale, le garçon est très soucieux de ce que ressent l’héroïne. Il comprend aisément ses envies et sait à quel moment il peut tenter d’aller plus loin.

Si des personnages masculins savent ne pas forcer leurs désirs, du côté des filles, ça bouge aussi. Elles n’hésitent plus à exprimer leur désaccord en face de quelqu’un de trop insistant. Cette absence de consentement qu’elles éprouvent, elles ne le cachent plus dans des monologues intérieurs ou à coups de légers cris qui pourraient être interprétés comme un “non qui voudrait dire oui”. Que ce soit une gifle ou des phrases claires et précises, le message est net. Aucune place n’est laissée à l’ambiguïté.

Dans Game – entre nos corps, Sayo remet vite en place son jeune collègue Ryôichi, qui s’emballe pour avoir bu dans le même gobelet qu’elle. Elle n’est pas dupe et lui annonce clairement la couleur.

De la même manière, Koyori, l’héroïne de Switch me on, répond à son ex sans équivoque qu’il n’a pas le droit de la toucher. Ce n’est pas parce que ses cheveux vont tomber dans son plat qu’il doit le lui dire en l’effleurant le visage. Parler ça sert à ça justement !

En outre, on assiste à un renouveau du shôjo plus mature, celui-là même qui est en général plus problématique comme nous l’avons vu dans la première partie. Cette poussée reste timide pour l’instant mais elle est à noter. À deux, les héros s’entendent sur la façon dont ils veulent mener leur relation. Du sexe oui, mais il est consenti et dans les limites que les deux parties s’imposent mutuellement. Cela peut prendre la forme d’un jeu, comme Game – Entre nos corps. Kayo et Ryôichi s’aventurent dans une relation fondée sur le plaisir de la chair et garantie sans sentiment. Ils sont tous les deux d’accord et ont d’ailleurs établi des règles. Il reste à voir ce que la suite donnera, si les sentiments s’en mêlent…

Hijiri et Koyori

Petite scène très mignonne entre Hijiri et Koyori – Crédits : HONNOU SWITCH © 2019 KUJIRA / KODANSHA / AKATA

Cela peut aussi se manifester par l’envie de renouer avec son ami d’enfance, tels Koyori et Hijiri. Cette étape de passer d’ami à amant n’est pas évidente, surtout parce que cela fait des années qu’ils se connaissent. Heureusement, Hijiri l’a bien compris et montre qu’il ne veut pas brusquer Koyori. Leurs scènes de plaisir sont aussi intenses que touchantes. Il est donc tout à fait possible d’avoir des scènes matures, sexy et qui stimulent la libido sans pour autant tomber dans le cliché de la violence.

Le shôjo présente le consentement de façon ambivalente. D’un côté, certaines séries montrent que ce que veulent les héroïnes c’est d’être à la merci d’un homme plus fort, qui a souffert et ne sait pas trop comment vivre avec son trauma. C’est le cas de nombreux titres, qu’ils se veulent plus sulfureux ou non. D’un autre côté, dans les shôjo plus récents nous assistons à une tendance inverse. L’héroïne n’est plus forcément passive mais vraiment actrice de sa volonté, de ses désirs et prend parfois les devants.

Asa

Chroniqueuse manga, anime, Japon, à la sauce okonomikki. Vive les senbei è_é !!

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