Club Shôjo était à la soirée de lancement d’une nouvelle collection manga chez Taifu Comics dédiée à l’érotisme au féminin : du Teens’ Love, ce genre méconnu chez nous. Dans cet article, découvre « Crispy Love » et ses premiers titres !
Mercredi 30 octobre 2024 a eu lieu un événement un peu particulier à Paris : la soirée de lancement d’une nouvelle collection manga chez Taifu Comics dédiée à l’érotisme au féminin ! Si tu lis notre blog depuis assez longtemps (février 2023 pour être précise), un terme devrait te venir à l’esprit après une telle introduction : Teens’ Love (ou TL). Et tu aurais parfaitement raison ! Pour une définition complète de ce genre, je t’invite à lire le passionnant article de Julia Popek.
C’est confortablement installée dans un canapé du Manga Café V2, dans le 13e arrondissement de la capitale, que j’ai pu suivre la présentation. Cette dernière était animée par Louis-Baptiste Huchez, directeur de collection chez Taifu Comics, Ototo et Ofelbe (toutes ces entités étant réunies sous la gouvernance de la société Euphor). D’autres personnes travaillant chez Taifu étaient également présentes, notamment pour les relations avec les libraires ou la communication.
Historique des éditions Taifu Comics
Mais commençons par le commencement avec un petit rappel de ce qu’est Taifu ; sa vie, son œuvre.
Taifu Comics est une maison d’édition fondée en 2004, qui s’est ensuite spécialisée vers un lectorat de niche en 2008. Ses premiers titres étaient notamment orientés vers l’action-aventure avec Ceux qui chassent les elfes de Yu Yagami, ou encore l’humour avec Noodle Fighter de Jun Sadogawa (ici, deux shônen). Mais c’est avec le shôjo et plus particulièrement le shôjo de romance que l’éditeur a connu ses premiers succès, grâce notamment aux œuvres de Takako Shigematsu : Big Bang Venus ou Tout sauf un ange !!. Taifu aurait ainsi pu devenir un éditeur spécialisé dans le shojo, mais le Boy’s Love (ou BL pour les intimes) en a décidé autrement (dans tous les cas, le public reste majoritairement féminin) !
L’éditeur a alors publié sous le label « Yaoi » : Vivre pour demain de Taishi Zaô, Wild Rock de Kazusa Takashima (petite particularité : c’est de l’amour préhistorique) ou encore Kiss Ariki de Youta Nitta. Par rapport à la majorité du shôjo publié à l’époque dans les pays francophones, ces œuvres proposaient davantage de sexe explicite.
Taifu Comics est ensuite devenu tellement indissociable du BL (je dirais la même chose du yuri et du hentai, personnellement) qu’il a fallu attendre la création d’Ototo en 2012 pour que des mangas plus « grand public » sortent à nouveau.
À l’époque, les critiques quant au BL étaient nombreuses, que ce soit de la part du lectorat ou des professionnels, mues par des préjugés et une méconnaissance du genre (avec sans doute en plus la petite touche d’homophobie qui va bien). Les personnes sont depuis un poil plus sensibilisées sur la question. En conséquence, le logo de la collection « Yaoi » de Taifu Comics a évolué, passant d’une flèche de couleur flashy pour avertir au premier coup d’œil de quoi il est question dans l’ouvrage, à un design plus épuré conservant le terme « yaoi » (ce dernier a fait son bonhomme de chemin chez les francophones et a désormais une existence propre par rapport à ses origines japonaises).
Pendant une certaine période, le BL a pu représenter une solution pour une part des adeptes francophones de shôjo en très forte demande de contenu plus mature ou explicite. Selon Louis-Baptiste Huchez, un nouveau lectorat est apparu après 2018, avec des mangas se diversifiant, que ce soit au niveau des intrigues, des thèmes ou encore des genres narratifs (omégaverse, je crie ton nom). Citons pour exemples chez Taifu Given de Natsuki Kizu, Let’s be a family de Tomo Kurahashi et Fluff for the Flightless de hagi.
Au sein d’Ototo, des réflexions ont été menées de manière plus générale sur la romance et son public, avec la sortie de Kaiju Girl Carameliser de Spica Aoki (un seinen dont la mangaka revendique pleinement les codes empruntés au shôjo), La petite faiseuse de livres de Miya Kazuki et Suzuka (bien qu’il ne s’agisse pas stricto-sensu d’une romance, cette œuvre est susceptible de plaire à ce public), ou encore Bungô Stray Dogs de Kafka Asagiri et Harukawa 35 (série dotée d’une solide fanbase féminine, adepte de ships).
