Nina du Royaume aux étoiles est un OVNI. Éditée par les éditions Michel Lafon, cette œuvre est l’unique shôjosei du catalogue. Arrivée en trombe sur le marché français, l’autrice Rikachi présente en prime abord une histoire qui peut sembler relativement enfantine du fait de ses couvertures colorées et joyeuses.

Ce fut, pour ma part, une raison qui m’a fait douter : avais-je envie de me lancer dans une énième histoire un peu naïve avec une héroïne insipide qui aspire à seulement être reconnue par un homme ? Très peu pour moi ! 

Toutefois, ma curiosité était piquée. J’ai sauté le pas grâce à Nico du Club Shôjo qui m’en disait que du bien. Au final, je me suis laissée tenter, les mains un peu tremblantes et la peur d’être déçue bien présente dans mes entrailles. Et là… une vraie claque ! À mon sens, Nina représente vraiment une nouvelle bouffée d’air frais dans l’univers des héroïnes bien trop souvent décriées.

Avertissement : je ne prétends pas parler pour l’autrice Rikachi. Cet article est tiré de ma réflexion, de ma sensibilité et de ma perception de certains éléments présents dans le manga Nina du royaume aux étoiles.

Disclaimer : l’article révèle de nombreux éléments qui constituent des spoilers.

Attention : pour comprendre au mieux mon propos, je recommande d’avoir déjà lu les tomes déjà publiés chez nous de Nina du royaume aux étoiles puisque je parle de certains éléments dissimulés dans l’ensemble de l’œuvre.

Nina est plurielle, mais aussi singulière. Elle condense à la fois l’insouciance de l’enfance et la fermeté de l’âge adulte. Orpheline devenue prêtresse des étoiles puis princesse à épouser, Nina déjoue tous les codes qui lui sont imposés d’une facilité déconcertante. Loin d’être celle qui se pâme derrière un homme, ce sont les hommes qui sont fascinés par elle. Nina est une héroïne géopolitique aux confins d’un monde imaginaire mais si semblable à notre propre univers. 

Mais qui est-elle finalement ?

Nina, orpheline

Aux prémisses de l’histoire se trouve une jeune fille qui se fait passer aisément pour un garçon. Avec ses cheveux courts et sa frange recouvrant ses yeux d’un bleu étincelant, Nina vit dans la mendicité. Orpheline, elle survit aux côtés de deux autres enfants, Saji et Corin, qu’elle considère comme ses frères. Pourtant, après quelques événements malheureux, Nina se fait trahir par l’un d’entre eux et se voit vendue à un groupe mystérieux mené par le prince Azur de Fortuna

Ce dernier ne veut pas Nina spécifiquement, non. Ce qui l’intéresse au-delà du fait que Nina soit une fille, ce sont ses yeux bleus azur qui font d’elle un trésor inestimable. Car ses yeux si particuliers sont le seul point commun qu’elle partage avec Alisha, la prêtresse des étoiles et sœur d’Azur qui a tragiquement trouvé la mort lors d’un accident

Nina devient donc son substitut. Elle prend l’identité d’Alisha, la sœur défunte dont l’ombre plane au-dessus de la tête de la jeune fille : car Alisha est un personnage majeur pour le royaume de Fortuna. Prêtresse des étoiles, Alisha a toujours été élevée à l’écart dans son palais sans que des personnes extérieures ne l’aient jamais vue. Le subterfuge est ainsi parfait pour Azur, le prince brun aux yeux jaunes, qui déclare à Nina que désormais elle ne répondra plus que du nom d’Alisha

Nina doit mourir symboliquement.

Nina, prêtresse des étoiles

Nina n’est donc plus elle-même et doit endosser un rôle qu’elle ne connait pas : celui d’une princesse de Fortuna dont toute la vie tourne autour de son royaume. De plus, elle qui est si vive et spontanée, se doit d’apprendre un nouvel art de vivre et l’art de l’étiquette, ce qui n’est pas pour lui plaire ! Celle qui devait devenir quelqu’un d’autre sans broncher, jeune fille placée sur un échiquier politique tel un pion ne veut pas perdre son identité pour autant. Mais Nina ne peut subsister puisque Alisha est décédée au fond de ce ravin. 

