Haru Yoshida, le monstre social

La série est en arrêt de commercialisation en France ! Et si l’idée de me ruer sur les tomes manquants m’a traversé l’esprit, ce sont des tweets virulents au sujet de Haru qui m’ont poussée à écrire sur lui.

Littéralement « Mon voisin, le monstre » (Tonari no Kaibutsu-kun), le manga Le Garçon d’à côté nous présente Haru Yoshida dans sa quête vers l’amitié ! Haru, dont j’ai déjà vanté les mérites dans un article, coécrit avec Nico. Cependant, Haru n’est pas tout seul. Ce manga regorge énormément de monstres sociaux. Et s’ils sont aussi monstrueux ce n’est pas parce qu’ils sont horribles, méchants ou dérangés, au contraire ! C’est parce qu’ils pourraient être n’importe qui, qu’ils se fondent dans la masse sans pour autant pouvoir la rejoindre.

Le monstre, c’est le gars étrange au fond de la classe, la fangirl impopulaire, l’intello solitaire ou le léthargique silencieux. Celui que tu as regardé de loin, qui t’a intrigué, qui t’a rebuté. Le monstre, c’était peut-être toi.

Si Haru est si populaire, c’est que je ne suis pas exceptionnelle ! Sa naïveté, sa spontanéité et son côté juvénile en ont charmé plus d’une. Il a surtout été placé en contraste avec sa voisine Mizutani Shizuku, la reine des glaces. Personnellement, j’adore ces personnalités pétillantes ! Il me fait beaucoup penser à Enriqué Geum de Flower Boy Next Door, de part son excentricité et sa candeur.

Pourtant, il m’est arrivée plusieurs fois de tomber sur des « call-out », des dénonciations d’un certain « problématisme » détectable dans son comportement.

Nico et Mikki avaient déjà évoqué cela dans leur article sur le consentement. Il est vrai qu’avec le temps et la maturité, des actions ou des comportements que l’on retrouve chez certains shôjo boys s’avèrent être carrément toxiques ! Parfois, une bonne partie de l’intrigue de certains est basée presque uniquement sur des agressions sexuelles, abus psychologiques, et autres joyeusetés (HoneyxHoney, Hot Gimmick).

Revenir dessus, en parler, c’est essentiel pour nous-mêmes mais aussi pour les plus jeunes, qui découvriront ces œuvres à posteriori et auront besoin de bons outils pour les déconstruire !

[toggles behavior= »accordion »]
[toggle title= »Trigger warning : viol »]Alors, si tu es d’accord pour le dénoncer dans d’autres mangas, pourquoi prendre la peine de défendre Haru ?

Après tout, un des exemples souvent pris par ses détracteurs concerne cette scène où il attrape Shizuku dans un coin et la menace de la violer si elle fait un bruit. Il y a matière à être choqué ! Cela ne vous dit peut-être rien si vous avez lu le manga publié chez Pika, mais cette scène a été censurée dans la traduction française. Des traductions étrangères sous-titrées et la VF sont elles fidèles à la réplique originale.

"Si tu fais un bruit, je te viole."

La réponse qui réfute ce sombre événement est dans la description. Oui, Haru a menacé Shizuku de la violer et plein d’autres choses (comme son baiser surprise, sa jalousie, ses coups de poings à la volée) posent question, légitimement.

Mais encore une fois, contrairement aux agressions sexuelles qui ont lieu dans certains shôjo/josei, où l’on a droit à la fameuse case « je ne peux pas m’en empêcher », il y a une différence majeure. Haru aurait pu dire « je vais te tuer, ou te frapper » et cela aurait sonné pareil. D’ailleurs c’est ce que fait la traduction, sans pour autant que cela dénature le propos. C’est une menace, l’expression du fait d’être capable d’exercer un pouvoir sur quelqu’un contre son gré. Une volonté de lui faire peur, de le manipuler à son avantage, de jouer sur son angoisse, bref : d’utiliser la douleur comme un instrument.

Cette violence est reconnue comme telle par les deux protagonistes, la mangaka ainsi que les lecteurs.[/toggle]
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La version française édité chez Pika Et c’est en ça, qu’elle n’est pas « problématique » dans son essence.

Mais dans le cas de Haru Yoshida. Ça ne tient pas la route à mon sens. Pour autant, peut-on dire qu’il n’est pas problématique ? 

Haru est terrifiant. Parce qu’il est bizarre, il est « problématique ».

Et c’est important qu’il le soit car c’est le sujet dont parle Le monstre d’à côté.

C’est l’histoire de deux personnes qui sont toutes proches l’une de l’autre, tout en étant aux antipodes d’un même spectre : celui de la défaillance sociale.