Taifu Comics nous explique apprécier particulièrement dans le BL le fait qu’il y ait des personnages principaux adultes (même s’il existe de l’homoromance adolescente), des histoires modernes sans tabou (c’est-à-dire qui abordent frontalement le sexe ou des sujets sensibles), des relations saines reposant sur le consentement (j’ai souvenir d’un vieux BL avec de la torture à base de pellicule photo dans le cul, mais bon, je m’égare), ainsi que des titres relativement courts (une intrigue qui se développe rapidement, évitant les longueurs inutiles et permettant des sorties régulières, donc un dynamisme pour le marché et le public). L’animateur de la soirée ajoute qu’il aime également la présence de beaux gosses pas trop bêtes (j’adore les romances avec des idiots finis, c’est un de mes péchés mignons).
Un mot sur le Teens’ Love
Maintenant, parlons peu (non, je me connais), mais parlons bien ! Le TL, qu’est-ce que c’est ? Je ne vais pas paraphraser Julia Popek qui a déjà déblayé le terrain, donc ici je vais aller à l’essentiel. Il s’agit d’un genre relativement récent, né au Japon à la fin des années 1990, qui a beaucoup évolué. Chaque éditeur avait sa propre définition du TL, avant qu’une stabilisation s’opère autour de 2015-2020. S’adressant tout d’abord à un public adolescent (d’où le « Teens » dans son nom), il vise désormais un public de femmes âgées entre 20 et 35 ans. Par ailleurs, la cible est relativement proche de celle du BL.
Pour résumer grossièrement, le TL traite de relations hétérosexuelles entre adultes, avec du sexe explicite, dans le cadre de séries relativement courtes (même si des exceptions existent, évidemment), donnant donc lieu à des parutions rapides et à un fameux terreau d’expérimentations. À savoir, des autrices de BL peuvent également faire du TL en parallèle (le mélange des genres, c’est ça qui est beau).
Présentation de la collection « Crispy Love »
Passons aux choses sérieuses ! La collection TL de Taifu Comics sera dénommée « Crispy Love » et ses premiers titres devraient sortir en 2025. Louis-Baptiste Huchez la présente comme la première collection en France dédiée exclusivement à ce genre. Mais mon petit doigt me dit que cette information n’est pas tout à fait exacte. En effet, il y a bien existé auparavant une collection dédiée au TL chez feu Asuka dans les années 2000, nommée « Lolita ».
Une quinzaine de nouveautés sont prévues pour l’année prochaine, avec 10 volumes au premier semestre, sans impact sur les autres sorties de l’éditeur (le BL fait sa petite vie de son côté). Concernant le format, ce sera un classique de Taifu, à savoir du 128 × 179 mm pour environ 8 euros (ou plus).
Le directeur de collection précise un point sur les couvertures de ce type de titres. En effet, au Japon, elles représentent très souvent une femme en position de faiblesse, dénudée, avec un ou des personnages masculins dominants, alors que dans le contenu, la protagoniste peut être initiatrice de la relation et/ou du sexe. Face à cette problématique, et histoire de toucher au mieux le public cible, Taifu Comics envisage l’adaptation possible de certaines couvertures pour la publication en français.
Les titres annoncés lors de cette soirée de lancement sont les suivants (avec une autrice phare, Hiro Eguchi) :
- XXX lecture de Hiro Eguchi (one-shot) en janvier 2025 : recueil d’histoires courtes dont la première parle d’une célibataire larguée qui retrouve un camarade de classe devenu acteur porno.
- La Belle et l’ogre de Ssman (one-shot) en janvier 2025 : dans un monde comprenant des créatures fantastiques (loups, renards, mais pas de belettes…), un ogre a le coup de foudre pour une humaine.
- Un mille- feuille de mensonges (one-shot) de Hiro Eguchi en février 2025 : pour éviter une mutation professionnelle, une otaku contracte un faux mariage avec un collègue.
- Le Prix de l’amour de Mana Aizen (one-shot) en mars 2025 : une femme trompée et sans travail (mais qui a gagné une fortune en jeux de hasard) démarre une relation tarifée avec un gigolo.