Azur, second prince de Fortuna

Nina a une fureur de vivre qu’elle ne peut cacher à Azur, prince d’apparence très froide que rien ne peut dérider. Au fil des pages Nina découvre en même temps que nous un jeune homme accablé par une pression incommensurable : lui aussi est un substitut du prince Azur qui a malheureusement péri sous la main de son père, le roi…

Bien qu’il puisse compatir à la peine ressentie par Nina, Azur lui est complètement indifférent : son rôle est devenu une seconde peau pour lui et il ne vit que pour servir le roi de Fortuna dans ses desseins sans revendiquer ne serait-ce qu’un seul avantage. Azur, au contraire de Nina qui souhaite vivre également en tant que « Nina » et non pas seulement en tant qu’ « Alisha », a oublié son vrai prénom, perdu dans les méandres des intrigues politiques et de ce que l’on attendait de lui. 

Nina et Azur partagent le même secret : celui d’usurper.

Tel est l’élément géopolitique qui se dessine dans l’œuvre de Rikachi : celui d’avoir une couronne qui permette nombre de manigances dans l’ombre pour garder des événements honteux, prendre ici un orphelin et le faire passer pour le prince mort de la main de son père qui préférait prendre soin de son jeu d’échec plutôt que de son enfant. Récupérer dans une maison sale et sombre une jeune fille sans le sou aux yeux azur pour la grimer en princesse des étoiles. Et leur ordonner à tous deux d’oublier jusqu’à leur vrai prénom, que ceux-ci deviennent un secret oublié de tous et toutes

Pourtant, c’est au détour d’une tentative d’assassinat qu’Azur offre à la jeune fille un vœu qu’elle chérit de tout son cœur : celui de l’appeler par son véritable prénom lorsqu’ils seront tous les deux, à l’abri des regards, à l’abri du monde et de ses manigances politiques. Nina pourra alors tomber le masque d’Alisha et redevenir la jeune adolescente qu’elle est sans se soucier de l’étiquette ou de faits et gestes.

Le dessin de Rikachi est époustouflant : on sent qu’Azur percute quelque chose de très important rien que dans son regard.

Alisha, précieux présent de Fortuna

Nina est une fille et l’on sait que trop bien que les filles ont toujours été considérées comme des objets ou des présents dans l’histoire des pays, des royaumes, des empires. La princesse ou la noble avaient une valeur considérable pour les hommes qui menaient la politique à coup de mariage sécurisé. Bien souvent les filles de roi étaient promises à des fils de roi dès leur naissance ou aux balbutiements de leur enfance. Il s’agissait ainsi de contracter des traités de paix ou des alliances avec le royaume adverse. Nina n’échappe pas à cette règle immuable dans le grand jeu politique où les jeunes filles sont perdantes d’avance. 

Nina le sait car Azur lui a dit de but en blanc au début de leur rencontre : Alisha est vouée à épouser le prince de Galgada, le royaume ennemi de Fortuna dans le but d’établir une alliance entre les deux pays. Cela a été décidé et rien de ce que pourra faire Nina ne pourra changer cette décision scellée. Elle est une arme de Fortuna, un cadeau précieux à la couronne ennemie.

Finalement, qu’elle soit Alisha ou Nina, rien ne peut changer ce simple fait : celui de ne pas avoir le choix du fait de son sexe. Pourtant, c’est typique de Nina : elle s’en fiche. Pour elle, cette histoire de mariage c’est loin ! Et pour l’instant elle a juste envie de profiter de la présence d’Azur et d’être elle-même dans ce palais gigantesque qui lui appartient désormais (enfin plus ou moins) ! 

