« Une véritable petite fée du logis » Te rappelles-tu de ces mots prononcés par Tohru Honda, l’héroïne du shôjo culte, Fruits Basket ?

Je crois que cette définition aurait plu à la journaliste de France Info.

Pour te remettre les choses dans le contexte, tu te souviens probablement de cette vidéo publiée, courant 2018 sur le net, qui mettait en lumière le sexisme véhiculé par la bande dessinée nippone ? Si non : une brève explication s’impose. Dans sa vidéo, la journaliste revient sur des mangas et anime populaires qui seraient gorgés de sexisme. Elle évoque le fan service, l’hypersexualisation, et même la culture du viol. Tohru y sert d’exemple pour illustrer un cliché, celui de l’idéal de la femme soumise et réservée.

Ne t’inquiète pas, je ne vais pas reparler du sexisme dans les mangas. Je suis bien trop en retard, et d’autres l’ont mieux traité que moi : il n’y aurait pas grand-chose à ajouter.

Il n’empêche qu’au sujet de cette vidéo, et d’un détail précisément j’ai toujours eu quelques réserves. Bien que les phénomènes qu’elle présente soient reconnus, il me parait évident que certains raccourcis ont été empruntés… Raccourcis qui, dans le cas de Tohru, me semblent être plus préjudiciables qu’autre chose. C’est peut-être le confinement ou le fait que la saison 2 soit en cours de diffusion (sur wakanim ou ADN), mais j’ai pensé que ça serait l’occasion de les partager !

À l’époque, la seule version de l’anime disponible était celle de 2001, que j’avais vue il y a un moment, comme beaucoup d’entre vous. Et lorsque j’ai regardé la vidéo de France Info, quelque chose m’a troublée parce que c’était vrai : ces accusations, je ne pouvais les démentir. Dans les faits, Tohru arrive dans une maison d’hommes. Elle y fait la table, le petit-dej, plie le linge, va faire les courses, etc.

Une véritable petite fée du logis !

« Tohru, n’est pas que ça ! » C’est souvent ce que disaient les gens pour le justifier. Et, je suis plutôt d’accord. Néanmoins, si elle n’avait été que cela, est-ce que ça aurait véritablement été un problème ?

C’est vrai : peut-être que le cliché horriblement réducteur de la parfaite ménagère flottera éternellement autour d’elle et qu’on ne peut rien faire pour le nier. Mais-est-ce que c’est si terrible que ça ?

Je ne suis pas contre le fait de poser la question du sexisme qui pourrait habiter telle œuvre ou tel personnage, surtout quand ces mêmes œuvres ou personnages ont été créés par/et pour des femmes. Me demander en quoi le sexisme pourrait être un spectre qui hanterait une œuvre de femme, ça c’est vachement intéressant !

C’est une façon de mieux se connaitre, en quelque sorte, de s’introspecter en tant que fille.

Je suis reconnaissante que l’on se pose ces questions au sujet des dynamiques sociales qui peuvent impacter le récit, parce qu’aussitôt qu’elles m’ont traversé l’esprit, j’ai directement compris pourquoi je n’avais pas fait ces reproches à Tohru auparavant, et qu’au contraire, ce choix scénaristique m’avait même plu.

Et en creusant la question, il devient évident qu’au niveau de la narration c’est même plutôt intelligent, et très logique, pour la simple et bonne raison que Tohru occupe un rôle symbolique, au même titre que les autres personnages qui alimentent le récit. Le symbolisme, c’est plutôt important dans une histoire qui parle d’une famille maudite par les signes du zodiaque chinois, non ?

La mangaka à l'origine de Fruits Basket, Natsuki Takaya
La mangaka à l’origine de Fruits Basket, Natsuki Takaya

Dire que Tohru n’est qu’une « bonne à tout faire » c’est mécomprendre ses intentions, et celle de l’autrice. Cela peut sembler trivial dans un premier temps, mais lorsque Tohru arrive dans cette grande maison vide, bordélique, où tout le monde vit dans son coin sans s’inquiéter des autres, avec un brin de ménage et des plats chauds, elle remet de l’ordre dans leur habitation, et par la même occasion, elle remet l’ordre dans leur vie.

