Ces quelques mangas shôjo qui font réfléchir (et évoluer)

Le manga est devenu, depuis quelques années, un support davantage plébiscité, aimé et voulu. Les jeunes générations se jettent sur ce média en provenance du Japon et même de Corée avec le succès retentissant des manwha (ou dits Webtoons). L’Asie prend une place de plus en plus importante dans notre philosophie de vie, de la vision que nous portons sur le monde. Aujourd’hui, je tente de dresser, à travers ce top, une liste non exhaustive de mangas shôjo qui font réfléchir et évoluer. C’est parti !

Perfect World, le monde où tu es

Couverture française du josei Perfect World

Ode à la douceur, à la bienveillance, et à la remise en question, Perfect World (éditions Akata) narre les retrouvailles de Tsugumi, 26 ans, et de son premier amour, Hayukawa. Au détour d’un restaurant, les deux anciens amis qui ne s’étaient pas vus depuis la fin du lycée se reconnaissent et s’étonnent : ils travaillent désormais ensemble sur un projet, elle en tant que décoratrice intérieure, lui en tant qu’architecte. Tsugumi est heureuse de revoir cet ancien être aimé qui a tant fait battre son cœur sans qu’elle n’ait pu jamais lui avouer.

Et puis c’est le choc : Tsugumi se rend compte que Hayukawa repart en fauteuil roulant. Victime d’un accident de voiture, il est désormais handicapé.

Et parce que Tsugumi se préoccupe sincèrement de son ancien amoureux, elle décide d’entrer progressivement dans sa vie et découvre ce qu’est, justement, « être handicapé ». Rie Aruga maîtrise le sujet et cela se sent. Elle le dit elle-même à la fin de ses tomes : elle a fait des recherches, a rencontré des gens en situation de handicap. Elle a laissé la parole à une partie de la population que l’on voit sans les regarder, que l’on invisible malgré nous. Certaines de ses planches sont fortes : mes yeux s’écarquillent lorsque je vois l’escarre dans le dos de Hayukawa à l’hôpital.

Et me voilà en train de regarder sur Internet ce que sont les escarres, quelles sont les conséquences. Pouvoir ultime de ce shôjo : réfléchir autrement, embrasser le monde sous une autre perspective. Je suis une personne valide et je ne me suis jamais posée de questions. Jouissant librement de mon corps, je n’ai jamais été confrontée aux limites de la société : je monte des escaliers, je saute dans un train, je passe une porte même si elle est relativement ouverte.

Perfect World m’a ouvert les yeux sur mes privilèges. La vie de Hayukawa, je dirais même sa deuxième vie après son accident, est une bouffée d’apprentissage. Il est d’une force phénoménale même s’il souffre d’une tristesse infinie. Hayukawa est un jeune homme doué, passionné par l’architecture et pourtant, il doit en fournir deux fois plus à cause d’un sentiment d’infériorité imputée par la société.

Avec Perfect World, on réfléchit, on évolue, on tremble d’empathie et de colère contre la vie et les autres. On s’identifie, on hurle, on veut briser les murs dressés par la société. Mais, dans tous les cas, on apprend.

Orange et Le Sablier, à l’épreuve du temps

Le temps s’égrène inlassablement, sourd à nos complaintes et nos envies de l’arrêter, de le ralentir ou de l’accélérer. Nous sommes tous victimes du temps, maître tout-puissant de nos vies. Ce n’est pas pour autant qu’il toujours facile d’accepter ce temps qui passe, et de faire corps avec cette réalité. C’est pour cette raison que les séries Orange d’Ichigo Takano et Le Sablier de Hinako Ashihara sont envoûtantes.

Dans Orange, on parle de course contre la montre, de regrets et de douleurs. Dans le temps présent, cinq amis de lycée tombent sous le charme du nouvel élève qui vient tout droit de Tokyo. Ils se rapprochent, ils rient, ils parlent de tout et de rien sans percevoir les changements qui s’opèrent chez leur nouvel ami. Et vient un accident. La petite bande se retrouve amputée d’un être cher qui est parti soudainement. Dix ans après les faits, à l’aube de leurs 27 ans, Naho, Suwa, Takano, Hagita et Azusa se retrouvent pour rendre hommage à Kakeru.

Dans le temps passé, Naho se réveille en retard pour le jour de la rentrée. Une chose attire son attention : une lettre qui lui est destinée. L’ouvrir sera synonyme d’espoir et de grands changements pour cette jeune fille ultra timide qui ne sait pas que son cœur va chavirer pour un nouvel élève tokyoïte, Kakeru Naruse. Pourra-t-elle apaiser les regrets de la Naho de 26 ans qui lui écrit du futur ?