Et c’est en se rapprochant d’Azur, ce garçon aux yeux jaunes perçants, qu’elle finit par tomber sous son charme. Une certaine complicité se crée entre eux au fil des semaines et Azur trouve en Nina une alliée, si ce n’est une amie. Après quelques péripéties (dont une tentative de meurtre rien que ça !), Azur lui fait la promesse de l’appeler Nina lorsqu’ils ne seront que tous les deux pour que Nina survive à Alisha et qu’elle garde le souvenir de qui elle est réellement. 

Nina, princesse de Fortuna

Et puis vient progressivement la date fatidique où Nina doit partir au royaume de Galgada pour rencontrer le prince qu’elle doit épouser. Mais pourtant son cœur appartient déjà en partie à Azur, ce prince au regard si menaçant qui a su faire preuve de douceur à son égard au fil des mois, et Nina est meurtrie de devoir se séparer de lui. Le contraire est réciproque et Azur fait tout pour empêcher Nina de partir. Toutefois… malgré la possibilité de rester à Fortuna aux côtés d’Azur et de ne pas partir à Galgada, Nina décide de partir. 

Elle qui n’avait pas le choix initialement prend la décision d’embrasser son destin et de faire d’elle-même ce qu’on attend d’elle : devenir le bouclier de Fortuna et de protéger les intérêts de son royaume auprès de l’ennemi. Ce choix est motivé en grande partie par son attachement profond à Azur qui se retrouve, sans le savoir, menacé directement par le roi de Fortuna dans son dos. Nina, orpheline qui a pris considérablement confiance en elle dans le rôle qu’elle a à jouer en public, prend son courage à deux mains et ne lâche rien devant la tête couronnée. Hors de question de laisser Azur pâtir d’une quelconque menace. Alors Nina quitte tout… son pays, son palais, ses amis, son amour pour devenir une pièce maîtresse dans le jeu politique qui se joue entre Fortuna et Galgada. 

Nina prend la décision d’être Alisha.

Sett, prince héritier de Galgada

C’est le cœur meurtri qu’elle fait la rencontre de Sett, prince cruel de Galgada qui a une réputation des plus noires. Le jeune homme est tout le contraire d’Azur que cela soit physiquement ou psychologiquement : ses cheveux blancs et ses yeux rouges rubis sont les portes d’entrée vers un univers de vice et de violence dont Nina connaît quelques rouages, elle qui a vécu dans la rue pendant de très nombreuses années. 

Nina rencontre Sett.

Sett est connu pour martyriser les princesses des autres pays sans jamais en choisir l’une d’entre elles pour devenir sa future reine. Pour Nina qui pensait devenir de facto la reine de Galgada c’est un coup dur ! En effet, on lui a répété pendant des mois que son rôle était celui d’épouser le prince et de régner à ses côtés sur Galgada alors qu’il n’en est rien. Surtout qu’en plus, Nina débarque dans un palais où le super prince héritier « s’amuse » avec toutes ces princesses sans qu’aucune d’elle ne retienne son attention suffisamment pour qu’il s’attache. Libre et seul, Sett donne son affection à un seul être humain : Neena, son perroquet blanche qu’il adore et à qui il donnerait tout. Étonnant que le prénom de Neena ressemble si étrangement à celui de Nina… enfin Alisha ! 

Nina, Neena, Sett.

Car, pour le coup, la véritable identité de Nina est désormais oubliée de tous dans ce nouveau pays hostile où la jeune fille prend douloureusement conscience de son rôle à jouer. Pour Azur, pour Fortuna, elle ira jusqu’au bout, quitte à s’oublier volontairement. Alors Alisha fait tout pour être la princesse idéale que tout le monde attend qu’elle soit. Son objectif est simple : devenir la reine de Galgada envers et contre tout. Endosser complètement et irrémédiablement son rôle de princesse sur l’échiquier politique des deux puissances. 