Haru et Shizuku ne sont pas socialement adaptés. L’un veut des amis, l’autre n’en désire pas : dans les deux cas, ils n’arrivent pas à communiquer avec leurs semblables. Et à des échelles différentes, rencontrent d’autres personnes qui partagent le même problème. La fangirl qui n’existe que sur internet, le garçon qui s’attache à des amitiés futiles, les attentes de leur famille…, ce sont des personnes qui, à cause du rapport conflictuel qu’ils entretiennent avec le monde, s’en sont retrouvés exclus.

C’est intéressant car dans le cas de Shizuku, on peut constater qu’elle a intégré certains codes de la bienséance. Suffisamment pour se fondre dans la masse. Malgré tout, son existence est plutôt fade, sans sentiments, sans les autres.

Pour Haru, c’est le contraire ! Il est avide de rencontres, d’amour et d’amitié, mais son comportement est si déconcertant qu’il repousse les gens. Alors il gaffe, il fait des erreurs, il blesse les autres, c’est le risque ! Malgré tout, il apprend et Shizuku l’y encourage par des brimades, des explications, ainsi que par son rejet, et elle aussi en apprend plus sur elle-même et sur le monde !

C’est seulement une fois qu’ils acquièrent un respect mutuel que leur relation se concrétise.

Alors non, Haru Yoshida n’est pas « problématique ». Il a des comportements problématiques, mais son personnage et ce qu’il raconte ne le sont pas du tout.

Ses défauts ne s’expliquent pas par des conceptions sexistes ou biaisées de la romance, sa toxicité n’est pas romantisée. Elle vient d’un manque d’empathie et d’éducation qui est inhérent à son passif, et ses traumas. Elle est peut-être incomprise du lecteur, mais pas de Robico, la mangaka.

Haru est juste un ado perçu par les autres comme quelqu’un de bizarre, et d’intimidant. Il a du mal, mais essaye tout de même, car il espère aussi prendre part au même bonheur que désirent ses camarades, Shizuku, Asako, Yamaken,… Une envie qu’il lui a longtemps semblé impossible, et qui est très humaine: celle d’être ensemble.

Est-il possible d’écrire des histoires avec des personnages dépourvus de défauts ? Comment les raconter ?

Est-ce que la pression du politiquement correct qui prend de plus en plus de place dans notre monde moderne est-elle nocive ? Et dessert-elle, non seulement nos liens avec les personnes réelles, mais aussi ceux que l’on partage avec des personnes fictives ?

Tu as sûrement déjà ton avis sur la question.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut laisser déferler des critiques injustes. Pour moi, celles à l’encontre de Haru sont plus de l’ordre de l’incompréhension.

Si certaines histoires d’amour ne nécessitaient pas autant de violence (ou simplement de changer de catégorie, du genre… romance noire, ou psychologique, etc.), ce n’est pas le cas pour Le garçon d’à côté.

Dans les histoires bien écrites, les défauts rajoutent des couches à la profondeur des personnages. Cela ne veut pas dire qu’on les encourage ! C’est justement l’étude et la réflexion de ces défauts, de ces qualités qui se mêlent dans l’intrigue pour raconter quelque chose qui en font des histoires qui nous touchent, qui les rendent réelles.

Mais toi, qu’en penses-tu ? Tu es d’accord ? Haru est-il juste une personne imparfaite ou l’expression d’une masculinité toxique ? Qu’est-ce qui rend un personnage fictif vivant ? Penses-tu que ces questions parasitent la liberté de lire/écrire les histoires que l’ont veut ? Y a-t-il d’autres personnages qui sont, selon toi, victime d’une profonde incompréhension ? N’hésite pas à partager tes réponses en commentaires ! Entre temps, je vais me préparer pour les sorties de la rentrée !

soko saturne

Adepte de niaiseries en tout genre et de la littérature qui s'y réfère;

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1 commentaire

  1. chouette dossier écrit avec lucidité sans tomber dans la facilité de la pasionaria qui voudrait que la fiction ne doit refléter que ce qui nous flatte.
    J’ai eu le coup de cœur pour la version animée de ce manga et sans que cela soit nommé à aucun endroit de la série, il est assez évident pour moi que nous avons affaire à un personnage masculin non pas « toxique » mais plutôt à une forme d’autisme. je ne me hasarderais pas à élaborer de diagnostique sans connaissance approfondie, mais pourtant sous ce prisme tout s’éclaircit.
    Les mangas sont la poche culturelle mondiale qui échappe aux valeurs occidentales que certains aimeraient universelles. les auteurs et autrices ont a cœur de parler de thèmes bien à eux. scolairement, une récurrence est de voir la groupe accepter et apprendre à connaitre le « différent ». chose qu’on sait difficile dans les collèges avec leurs phénomènes d’Ijime qui détestent tout ce qui n’est pas au service du groupe. Ici Haru est totalement incapable de comprendre les normes sociétales, il est en décalage total et immature, pourtant on va bien assister à une sorte d’apprivoisement entre les deux héros et ils sont après pas mal de maladresses , tout à fait charmants l’un comme l’autre.

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