Héroïnes de shôjo et shônen : comparaison

Les héroïnes de shôjo et de shônen

Avant-dernier jour de la Semaine du Shôjo, en mode fight : les héroïnes de shôjo et de shônen, même combat ? On fait le point !

Ces dernières années, on parle souvent de ces shônen manga qui mettent en avant des personnages féminins : en tête du palmarès, One Piece, Fairy Tail ou encore My Hero Academia. Si les filles y sont plus nombreuses que dans d’autres shônen manga, peut-on vraiment leur décerner la coupe de la victoire ? Comment seraient ces mêmes filles, dans un shôjo manga ? Et les filles de shôjo, comment sont-elles ? Le Club Shôjo, à travers les voix de Mikki Forever et Nico, sort la loupe et part en investigation (oui, on est à l’ancienne, loupe et boussole !)

Cet article est le premier d’une série qui sera consacrée aux personnages féminins de shôjo et shônen manga. Aujourd’hui, on commence une première série de comparaisons. Nous ne nous prétendons pas exhaustives. Mais nos propos servent à ouvrir des pistes de réflexion.

Une question de physique : ordinaire vs. volupté

C’est peut-être la première différence qui saute aux yeux : les héroïnes de shôjo manga et de shônen ne boxent pas dans la même catégorie.

Les plus proches de nous sont, sans surprise, les héroïnes de shôjo. Leurs proportions sont celles des humains ordinaires. Les autrices n’hésitent d’ailleurs plus à mettre en valeur tous les types de morphologies : Mito (Ugly Princess), Zenko (Rouge éclipse), Mugi (Telle que tu es)… N’oublions pas que ces héroïnes sont encore adolescentes : elles se découvrent et découvrent leur corps qui change. Leur beauté extérieure et intérieure se révèle au fur et à mesure. Les mangaka ne cherchent pas la perfection : elles montrent juste des adolescentes évoluer dans leur quotidien. Et même en grandissant, elles ressemblent aux jeunes femmes que l’on pourrait croiser dans la rue (comme le trio de choc de Tokyo Tarareba Girls !)

Les trentenaires pop de Tokyo Tarareba Girls à la une du magazine Kiss

D’accord, les personnages de shôjo restent souvent très beaux. D’accord, des filles comme les deux Nana sont loin de ressembler au commun des mortelles. Mais elles restent plus proches de nous qu’une Momo de My Hero Academia, ou une Nami de One Piece.

Héroïne au premier plan vs. héroïne plus en retrait

Un traitement plus poussé pour les héroïnes de shôjo

À l’exception des séries sportives ou traitant de la différence physique, dans les shôjo manga, le corps de l’héroïne n’est que très rarement mis en avant voire objectivé. Les autrices s’intéressent davantage aux visages et aux émotions des personnages, qu’à une paire de seins qui rebondit ou une taille marquée. Le corps dans son entier nous est bien sûr révélé à maintes reprises, mais ce n’est pas là où se trouve le point focal. Le shôjo ayant pour cible principale – mais non exclusive – les jeunes filles, la représentation de l’héroïne doit coller à leurs fantasmes et ce à quoi elles aspirent devenir. Il faut permettre une certaine identification, mais celle-ci se fait davantage d’un point de vue émotionnel que physique.

Nombre de shôjo manga excellent dans cette harmonie et cette alchimie, là où les héroïnes de shônen sont encore trop largement vues à travers leur physique. Les pionnières du shôjo ont posé les bases, avec des héroïnes braves, qui ne s’interdisent rien et revendiquent leurs droits (La rose de Versailles et Très cher frère de Riyoko Ikeda, Nous sommes 11 de Moto Hagio,…). Kaoru no Kimi, élève star de Très cher frère, impressionne par sa maturité et son calme. Son look est à son image, sobre et élégant. Riyoko Ikeda nous brosse sa personnalité, pleine de force et d’ambition, et nous envoie un message fort. Tout est possible. Les préjugés ne résistent pas à la marche des femmes, déjà en avance sur leur temps, des Fleurs de l’an 24.