Un coup de balai pour faire la place à plus de monde, dépoussiérer de vieilles anecdotes, démêler des liens, s’offrir des petits moments de complicité, les réunir autour de la table, autour de leur histoire commune… Voilà ce qui manquait aux habitants de cette maison parce que ce que c’est ce que sont les Soma : une famille brisée.

Tohru prend ce problème à bras le corps, en faisant des choses simples : arrêter de se faire livrer, manger ensemble, faire les tâches ménagères, etc. comme on le fait dans un foyer normal. Ça n’a l’air de rien et pourtant, lorsqu’elle s’en va, ils ont l’impression d’avoir perdu quelque chose d’important, et ils font tout pour le récupérer.

De plus, cela n’a jamais eu l’air de la déranger, au contraire : elle-même le propose. C’est sa façon de les remercier pour leur accueil, de les dédommager, de rester indépendante quelque part. Et elle y trouve son compte car c’est ce qui a rendu Tohru heureuse. Ce ne sont pas juste des corvées, cela représente ce qu’elle aime dans la vie. C’est son rêve : vivre pour quelqu’un d’autre, fonder une famille. Elle le sait, et elle ne s’en cache pas.

J’ai l’impression que c’est un véritable hommage, à ce qu’ont fait les femmes de tout temps, bon gré ou mal gré, parce que c’est souvent les deux. Je romantise l’action de faire le ménage ou à manger peut-être ! Je m’en suis vraiment rendu compte quand moi-même j’ai perdu ces repères, en devenant adulte à mon tour. C’est magnifique de prendre soin des gens que l’on aime, qu’importe notre genre ou notre sexe. Tout le monde devrait le faire, surtout ceux pour qui ce n’est pas encore trop tard.
Tohru le sait car, sa famille, elle l’a perdue.

Est-ce que ce n’est pas un peu sexiste ? Est-ce que ce n’est pas simple de la faire se contenter d’un rêve qu’on nous aurait si longtemps imposé ? Je n’ai pas les réponses à cette question. Peut-être. Peut-être que Tohru Honda est habitée par le sexisme, comme nous le sommes tous. Se poser la question, qu’importe la réponse qu’on veuille lui donner, nous permet de mieux comprendre l’œuvre que l’on regarde, que l’on lit ainsi que la société qui nous influence, et qu’on influence à notre tour.

La gamine que j’ai été, la jeune femme que je suis, Tohru est un perso qui lui a fait du bien. Elle m’a réconciliée avec tous les rêves niais que j’ai pu faire, ceux que je n’ai plus, mais aussi ceux qui font qu’encore aujourd’hui, je prends beaucoup plaisir à lire ce genre d’histoire.

Des valeurs de filles, qui sait… La compassion, l’empathie, la douceur, ces qualités qu’elles soient intrinsèques à notre sexe, ou produit de notre éducation, qu’elles nous viennent de notre construction ou notre dé-construction mais que nous partageons toutes, les mettre à l’honneur comme si elles pouvaient changer le monde, tu ne trouves pas que c’est plutôt féministe ?

soko saturne

Adepte de niaiseries en tout genre et de la littérature qui s'y réfère;

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3 commentaire

  1. Article super bien écrit et qui répond ENFIN à ce reproche injuste que les gens font à Tohru !!

  2. Très bel article ^^ J’aime beaucoup la façon dont tu parles de Tohru. Je reconnais que j’ai fait partie de ces personnes qui l’ont assez mal jugée, étant plus jeune. Les apparences jouaient plutôt contre elle. Mais quand on prend son caractère de la façon dont tu l’as fait, on réalise qu’il y a aussi tout une symbolique derrière.

  3. Merci infiniment pour ce bel article, à la fois juste et mesuré !

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