Nina, bouclier de Galgada

Personnellement, j’apprécie énormément le personnage de Nina pour de multiples raisons : elle est drôle, spontanée, et n’a pas peur de se mettre dans des situations cocasses ou dangereuses pour protéger ceux qu’elle aime. Elle est une vraie héroïne de shôjosei, une jeune fille au cœur pur mais à la ténacité avérée. Celle qui n’est qu’un pion politique sait tirer parti de son rôle à jouer. C’est d’ailleurs comme cela qu’elle réussit à appâter Sett (bon plus ou moins dans un premier temps) qui commence à éprouver pour Nina une forme de respect que les autres princesses n’ont pas acquis. 

Elle qui ne supporte pas de voir son véritable nom mourir dans l’oubli dans ce pays hostile se voit récompenser de ses efforts par Sett, sans que celui-ci n’en ait conscience. En effet, lors d’un quiproquo assez important (qui arrive souvent avec Sett et qui sont synonymes de mort…), Nina va révéler une demi-vérité à ce prince froid aux yeux de sang : Nina est son nom de naissance à Fortuna (ce qui est un mensonge) tandis qu’Alisha est son autre prénom. Quelle aubaine alors pour Sett qui admet donc qu’Alisha est Nina sans en comprendre l’enjeu derrière.

Étrange que cela soient les deux princes ennemis qui reconnaissent sa véritable identité…

Tout comme Azur, Sett finit par baisser petit à petit sa garde lorsqu’il se trouve en présence de Nina. Lui qui la voyait comme un meuble ou un petit animal tout au mieux commence à apercevoir le potentiel de Nina à ses côtés. Nina, quant à elle, découvre une partie de Sett qu’elle n’aurait jamais imaginé au détour d’une promenade près de la capitale. Par ailleurs, les deux jeunes gens sont projetés dans un jeu politique dangereux : le roi de Galgada a décidé de remettre en jeu le titre de prince hériter entre Sett et ses trois frères. 

Commence alors une lutte pour le pouvoir intense entre les quatre garçons où Nina se retrouve au centre, convoitée également par les trois princes des palais adverses. Revenue à son simple statut d’avantage politique, la jeune fille est un atout majeur pour les princes : celui qui arrivera à la séduire sera appelé à régner. Celui qui mettra la main sur la prophétesse et le royaume de Fortuna sera appelé à prendre la couronne. Nina est, une nouvelle fois, au cœur des intrigues et des manigances du fait de son rôle de princesse. Comme lui dira Sett : « Tu n’es qu’une marionnette pour eux. » 

Intrigues, enjeux et manigances politiques et fraternelles.

Et pourtant, la jeune fille qui redoutait Sett lors de leurs premières rencontres a noué un lien étrange avec ce dernier. Sett n’est plus le même et a partagé avec Nina quelques bribes de son passé, de ce qu’il est au fond de lui, ce dont Nina n’est pas insensible. Tournant la page avec Fortuna dont elle garde malgré tout la promesse de la garder sauve, Nina émet un autre vœu : montrer à Sett ce qu’est le bonheur et le chérir pour toujours. Mais comme tout jeu sur l’équipier politique des nations, Nina parviendra-t-elle à tenir toutes ses promesses ? 

Mais que se passe-t-il lorsque les deux forces ennemies convergent vers le même endroit géographique et vers son cœur ? Nina du royaume aux étoiles est un certes un shôjosei reprenant plusieurs codes dont la romance mais il est bien plus avec une héroïne courageuse qui ne veut jamais, ô grand jamais, abandonner. Et si accepter le rôle d’Alisha lui donnait véritablement le pouvoir dans cette lutte sans merci ? Bien loin de rester passive et de se laisser faire par les hommes représentés dans le manga, Nina prend son destin en main pour faire changer les choses autant qu’elle le peut. Et c’est bien pour cela qu’elle est une héroïne de tous les temps, de toutes les époques et de tous les univers.

Kitsu

Mon mantra : shôjo et chocolat 🍫

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