Oscar qui porte en elle l’âme de la Révolution française

D’ailleurs, il est intéressant de souligner qu’une fille n’a pas besoin d’être forte pour nous captiver. Ses failles et ses faiblesses permettent aussi de ne pas se trouver face à une Mary Sue. Cela concourt à la rendre vraisemblable. Si elle est très belle – ou présentée comme telle – elle aura sûrement quelques défauts. En revanche, si elle est présentée comme normale, elle sera plutôt dotée de qualités comme la gentillesse, la compréhension, ou encore la discrétion. Sa timidité voire sa candeur ne seront pas vues négativement. Rappelons que l’idéal japonais féminin s’inscrit dans l’expression Yamato nadeshiko associant notamment les vertus évoquées auparavant.

Et même lorsqu’elles doutent, c’est pour mieux rebondir, comme les héroïnes de Heartbroken chocolatier ou le trio de choc des Tokyo Tarareba Girls. Chacune à sa façon, Setona Mizushiro et Akiko Higashimura mettent en avant des femmes uniques, avec leurs qualités et leurs défauts, bien loin des clichés des héroïnes de shônen manga.

Les héroïnes de shônen : caricature et fan service ?

Comment s’identifier à une fille de shônen manga ? Et même si l’on ne souhaite pas s’identifier : comment supporter ces représentations stéréotypées, idéaux hypothétiques de certains hommes hétérosexuels. À voir la prolifération de ce genre de profils – y compris chez les mineures, et avec tous les problèmes que cela pose – il y a de quoi se poser des questions. Fort heureusement, les temps changent, et les mentalités évoluent : Nobara de Jujutsu Kaisen est un bon exemple d’héroïne compétente et puissante, dotée d’une vraie personnalité. Hélas, les shônen manga restent largement peuplés de filles à la personnalité bâclée et au développement inexistant. 

Là où un shôjo manga s’emploiera à associer personnalité, attitude, et tenue vestimentaire de l’héroïne (comme on le ferait nous, en somme), les filles de shônen manga sont comme découpées. Difficile de voir le rapport entre leur personnalité et le reste. Les plus timides d’entre elles peuvent, paradoxalement, afficher les postures les plus provocantes (avec la tenue qui va avec). Et quand on les décrit comme charismatiques, leur personnalité se confond avec une série de préjugés : c’est la fille entreprenante à grosse poitrine, qui exhibe ses charmes à outrance (Alexandra Garcia de Kuroko’s basket, Rangiku Matsumoto de Bleach). Et que dire des héroïnes stars de One Piece, dont la poitrine grossit à mesure des saisons ?

Ces mêmes filles, dans les shônen d’action/aventure, tombent, soit dans le cliché de la guerrière à poigne déshabillée (Erza de Fairy Tail) soit dans celui de la sérieuse combattante déshabillée (Tia Halibel de Bleach). Dur de se battre en string ou les seins à l’air. Elles y arrivent, pourtant, et appellent leur micro-tenues une “armure”. Les armures des personnages masculins remplissent véritablement leur rôle. Celles des filles ne sont là que pour amuser l’œil masculin hétérosexuel.

L’on ne cesse de venter les mérites d’un My Hero Academia pour sa profusion de filles. L’épisode de la confrontation entre l’un des aspirants héros, Bakugo, et sa camarade Ochako, tout aussi aspirante héroïne que lui, résume la pensée de son auteur, Kôhei Horikoshi. Au fond, même si elles se battent, les filles de shônen manga restent globalement passives. Du moins, leur fonction première est bien d’attirer l’œil. D’où une personnalité moins mise en valeur que celle de leurs homologues masculins. Réduite au rang d’objet, les filles de shônen, quelle que soit leur force, doivent avant tout plaire.

Tout de même : n’allons pas dire que tout est merveilleux sur la planète shôjo. C’est même le contraire. Entre l’héroïne à la personnalité inexistante et celles copiant les codes du shônen manga, il y a de quoi s’inquiéter. Ako Shimaki (Made in Heaven) y plonge à pieds joints. Shinjo Mayu (Kaikan Phrase), Miki Aihara (Le préféré de la prof) y sont aussi tombées. Même sans aller dans de tels extrêmes, beaucoup d’autrices n’envisagent encore leurs héroïnes que sous l’œil du personnage masculin hétéro. C’est le garçon qui sort la fille, forcément passive et contemplative, de sa léthargie. C’est le garçon qui protège la fille, forcément fragile. Les filles de shônen et de shôjo se réunissent sur ce point : le male gaze.