- See U on Friday Baby Violet de Hiro Eguchi (2 tomes) en mars 2025 : une employée de bureau fan de lingerie voit son compte privé sur les réseaux sociaux découvert par un collègue. Or, ce dernier dessine des modèles de lingerie et lui propose de tester ses créations.
Petite précision : tous ces TL viennent du même éditeur, à savoir Takeshobo, mais aussi du même magazine de prépublication : Renai Tengoku. Cela limite sans doute dans un premier temps la diversité d’œuvres qui seront publiées sous nos contrées.
Session questions/réponses avec le public
À la suite de cette présentation, un temps d’échange était prévu avec le public.
Il y a eu plusieurs interrogations sur la sexualisation, voire l’hypersexualisation des personnages féminins. De même sur la définition de « rapports sains » puisque deux titres impliquent des relations tarifées (Le Prix de l’amour et See U on Friday Baby Violet). Louis-Baptiste Huchez y a répondu en rappelant que la « création du couple » est accélérée dans le TL, l’accent étant mis sur l’érotisme, et surtout sur le ressenti féminin. Les relations décrites dans les titres de la collection se fondent sur le consentement, même s’il peut y avoir des rapports de force, plus ou moins équilibrés entre les partenaires. Taifu Comics se refuse de publier des histoires comprenant des relations toxiques ou violentes romancées. La journaliste Caroline Segarra, qui était présente dans le public, a apporté son point de vue d’amatrice du genre. Le TL se démarque graphiquement des mangas à contenu pornographique à destination du public masculin. Le plaisir féminin est au centre du récit, ce qui est, selon elle, bien plus agréable à lire.
En ce qui concerne la distribution en librairie, même si « Teens’ Love » peut induire en erreur quant au public cible, Taifu l’utilise dans sa communication car cela fait partie de l’histoire de ce genre et constitue déjà un signe de reconnaissance pour les personnes connaisseuses. Mais l’éditeur a délibérément choisi un nom de collection différent, à savoir « Crispy Love », pour souligner l’aspect « croustillant » et donc érotique des titres. Les volumes ne seront pas vendus sous cellophane, mais des tags et des avertissements seront présents sur les couvertures.
De même, tous les titres de cette collection paraitront en même temps en version papier et en version numérique. Euphor dispose maintenant de sa propre plateforme, afin notamment de contourner les restrictions d’Amazon ou d’Apple sur les contenus sexuels ou LGBT+.
Pour terminer, quelques questions d’ordre plus général ont été posées.
Une personne a souhaité savoir si Taifu Comics, au regard des artistes français inspirés par le manga, envisageait de sortir des créations originales dans le style « TL ». Ce n’est pas prévu à court ou moyen terme, mais la porte reste ouverte, même du côté du BL.
S’agissant des lectrices et lecteurs des collections « Esquisses » (Taifu Comics) et « Mues » (Ototo), l’éditeur apporte une clarification, au regard du faible nombre de titres sortis à ce jour. Ces labels sont « à part » et n’ont pas vocation à proposer des sorties régulières, seulement au cas par cas selon les desideratas des responsables des collections et ce que proposent les ayants-droits japonais.
Les fans de Accroche-toi, Nakamura !! ont également eu droit à une mise au point sur la série (qui était en premier lieu un one-shot mais a eu droit à une second tome face au succès rencontré). En effet, la mangaka a changé d’éditeur depuis la publication du premier tome chez Taifu. Des négociations sont en cours avec le nouvel ayant-droit, mais elles prennent du temps car des changements peuvent survenir, tant au Japon que chez nous : nouvelles couvertures, ajout ou modifications dans le contenu d’origine… Les fans de Color Recipe (série publiée aussi chez Taifu Comics) devraient déjà connaître la chanson (ou encore ceux de Brisée par ton amour chez Meian).
J’espère que vous serez nombreuses et nombreux à plonger dans ce pan encore inexploré chez nous du manga ! Sache que tu vas t’en prendre plein les mirettes, tant le TL est protéiforme.
Merci aux éditions Taifu Comics pour l’organisation d’un tel événement (permettant notamment au grand public d’y assister), ainsi qu’au Manga Café V2 pour l’avoir accueilli dans ses locaux !
Je tiens également personnellement à remercier Julia Popek et T. Pralinus, mes spécialistes es TL et BL, pour leur relecture (parce qu’on a jamais assez d’yeux à poser sur un texte)