Ichigo Takano entremêle le passé et le présent pour pouvoir créer un nouvel avenir. Orange nous fait réfléchir à la brièveté de la vie, à la spontanéité du quotidien et aux actes qui se répercutent tout au long de nos vies. C’est aussi ce qu’aborde Hinako Ashihara dans son shôjo Le Sablier.

An Uekusa doit quitter Tokyo à la suite du divorce de ses parents. Elle a douze ans et découvre la vie à la campagne non sans mal. Les gens y sont différents, les habitudes ne sont pas comme celles qu’elle connaît. Heureusement, elle se lie vite d’amitié avec son voisin, un garçon nommé Daigo. Pourtant, rapidement, son quotidien bascule : sa mère se suicide sans donner une explication posthume.

L’histoire se déroule sur plusieurs années, et on vit avec An de ses douze à vingt-six ans. On passe par tout un tas d’émotions : le deuil, la peur de l’avenir, le fait de grandir, d’apprendre à se construire de nouveaux repères…
Le Sablier raconte l’histoire d’une vie qui n’est jamais linéaire, à l’instar des nôtres.

10th – À couper le souffle, être soi tout simplement

Est-ce possible de s’affranchir des codes sociaux ? Est-il davantage envisageable de ne pas se définir et de ne pas entrer dans une catégorie ? Il est vrai que nous sommes toujours obligé·es de nous ranger dans des cases quoi que nous fassions. À se demander si même la volonté de ne pas s’affilier à une case n’en serait pas une ?

10th – À couper le souffle est un titre que j’ai particulièrement adoré. Pour rappel, cette œuvre n’a pas été classifiée au Japon, ce qui a donné la possibilité aux éditions étrangères de l’éditer comme bon leur semblait : c’est pourquoi 10th – À couper le souffle a été publié dans la collection shôjo de Kana.

Loin des histoires conventionnelles, loin des romances définies par la société. Ici, trois amis évoluent au cours de leur année de première puis de terminale. Také est amoureux de Macchan sans s’être jamais défini comme homosexuel. Les liens entre les personnages ne s’expliquent pas, ne s’explicitent pas. Ils sont comme ça c’est tout.

Yûko Inari réussit à briser cette volonté de catégorisation en faisant vivre à ses personnages des événements qu’elle ne définit pas. Les moments vécus coulent lentement sans qu’il y ait besoin de mettre sur pause et de leur coller une étiquette. C’est la même chose qui s’opère avec les relatons entre Také, Umeko et Macchan : il n’y a pas besoin de savoir « qui est qui » ou « qui est quoi ».

La narration est un point fort et contribue largement à ce sentiment de justesse que l’on peut ressentir en lisant les trois tomes. Ponctuée de moments forts découpés en chapitres, l’histoire est telle une fenêtre ouverte sur la vie de trois adolescents. C’est comme si on leur rendait visite de temps en temps sans pouvoir autant être spectateur de tout. Nous sommes témoins de ce temps qui passe, immuable.

10th – À couper le souffle est un très beau shôjo. Plein de douceur et de justesse, il dresse un portrait bienveillant des relations humaines. Yûko Inari réussit à installer un cadre sécurisant et qui n’a pas besoin d’être remis en question. Être soi-même est un trésor précieux, un état que l’on peut peiner à trouver avec toutes les injonctions sociétales qui nous entourent et nous oppressent.

Pour conclure, je dirais qu’il s’agit d’une liste non exhaustive des possibilités infinies des manga shôjo qui apportent une réelle réflexion sur la vie, le monde, soi et les autres. De la même manière, nous avons toutes et tous notre propre sensibilité et nos propres préférences en terme de thématiques, il n’est donc pas grave de ne pas se retrouver dans ce top que je te propose… À chacun et chacune ses mangas de prédilection et ses histoires qui font grandir.

Kitsu

Mon mantra : shôjo et chocolat 🍫

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2 commentaire

  1. Très bel article Kitsu ! ^^ C’est vraiment quelque chose que j’adore dans les shôjo, c’est leur façon de nous dépeindre des situations – positives ou négatives voire même neutres – et nous pousser dans nos retranchements pour réfléchir.

    Perfect world est un excellent exemple à ce sujet ! Ce manga m’a énormément touchée pour la moitié que j’en ai lu. Il faudra que je continue d’ailleurs. (arf, trop de trucs à acheter… T_T)

    Il faudrait vraiment que je m’intéresse à 10th car j’en entends beaucoup de bien. Evidemment à travers tes chroniques mais aussi par ailleurs 😀

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