Ce qui les réunit : le male gaze

Dans les shôjo, comme dans les shônen, les héroïnes n’échappent pas au male gaze, point commun d’une société patriarcale.

Définissons tout d’abord ce que cela représente. Traduisant le regard – insistant – masculin, il s’agit d’un concept théorisé par Laura Mulvey dans son essai Visual pleasure and narrative cinema paru en 1975. Le male gaze représente l’objectivation des femmes, à travers le regard que les hommes portent sur elles. Si l’autrice a évoqué ce terme pour les œuvres cinématographiques, dans lesquelles les femmes apparaissent pour le plaisir – non coupable – des yeux des hommes hétérosexuels, le male gaze s’étend largement à la culture visuelle, ainsi qu’au quotidien. (Le “male gaze” – regard masculin – Ça fait genre, 2013)

L’héroïne de shôjo, qui comme nous l’avons vu, dispose d’un physique qui ne sort pas trop de l’ordinaire, se compare souvent à d’autres camarades plus jolies, plus féminines, plus plantureuses. Elle en vient même à se dénigrer si elle n’entre pas dans les sacro-saints canons de beauté dictés par la société à un moment défini. Si elle veut plaire à l’œil masculin (pour trouver l’amour), elle va devoir soit subir une transformation soit gagner en confiance pour révéler son apparence plaisante. Dès lors on comprend l’effet indirect du male gaze : vouloir correspondre à un idéal dicté par le regard masculin, afin d’obtenir son intérêt. N’est-ce pas pernicieux ?

Et double effet kiss cool, le garçon qui s’intéresse – maladroitement – à l’héroïne adore rappeler à celle-ci que son physique n’est pas assez généreux pour cocher les cases de son type de fille. Il critique à la fois cette jeune fille, déjà peu confiante, tout en profitant pour reluquer avec insistance sa poitrine qu’il trouve trop plate. J’exagère à peine… Il s’agit sûrement d’un procédé visant à montrer l’affection grandissante et conflictuelle du garçon. Mais on ne pourra pas s’enlever de la tête que c’est de très mauvais goût !

Du côté des shônen, le constat est identique même si ce n’est pas l’héroïne qui éprouve un rejet de son corps. Il s’agit ici de dévoiler au grand jour les fantasmes masculins, via divers procédés. Les plans culottes, poitrines ou fesses sont légions, présentant ainsi des personnages réduits à leurs stricts “atouts”. Même lorsqu’il n’y a pas de gros plan, on sent que c’est l’endroit qu’il faut regarder, grâce à de nombreuses emphases : vêtements moulants, courts, déchirés, etc. La contre-plongée magnifie tout cela en accentuant les volumes adéquats.

Food wars pullule de ces exemples puisque presque toutes les lycéennes en sont victimes. Quand on voit Erina Nakiri dans une position lascive – le kimono entrouvert – ou vêtue d’un uniforme fantasmé de professeure stricte (aka le combo lunettes + cheveux attachés + chemisier blanc ajusté), il apparaît clair que le but est aussi de satisfaire le lectorat cœur de cible, à savoir les adolescents dont les hormones sont en pleine ébullition.

Erina Nakiri de Food wars

La plantureuse Erina en mode prof sévère – Gare à la fessée !

En soi, assumer les fantasmes de l’auteur ou créer du fan-service pour s’assurer un public constant n’est pas spécialement un problème. Le souci vient plutôt de ce que cela a pour conséquence : une représentation erronée – voire négative – de la femme, vue pour son physique avant tout et moins considérée pour ses capacités.

L’univers des shôjo et des shônen manga est vaste – comme dit en intro, nous avons commencé, avec ce premier article, notre plongée dans le monde des personnages féminins de shôjo et de shônen manga. Affaire à suivre, donc… En attendant, on a hâte de lire tes commentaires !

Pour aller plus loin

Nous te proposons de découvrir deux articles écrits par L’Apprenti Otaku sur des sujets similaires que nous n’avons fait qu’effleurer, pour l’instant :

Audrey

Véritable cœur d'artichaut, je suis friande de romances poignantes. Plus une série me fait pleurer, plus je l'aime !

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